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    Cannes 2021, Benedetta par Virginie Efira : "J'ai prévenu ma mère : les gens ne vont pas tous dire bravo à votre fille".
    Laetitia Ratane
    Laetitia Ratane
    -Rédactrice en chef adjointe
    Outre les films et séries, Laetitia se nourrit de philo et de psychologie. Difficile de compter les nuits habitées par la paranoïa schizophrénique de Travis Bickle, l’érotomanie d’Adèle H, la psychose maniaco-dépressive de Misery ou l’analyse des rêves chez Amenabar, Nolan et Lynch.

    A l'heure où l'on parle, elle trouble déjà la Croisette, dans la peau de la sulfureuse nonne lesbienne de Verhoeven, à qui elle s'est livrée corps et... âme, forcément. Rencontre avec Virginie Efira, l'actrice la plus intense du moment. Et au-delà.

    Paris, grand hôtel du 8è arrondissement, quelques jours à peine avant la frénésie cannoise. Elle entre dans la pièce, lumineuse et souriante. "Comment allez-vous ?", demande-t-elle, comme s’il n’y avait pas un sujet plus important. Celui de son impressionnant parcours par exemple, d’ex-animatrice de télé crochet belge parvenue en France à déringardiser La Nouvelle Star grâce à son naturel rare.

    Puis d’actrice romantico-comique soudain plus complexe et dramatique, sous les regards successivement révélants de deux réalisatrices de génie (Justine Triet et Catherine Corsini). Naturel et humour : deux qualités dont elle ne s’est absolument pas départie ce fameux après-midi, quelques jours à peine avant de monter les marches aux bras du cinéaste le plus sulfureux du moment (si, si).

    Virginie Efira, religieuse lesbienne en transe sous la direction de Paul Verhoeven, cela fait un moment que le public attend celaBenedetta au Festival de Cannes 2021 par le réalisateur de Basic Instinct, cela fera parler c’est certain.

    Découvrez notre rencontre avec le réalisateur et son actrice dans la vidéo ci-dessus.

    De l’épouse étrange de "Elle"...

    Si c’est "l’éclat diabolique" dans les yeux de Sharon qui a conquis à l’époque Paul, c’est sans nul doute le teint angélique de Virginie qui aujourd’hui le séduit.

    "Dans Elle, notre précédent film ensemble, j’avais un petit rôle mais je jouais déjà une femme très pieuse, qui était dans des bondieuseries et à la fin montrait qu’elle savait tout de la violence de son mari (un violeur incarné par Laurent Lafitte, ndlr) et remerciait sa victime d’avoir pu le satisfaire.

    Je pense que Verhoeven a dû voir qu’il y avait une possibilité de dissimulation chez moi. C’est peut-être morphologique : être gentille et cacher autre chose. J’ai joué beaucoup de filles très douces et inoffensives, c’est chouette de pouvoir utiliser cela comme paravent de choses un peu plus scabreuses", assume-t-elle d’emblée.

    Depuis Justine Triet, il est vrai cela dit qu’elle livre des choses "moins mignonnes" et plus perturbées. Dans la bande- annonce de Benedetta, Charlotte Rampling s’interroge  : "On ne comprend pas toujours les instruments de Dieu. A-t-il mis Benedetta en transe ? Ou bien Dieu nous a-t-il envoyé une folle qui débite des sottises pour servir ses desseins ?". "Les deux", répond Virginie Efira lorsqu’on lui pose la question.

    "Benedetta a, je crois, une croyance supérieure. Il y a une beauté, presque une pureté dans sa foi. Le personnage de la grande Abesse jalouse cela car elle a beau être au sommet de l’institution, elle sait qu’elle n’a pas cette proximité avec Dieu. Elle demande par exemple beaucoup d’argent pour permettre d’entrer dans son couvent. Elle n’a pas, disons-le, un sens moral très développé. 

    … à la troublante croyante Benedetta

    Inspiré de la vie de Sœur Benedetta Carlini - nonne italienne qui sur le point d’être béatifiée découvre les plaisirs de la chair avec une novice de son couvent-, le film de Verhoeven peint le portrait libre d’une figure inspirante du lesbianisme, ambiguë dans son (supposé) rapport au Christ. Est-elle réellement sujet des miracles de Dieu ? Verhoeven confronte croyance, mystique et véridique et refuse de trancher, sous entendant même avec sa férocité légendaire que les plus sceptiques sont souvent ceux qui logent en l’église.

