C'est bientôt l'été et peut-être le moment idéal pour découvrir Seize Printemps de Suzanne Lindon. Âgée de 21 ans, la jeune femme met en scène son premier film, un projet qu'elle a commencé à écrire dès l'âge de 15 ans dans les pages de son carnet. À l'écran, elle incarne l'héroïne d'une histoire d'amour aussi délicate que transgressive aux côtés d'Arnaud Valois. AlloCiné l'a rencontrée au Festival du film francophone d'Angoulême, en août 2020, où le long métrage était présenté en avant-première. Interview.
AlloCiné : Dans Seize Printemps, vous interprétez une adolescente qui s'ennuie, surtout lorsqu'elle se trouve entourée de jeunes de son âge. Est-ce une caractéristique que vous partagez avec votre personnage ?
Suzanne Lindon : Disons que je suis plus sociable que l'héroïne du film parce que j'ai de très bons amis depuis longtemps et ils ont toujours été autour de moi. Seize Printemps parle d'ennui, bien sûr, mais aussi d'une période de vie qui n'est pas facile. L'adolescence est dure, je voulais l'aborder de manière délicate.
C'est le passage de l'enfance à l'âge adulte, un moment où l'on a envie de découvrir plein de choses avant de se découvrir soi-même. Moi c'est plutôt ça que j'ai vécu. Je suis très obsessionnelle et je fantasme les choses plus que je ne les vis. À l'origine, j'ai écrit ce film quand j'avais 15 ans et je voulais m'intéresser à cette jeune fille qui fait un blocage parce qu'elle est obsédée par un homme dont elle tombe amoureuse.
Vous avez forcément mûri depuis, est-ce que le scénario a évolué lui aussi ?
Pas vraiment. Quand je l'ai écrit, je n'avais pas les codes pour écrire un film, je ne les ai toujours pas d'ailleurs. Je pense qu'il n'y a pas de règles. J'écrivais dans un carnet, c'était comme une nouvelle, au discours indirect, de façon très détaillée. Petit à petit, je l'ai mis sous forme de dialogue. L'histoire en elle-même reste la même, ce qui a changé ce sont les moments chorégraphiés qui ont été une manière de créer un moment de sensualité, une forme de langage entre eux. C'est une jeune fille et un homme adulte. J'avais envie de montrer une relation platonique, pudique et très respectueuse parce que c'est important pour moi de montrer ça, surtout aujourd'hui. C'est ça qui a changé : trouver une manière de les faire consommer leur histoire autrement que sexuellement.
Les réseaux sociaux et les smartphones sont, en grande partie, absents du film. Était-ce important pour vous de vous débarrasser de ces éléments qui auraient pu dater votre histoire ?
Je ne suis pas fan de notre époque (rires). Enfin si, il y a des choses que j'adore, mais j'avais envie de parler d'une histoire universelle. La découverte de soi, je voulais que tout le monde puisse s'y retrouver et mettre des marqueurs de temps dans un film c'est, inconsciemment, bloquer des choses. Aujourd'hui, on se donne tellement d'informations, on se rencontre tellement peu, et moi la première d'ailleurs, avec les réseaux sociaux. C'est particulier car c'est un cercle vicieux dont on n'a pas besoin pour se connaître.
Et puis, finalement, tous les films que j'aime, qui ont bercé mon adolescence et auxquels je me suis identifiée, ce sont des films assez anciens sans toutes ces choses-là. Par exemple, le cinéma de Sidney Lumet, de Maurice Pialat, ou celui de Claude Miller.
Suzanne Lindon sur la différence d'âge entre les deux personnages :
Entre Suzanne et Raphaël, le personnage joué par Arnaud Valois, vous abordez une relation d'amour marquée par une différence d'âge importante. Même s'il n'y a ni emprise, ni de malaise particulier, cela reste un détail important qui ne peut être occulté. Pourquoi ce choix ?
D'abord, j'ai toujours côtoyé des adultes. Il y a une différence d'âge qui était primodiale pour moi à traiter dans le film, mais j'ai voulu la traiter très respectueusement et avec beaucoup de pudeur. C'est vrai qu'en ce moment c'est un sujet dont on parle et il faut en parler. Je suis une jeune fille et si moi je ne m'y frotte pas, qui va s'y frotter ? Si une fille d'aujourd'hui n'est pas consciente de ça et n'en parle pas, qui va en parler ? C'était très important. Je me sens pleinement concernée par le combat féministe, d'ailleurs le combat humaniste car pour que le féminisme existe il faut que tout le monde soit égal. Je voulais montrer l'image d'une fille de 16 ans qui tombe amoureuse d'un homme plus vieux, mais qui reste elle-même.
Elle ne se laisse pas influencer, elle n'est pas du tout impressionnée par lui. Elle assume très fort ce qu'elle est et elle s'impose. Lui est très respectueux, et même si c'est plus rare, ça existe aussi. Pour moi, c'est une histoire d'amour plus pudique et romantique que si ça avait été entre deux personnes du même âge qui ne s'apprivoisent pas. Là ce que je voulais c'est que les deux personnages du film s'apprivoisent. Ils n'ont pas la même vie, mais ils en sont au même point, ils s'ennuient dans leur quotidien, dans leur routine. 16, 35, 70, 49… C'est des conventions. Si on s'aime, ce sont des conventions.
Le film contient beaucoup de chansons, notamment de l'artiste Christophe. On sent que vous souhaitiez lui accorder une place particulière...
Je connaissais Christophe, il était fou et ça me fait bizarre de parler de lui au passé. Il plane au-dessus de ce projet. Je l'adorais. Je marche souvent par associations d'idées et justement, il me fait penser au film. L'image que me renvoyait Christophe, c'est l'image que j'avais envie de montrer de Seize Printemps. C'est un musicien très romantique, qui écrit des textes qui me touchent avec, toujours, quelque chose d'un peu brumeux, d'hypnotique. C'était l'atmosphère que je souhaitais retrouver dans le film.
Vous chantez également la chanson thème, écrite et composée par Vincent Delerm.
Plus que faire un film, je voulais créer un objet, un geste qui me ressemble. Et la bande originale, je voulais la confier à quelqu'un avec qui je partage de nombreux points communs, donc Vincent Delerm. C'est comme s'il était entré dans mon cerveau. Il a compris ce que je voulais entendre. Une musique qui symboliserait l'ennui du personnage.
Il a composé la musique avant même d'avoir lu le scénario. Quand il me l'a fait écouter, c'était vraiment le thème du film. Je suis allé en séance d'enregistrement avec lui, il m'a dit qu'il avait écrit un texte et m'a demandé de l'interpréter. Je ne voulais pas car pour moi c'était comme expliquer le film. Puis il a insisté de nouveau et j'ai finalement accepté de poser ma voix dessus.
Avez-vous envie de mettre en scène un second long métrage ?
Pour le moment, mon esprit est dans Seize Printemps. Si j'ai d'autres choses à dire, peut-être que je pourrais en faire un second. C'est tellement dingue de faire un film qu'il faut tenir à son sujet pour en parler.
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Angoulême, en août 2020.
Découvrez la chanson thème du film :