4 ans après American Honey, présenté en compétition à Cannes, Andrea Arnold revient avec un projet inattendu, le documentaire Cow. Un film à la limite du documentaire expérimental, sans voix off, et avec pour seule bande son ou presque les expressions des vaches.
La manière qu'a Andrea Arnold de filmer ces vaches, et en particulier ses deux « héroïnes », rend le spectateur très actif dans cette expérience de cinéma. Andrea Arnold porte un regard tout à fait singulier et captivant sur ces vaches. Nous l'avons rencontrée quelques minutes avant son photocall cannois pour une interview express.
AlloCiné : Cela fait de nombreuses années que vous travaillez sur ce projet, Cow. Mais pour nous spectateurs, il a surgi comme une surprise. D’où provient cette idée de film plutôt inattendue après Fish Tank ou encore American Honey ?
Andrea Arnold, réalisatrice : Ce n’est pas un film évident à expliquer. Les gens me demandaient de quoi ça parle, d’où ça vient. Et je me disais, en l’écrivant, que j’ai toujours eu cette connexion très profonde avec la nature depuis que je suis toute petite.
J’ai grandi avec une maman et un papa très jeunes. Ma mère avait 22 ans, elle avait 4 enfants. Donc elle ne nous surveillait pas trop. On allait dehors. Je sortais tout le temps, partout. Je zonais dans le coin où j’habitais. Tout autour, il y avait des champs. Ce n’était pas vraiment une ferme mais c’était sauvage. Il y avait des bois, des batiments industriels, et des lacs.
Donc j’ai toujours eu une grande relation avec la nature depuis enfant, et je ramenais des animaux à la maison. Ma mère ne disait jamais vraiment non donc il y avait des chats, des chiens, et aussi des chevaux à l’extérieur. Quand j’ai grandi, j’ai déménagé à Londres. Une fois que je me suis mise à habiter dans des grandes villes, j’ai commencé à me sentir déconnectée, un peu plus séparée de tout. Ca m’a toujours un peu perturbée.
Je pense qu'il s'agissait pour moi de reconnecter, de partir d'une idée un peu romantique pour essayer de rejoindre quelque chose d’ancré dans le réel. J’ai le sentiment que nous sommes tous un peu déconnectés de la nature, en particulier dans les grandes villes. C’était une façon d’appeler à s’engager pour quelque chose qui fait vraiment partie de nos vies, de notre existence. C’était un désir pour moi de me connecter, et de regarder des choses qui font partie de notre vie mais qu’on ne regarde pas vraiment, dont on se détourne. C’est une petite invitation à s’engager et à regarder.
En français, il existe cette expression "regard bovin", qui décrit un regard vide. Avec votre film, vous retournez complètement cette expression, avec votre héroïne particulièrement expressive, comme si elle était une actrice de cinéma. Et notamment grace à cette scène pendant laquelle elle regarde fixement vers la caméra, et on se demande justement à quoi elle peut bien penser...
J’adore vraiment quand elle regarde fixement la caméra, et j’ai toujours eu envie d’inclure ce moment, parce que nous la regardons, et elle nous regarde. Parfois, j’avais l’impression qu’elle se sentait regardée, vue, mais elle nous regarde. Et je sentais qu’elle se sentait regardée. Parfois on est tellement occupéS qu’on ne regarde pas ; on ne voit pas.
Quand vous regardez vraiment quelqu’un et que vous sentez qu’il vous regarde, vous le ressentez. Je ne sais pas si c’est vrai qu’elle se sent regardée car je ne peux pas rentrer dans sa tête, mais c’était vraiment comme si. Elle l’a souvent fait, bien plus souvent que ce que l’on voit dans le documentaire.
Le regard caméra de la vache Luma dans Cow
Cow semble a priori comme un plus "petit" projet par rapport à vos précédents films. Thierry Frémaux, lors de la présentation de votre film, a même dit que c'était un peu comme si vous aviez écrit un essai après avoir signé de plus gros livres. Etait-ce intentionnel de faire un plus petit film, pour se reconnecter avec vous-même aussi en quelque sorte ?
Je ne l’ai pas fait pour ces raisons. Cela a commencé il y environ 7 ans donc j’ai eu cette idée il y a longtemps. Et j’ai eu envie de le faire à ce moment là. C’est un projet que je faisais lentement depuis un moment.
Mais oui il y a quelque chose d’agréable de faire quelque chose qui est juste plus petit, avec une petite équipe et très intimiste. J’ai fait pas mal de choses ces dernières années avec une immense équipe et donc il y a quelque chose d’agréable de retrouver quelque chose d’intimiste. Et puis maintenant, avec les petites caméras, toute la technologie, tout ça est possible.
Propos recueillis au Festival de Cannes le 9 juillet 2021 par Brigitte Baronnet
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