    "Quand quelqu’un est croyant, croit en Dieu, Dieu existe parce qu’on y croit. On le fait exister par sa propre croyance et j’ai l’impression que Benedetta fait exister tout ça par sa croyance supérieure", ajoute la comédienne.

    "Après elle ne l’utilise pas que pour faire de bonnes actions et pour rapprocher les gens les uns des autres. Elle subit notamment toute la galvanisation catastrophique du pouvoir. Peut-être même que cet état de transe vient aussi du fait qu’elle croit tellement fort. Ce n’est pas donné à tout le monde tout de même de pouvoir se faire des scarifications."

    Guy Ferrandis

    Elue ou folle

    Le trouble que suscite Benedetta perdure longtemps après la vision du film. Tantôt madone élue au visage d’ange, tantôt amante passionnée profane, quand elle n’est pas ce cœur exalté habité par une puissance supérieure qu’on a du mal à cerner… En effet, le Christ censé "habiter" parfois sa protégée, a chez Verhoeven davantage l’allure d’un insurgé cherchant à faire trembler que celle d’un sage prompt à pardonner. Une figure impressionnante, déconstruite, asexuée et même grand-guignolesque qui depuis toujours fascine le cinéaste, et à qui Virginie Efira prête sa moderne duplicité.

    "J’ai lu « Sœur Benedetta, entre Sainte et Lesbienne » thèse de Judith C. Brown. Elle parle du premier procès en lesbianisme avec énormément de récits sur sa vie car il y a eu son procès donc énormément de témoignages qui restituent tout le contexte politico-social de l'époque. C’est absolument passionnant. Après, là on se dégage du naturalisme, déjà parce que le livre parle de cette possibilité d’un cas de schizophrénie aiguë.

    Or jouer cela ça aurait voulu dire que d’un côté elle serait gentille, de l'autre malade et méchante. C'était plus intéressant de mêler les deux. Et puis comme on parle de la peste dans le film, on est remonté au Moyen Age mais je n’ai pas cherché à savoir comme on se tenait à cette époque. Il s’agissait de trouver une forme de modernité. Trouver le langage du film, faire apparaître la vérité par l’artifice et non par l’imitation."

     Aller jusqu'au bout

    Une quête du vrai qui réunit Efira et Verhoeven, deux bosseurs fous pour qui rien n’est sacré, autrement dit tout est possible et ouvert. A son metteur en scène, l’actrice jusqu’au-boutiste reconnaît s’être entièrement livrée, car lorsque la confiance est là, il n’y a pas de place pour la pudeur et la vulnérabilité.

    "L'abandon ? Comment faire autrement à partir du moment où déjà sur le tard, j'arrive à réaliser une envie qui était constituante chez moi, mais que plein de peurs ont tenu éloignée. Grâce à Justine Triet, j'ai ressenti une expérience de liberté plus forte, dans un travail vraiment de très grande proximité avec le metteur en scène. Cela a ouvert d'autres perspectives.

    La probabilité pour moi de tourner avec Verhoeven, ce n’était pas d’une logique implacable. Donc, quand cela arrive, je ne sais pas si je vais bien jouer ou mal jouer. Mais une chose est sûre, je vais m’abandonner, je ne vais pas garder cela pour plus tard.

    Et puis il m’a fait tellement confiance. Dès la préparation, il m’a dit « Know what you must do ». J’ai travaillé avec un coach en amont très fort pour faire des propositions. Ce dernier me disait (elle prend un énorme accent belge) : « C’est bizarre mais c’est bien je crois ! » Et Verhoeven était trop content (elle utilise le même accent !) : « C’est génial tu ne fais pas de mélodramatique ! ». L’abandon, ça vient de la confiance."

    "Je vais finir comme dans Showgirls"

    A 40 ans, on sent en effet qu’elle a levé ses doutes lorsqu’à l’écran, elle s’expose nue sans tabou dans des scènes de sexe iconoclastes et osées. L’intelligence de Verhoeven y est pour beaucoup, lui pour qui la poitrine est la plus belle des choses et le corps féminin l’arme ultime (la chasuble remplaçant le pic à glace ?) dans une société d’interdits et d’hypocrisie.

