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    Petite Nature : un film sensible sur l'enfance à voir

    Rencontre avec le scénariste et réalisateur Samuel Theis. Présenté à la Semaine de la critique à Cannes, Petite Nature est un film sensible et délicat sur l'enfance, avec l'impressionnant Aliocha Reinert.

    De quoi ça parle ?

    Johnny a dix ans. Mais à son âge, il ne s’intéresse qu’aux histoires des adultes. Dans sa cité HLM en Lorraine, il observe avec curiosité la vie sentimentale agitée de sa jeune mère. Cette année, il intègre la classe de Monsieur Adamski, un jeune titulaire qui croit en lui et avec lequel il pousse la porte d’un nouveau monde. 

     Avec Aliocha Reinert, Antoine Reinartz, Mélissa Olexa... 

    Petite Nature
    Petite Nature
    Sortie : 9 mars 2022 | 1h 35min
    De Samuel Theis
    Avec Aliocha Reinert, Antoine Reinartz, Mélissa Olexa
    Presse
    4,1
    Spectateurs
    4,0
    louer ou acheter

    AlloCiné : Il y a quelque chose de touchant et de troublant dans Petite Nature. Il y est question de ce sentiment d'admiration et d'attachement. Est ce que le film est né de ce sentiment là ?

    Samuel Theis, scénariste et réalisateur : Oui, absolument. Le film est vraiment nourri d'une expérience sur laquelle j'ai commencé à travailler. C'est une expérience personnelle qui, d'ailleurs, dans la réalité, a été beaucoup plus explosive que dans le film.

    J'ai mis du temps à écrire le scénario parce que, justement, il a fallu que je déconstruise d'abord un peu ce qu'il s'était passé et essayer de déchiffrer ce se qui jouait à ce moment là pour moi aussi. Parce que, comme vous le dites, il y a de l'admiration, et l'admiration devient confusante au bout d'un moment. Et je pense qu'elle correspond aussi à un âge où c'est la naissance du désir, mais aussi un éveil intellectuel.

    C'est ce qui m'intéressait dans le récit de cet âge là : c'est vraiment un garçon qui est au seuil de l'adolescence, mais qui n'est pas encore empêtré dans les questions qui sont celles liées à l'adolescence, où tout à coup, on questionne aussi son corps, son identité.

    A 10 ans, il y a eu encore une grande liberté d'expression. Je pense que les enfants ne s'autocensurent pas. J'avais envie de m'appuyer sur cette expérience et de restituer ce sentiment, comme vous dites, un peu troublant, et de créer un sentiment de confusion aussi, mais de le tirer vers quelque chose de romanesque.

    Un âge où il y a la naissance du désir, mais aussi un éveil intellectuel

    On parlait du complexe d'Œdipe, quand on est amoureux de son parent, etc. Et là, c'est un peu pareil. C'est pour une personne qui est inconnue. C'est quelque chose qu'on traverse tous un peu, ça peut être pour un professeur, un maître nageur...

    Je pense que ça nous est arrivé à tous d'être un peu amoureux d'un prof, d'une prof ou d'une figure comme ça un peu de tuteur, de mentor quand on est enfant. Je pense que quand on est enfant, on tombe souvent amoureux. Ce qui m'intéressait avec ce film, c'est de vraiment essayer de faire vivre l'expérience du désir amoureux, mais comme quelque chose de grave. Je pense que le film travaille cette question un peu souterraine, qui est : de quoi est fait le désir ? Je pense qu'on s'y intéresse beaucoup chez les adolescents ou chez les adultes, très rarement chez les enfants.

    Pourtant, c'est un âge aussi où on vit de grands bouleversements. C'est le désenchantement, bien sûr, mais ce sont aussi des bouleversements, des choses qui peuvent être dures, qui peuvent être compliquées.

    La gravité dont vous parlez passe aussi par le secret. De vivre avec des tourments intérieurs, une vie intérieure...

    Oui, bien sûr. Etymologiquement, enfant, ça veut dire celui qui ne parle pas. Et et je pense qu'un enfant, effectivement, c'est quelqu'un qui est très observateur, qui regarde beaucoup. Il y a du cinéma dans cette question du regard. J'avais très envie de rester toujours à sa hauteur, de ne jamais quitter son point de vue et de filmer ce visage qui est toujours en observation, toujours en train d'absorber ce monde des adultes qui le fascine.

    J'avais très envie de rester toujours à sa hauteur, de filmer ce visage toujours en observation

    La relation du point de vue du professeur, comment la décririez-vous ?

    Il y a presque un quiproquo en fait. C'est un jeune professeur. C'était important pour moi qu'il soit jeune parce qu'il y a encore une forme de naïveté. C'est ça aussi de croire encore à la possibilité de tenter d'aider les enfants à s'extraire. Cette idée de l'école républicaine. Cette idée que l'apprentissage ne peut pas se passer d'affect, par exemple. Mais c'est une vraie question d'ailleurs : est ce qu'on peut vraiment recevoir un enseignement s'il est désincarné ?

