DE QUOI ÇA PARLE ?
Srebrenica, juillet 1995. Modeste professeure d'anglais, Aida vient d'être réquisitionnée comme interprète auprès des Casques Bleus, stationnés aux abords de la ville. Leur camp est débordé : les habitants viennent y chercher refuge par milliers, terrorisés par l'arrivée imminente de l'armée serbe.
Chargée de traduire les consignes et rassurer la foule, Aida est bientôt gagnée par la certitude que le pire est inévitable. Elle décide alors de tout tenter pour sauver son mari et ses deux fils, coincés derrière les grilles du camp.
UN PEU D’HISTOIRE
La Voix d’Aida a fait le tour des festivals en 2020-2021 et a été nommé aux Oscars et aux BAFTA dans la catégorie " meilleur film étranger ". Actuellement en salles, le film de la Bosnienne Jasmila Žbanić retrace la funeste journée du 11 juillet 1995.
Cette date correspond au massacre de plus de 8 300 hommes bosniaques de confession musulmane à Srebrenica par des unités de l'Armée de la République serbe de Bosnie sous le commandement du général Ratko Mladic.
Ce haut gradé est interprété par Boris Isaković qui a également campé un autre bourreau contemporain, Slobodan Milošević, dans la mini-série Porodica (La Famille).
L’enclave musulmane, pourtant sous la protection des Nations Unies, est tombée sous la coupe des milices serbes. La réalisatrice remet en scène la séparation des femmes et des enfants avec les hommes en âge de porter des armes mais démilitarisés.
Ces derniers fuiront par des champs minés ou ils seront parqués puis exécutés. Ce nettoyage ethnique représente le pire génocide depuis la Seconde Guerre mondiale.
CHRONIQUE D’UN MASSACRE
Jasmila Žbanić, auteure de Sarajevo, mon amour et des Femmes de Visegrad entre autres, choisit pour sa dernière œuvre de ne plus aborder les fantômes et les traumatismes passés dus au conflit yougoslave des années 1990 sur le sol bosnien.
Dans La Voix d’Aida, elle retranscrit le mal lui-même en mettant en scène les dernières heures d’une famille et de quelques-uns de ses concitoyens avant le massacre de Srebrenica avec un flash-back puissant d’une ronde où les regards caméras fonctionnent comme des vanités.
A travers le personnage fictif de la civile Aida, interprétée fiévreusement par l’actrice serbe Jasna Đuričić, et sa famille à prédominance masculine (son mari et ses deux fils respectivement campés par Izudin Bajrovic, Boris Ler, et Dino Bajrovic), la réalisatrice s’attarde sur ce clan qui va symboliser l’incommensurable nombre de familles touchées par la tragédie.
Aida, par sa capacité à parler anglais, va faire le lien entre les représentants de l’ONU, les exilés bosniaques terrorisés - les nombreux plans larges mettent en exergue cette immensité de la foule - et les bourreaux serbes.
Du haut de sa nouvelle fonction et par son regard, le spectateur assiste impuissant au même titre que les casques bleus néerlandais à la stratégie sournoise mise en place par Ratko Mladic.
QUO VADIS
Le titre original - Quo Vadis Aida ? - utilise l’expression latine " Quo Vadis " que l’on pourrait traduire par " Où va le monde ? ". Ici, son application interroge l’avenir d’un pays et plus précisément d’une ethnie, celle des Bosniaques, après une guerre fratricide.
La représentation presque en temps réel place le spectateur dans un état de sidération. Celui-ci, impuissant, ne pouvant que suivre la course contre la montre effrénée et vaine d’Aida pour protéger les siens.
Au-delà d’une mise en scène clinique du 11 juillet 1995, le film de Jasmila Žbanić évoque, via la dernière séquence, la possibilité (ou l’impossibilité) de fonder une mémoire collective entre les survivants et les bourreaux, la population restante bosniaque et les Serbes de Bosnie.