    "Cela m’intéressait de faire cela mais avec un réalisateur que cela intéresse. Il m’est arrivé dans un film de ne pas vouloir ce genre de scène, pas par pudeur mais parce que je me disais « montrer un sein pour quoi faire ? »

    Dans les films de Verhoeven, le sexe, la violence, la religion sont au cœur des choses et il le traite d’une certaine manière. Il sait regarder. Donc il n’y a pas chez moi de mouvement de recul, cela m’intéresse comme une tout autre scène même s’il y a une chorégraphie particulière lors de scènes comme cela."

    Et de nous raconter avec humour et enthousiasme comment, pour respecter la pudeur de l’acteur, tout le monde se tient dans des positions impossibles au moment de tourner : "C’est assez amusant, il y a une sorte de cérémonial… Il faut dédramatiser les choses c’est-à-dire pourvoir en rire. Avoir une partenaire comme Daphné Patakia (Bartholoméa) aide beaucoup."

    Guy Ferrandis

    Esthétiques, les scènes d’amour de Benedetta sont anticipées via un storyboard précis, auquel les actrices ont dérogé uniquement lorsque par hasard un geste juste a été improvisé : "Il fallait dépasser l’idée de l’érotisme, de l’intimité au lit. Il y avait une portée presque métaphorique. Ce qui ne veut pas dire que parfois ce n’est pas difficile car la pudeur revient en pleine face. C’est un peu spécial et il faut négocier avec cela. Sur certaines scènes, notamment d’orgasme, Verhoeven me disait : est-ce que tu peux faire plus fort, plus fort, plus fort, et je me disais : je vais finir comme dans Showgirls dont je me rappelais ces scènes d’amour où ça y allait !  

    Tout cela frôle parfois le grotesque mais j’aime bien ça, parce que les héroïnes de Verhoeven occupent dans leur rapport à la sexualité, un terrain qui n’est pas strictement masculin, elles ne sont pas coupables de leurs désirs. La femme chez lui n’est pas non plus une icône, elle est trouble, elle peut être dégueulasse, elle peut être plein de choses justement."

    Le film scandale de Cannes ?

    C’est donc à Cannes que Paul Verhoeven débarque cette année, à 82 ans, aux commandes de ce thriller mystico-érotico féministe, qui met à jour les luttes de pouvoir au sein de l’église, interroge l’idée d’une foi compatible avec la sexualité (la fameuse "chaleur" dans le bas ventre), ici même l’homosexualité, et… n’a peur de rien, surtout pas de choquer :

    "Le film est extraordinairement riche dans les matières qu’il travaille, les questions qu’il pose, les réponses qu’il ne donne pas, au niveau symbolique et philosophique. C’est un cinéma accessible avec une portée romanesque. Ma mère va venir à Cannes, je l’ai prévenue : les gens ne vont pas tous dire « hourra hourra, bravo à votre fille ».

    Je n’ai pas peur de cela, au contraire, c’est assez chouette des choses qui suscitent des débats. Après l’agressivité je ne sais pas, j’ai parfois du mal à comprendre tout à fait l’époque, ce que peuvent produire même les réseaux sociaux en terme de polarisation. On n’est pas à une époque où l’humour et la nuance… Bref, j'espère que plein de gens verront le film, mais il est évident aussi que plein de gens ne le verront pas et sortiront des choses de leur contexte."

    Une chose est sûre, personne ne saura passer à côté de la partition charnelle et ambivalente de Virginie Efira, actrice au parcours affirmé, libérée corps et âme au propre comme au figuré :

    "Je suis claire avec tout ça, j’ai les armes et peut être que mon âge aide aussi. Quoique. Peut-être que si je démarrais avec cela à 20 ans, et que mon identité n’était pas totalement construite… et encore elle ne l’est pas non plus totalement maintenant. Mais plus qu’à 20 ans. J’aurais sans doute eu peur de n’être que vue que comme ça alors que là je sais de quoi je suis constituée.

    Je ne redoute rien, choquer n’est pas non plus quelque chose qui m’intéresse plus que ça mais j’aime que quelqu’un puisse créer quelque chose, sans se dire « le principal c’est de ne heurter la sensibilité de personnes ». Que peut-il se produire sinon ? Que des choses mollassonnes ?"

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