    Quand ça se passe chez les enfants, d'avoir un trouble comme ça pour un adulte, c'est parce qu'en fait, ce sont des adultes qui voient le potentiel chez ces enfants. Et c'est cette chose là qui est difficile à recevoir et à comprendre, et qui nécessite vraiment un chemin. C'est d'ailleurs ce chemin que j'avais envie de mettre en images.

    Le personnage de Johnny a 10 ans. Aliocha Reinert, le jeune acteur en avait 11 ans. A aucun moment, on ne se dit que c'est un enfant parce qu'il a une telle maturité et une prise de conscience qui est effrayante. Comment  avez-vous réussi à dessiner un personnage aussi juste ? Est ce que ce sont des profils que vous connaissez, que vous avez rencontrés dans votre vie ? Idem pour le milieu social. Est ce que vous n'avez pas eu peur, un moment de tomber dans la caricature, ce qui n'est pas le cas ?

    Pour ce qui est du milieu social, clairement, je viens de là, donc je me base simplement sur une expérience, un vécu, et une observation aussi de ce qu'était le milieu familial, mon environnement social à Forbach.

    On ne soupçonne pas à quel point il y a de la maturité chez les enfants

    Mais pour ce qui est de la maturité chez l'enfant, je pense qu'on ne soupçonne pas à quel point il y a de la maturité chez les enfants. Et d'ailleurs, je crois que les enfants aussi jouent parfois à être des enfants. On s'enferme aussi un peu dans des statuts. Par exemple, c'est évident quand on regarde le film qu'il y a la maturité du personnage telle qu'elle est écrite dans la dramaturgie, mais il y a aussi la maturité de Aliocha Reinert (le jeune comédien jouant le rôle de Johnny) qui circule dans le film.

    Ses regards sont pleins parce que ce sont vraiment ces regards à lui et donc sa compréhension. On peut diriger un acteur. Mais la direction d'acteurs, c'est toujours une communication. Il faut qu'on s'entende sur les enjeux, sur ce qui se joue. Il faut qu'ils comprennent organiquement. Et ça, pour le coup, ça lui appartient.

    On se demandait justement si vous aviez été très transparent dès le début en disant "Voilà ce que représente cette scène. Voilà ce que ça veut dire". Ou bien avez un peu arrangé des choses ?

    Non, non, j'ai été très transparent, c'était important. Je ne donne pas mon scénario aux acteurs, donc ils ne pouvaient pas lire le scénario. Mais par contre, au moment des essais, quand j'ai commencé à vraiment m'intéresser à Aliocha, j'en ai d'abord parlé avec ses parents parce que je voulais être sûr que ses parents soient tout à fait à l'aise avec ça. Et ils ont été très intelligents parce qu'ils m'ont dit il faut vraiment poser la question à Aliocha aussi. On allait le faire, mais on procédait par étapes.

    Au moment où j'ai vraiment raconté un peu le parcours du personnage et quelles allaient être les scènes qui étaient les scènes un peu compliquée à incarner, il m'a demandé un petit temps de réflexion quand même. Et j'ai trouvé ça beau à 11 ans, de se poser, de réfléchir, de se demander : est-ce que je suis prêt à assumer de jouer ça. Et on a fait un Skype quelques jours plus tard et il m'a dit : je le fais, j'ai envie.

    Je sais que parfois, dans la direction, on peut piéger un peu les acteurs ou leur faire jouer quelque chose, mais pour le monter dans une autre direction. Non, j'avais vraiment envie qu'on soit des alliés sur le plateau.

    Ad Vitam

    Il y a un sujet important dans le film, c'est la sexualité. Mais dans ce film il ne s'agit pas d'homosexualité du tout. Il a 11 ans. On peut comprendre à cet âge là qu'on aime les garçons, mais là, il s'agit pas de ça. C'est autre chose que ça. Comment pourriez-vous l'expliquer ?

    Je suis content de l'entendre, que vous le notiez. Effectivement, je pense qu'à cet âge là, c'est difficile de se définir, même avec une identité sexuelle, c'est trop tôt. Je pense que il y a du mimétisme. Il y a quelque chose qui est nourri de son observation de la sexualité de sa mère, par exemple.

    C'est un environnement qui est assez sexué autour de lui, donc il absorbe aussi ça. Il cherche à reproduire  un peu ces choses, comme un peu des moyens d'expression. Je me suis beaucoup posé la question, mais parce qu'elle vaut aussi pour les adultes. De quoi c'est fait le désir sexuel ? Ce n'est pas juste de la chimie entre deux personnes. Il y a une construction mentale dans la sexualité. Donc, qu'est ce qui se joue ? Qu'est ce que ça cristallise ? C'est quoi la projection aussi ?

    Je me disais que ce qui se jouait pour moi à cet âge là, c'était aussi un désir d'être élevé, d'être sauvé presque un peu, s'arracher à son milieu. La question du transfuge social  est compliquée. (...) Je ne cherche pas à donner une réponse franche. Mais j'essaie d'explorer différentes zones et différentes dimensions.

    Propos recueillis au Festival de Cannes en juillet 2021, par Thomas Desroches et Brigitte Baronnet

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