Il y avait eu deux films (dont un où elle faisait équipe avec Gérard Depardieu). Puis une apparition dans la série Once Upon a Time. Aujourd'hui, Cruella fait son retour en chair et en os au cinéma sous les traits d'Emma Stone, qui succède à Glenn Close et Victoria Smurfit dans cette origin story qui raconte comment la timide Estella est devenue la méchante des 101 dalmatiens immortalisée par le long métrage d'animation sorti en 1961.
Devant la caméra de Craig Gillespie (Moi, Tonya) et grâce à une scénario co-écrit par le scénariste de La Favorite, Tony McNamara, la comédienne s'en donne à cœur joie dans ce rôle haut en couleurs. Et son face-à-face avec la Baronne incarnée par Emma Thompson fait des étincelles. Sur l'écran comme en conférence de presse, les deux actrices n'ont pas manqué de faire le show.
AlloCiné : Avez-vous été surprise de voir à quel point Disney avait permis à ce film d'être sombre ?
Emma Stone : Oui. J'ai vraiment l'impression qu'ils ont laissé Craig [Gillespie] et Tony [McNamara, le co-scénariste, ndlr] écrire et faire ce qu'ils voulaient. Et le résultat est très sombre pour un film Disney. Pas non plus jusqu'à être classé R [interdit aux moins de 17 ans non accompagnés aux États-Unis, ndlr], mais c'est plus sombre que ce que j'ai vu chez eux depuis un bon bout de temps.
Si Cruella existait auparavant, la Baronne est un personnage inédit. Et elle est à la fois fabuleuse et un cauchemar vivant : comment lui avez-vous donné vie ?
Emma Thompson : Je me suis inspirée de la vie en général. Et si mon mari était présent, il vous dirait "Elle n'a pas eu à jouer" (rires) Je me suis beaucoup amusée à l'incarner, car cela fait plusieurs années que je réclame de pouvoir jouer une méchante, une vraie. J'ai passé des années à jouer ce que ma mère appelait "des bonnes femmes en robe". Là je suis toujours en robe, mais je suis méchante. Et quelles robes d'ailleurs ! Ce n'était pas moi qui les portais, c'était l'inverse.
A chaque fois qu'Emma et moi arrivions sur le plateau, nous nous regardions et nous tournions autour, comme si nous étions des œuvres d'art. Et nous l'étions d'ailleurs. En quelque sorte, tout le monde a participé à la création de la Baronne, et moi je n'ai eu qu'à me présenter et dire mon texte (rires)
Je ne serais pas capable de jouer un personnage si je me disais qu'il est juste mauvais, que c'est juste un méchant.
Quelles étaient les consignes lorsque vous portiez ces tenues incroyables ? Pouviez-vous vous asseoir ? Aviez-vous le droit de manger avec ?
Emma Thompson : Non, mes sous-vêtements étaient comme le gréement d'un navire. Avec des gens qui tiraient sur des cordes. Aller aux toilettes était donc difficile et demandait plusieurs personnes. Les chaussures étaient un vrai défi car, dans la vie de tous les jours, je ne porte rien de plus haut que des tongs. Je portais aussi des perruques, donc j'étais plus grande que je ne le suis en vrai.
Je devais aussi entrer et sortir des pièces en marchant de côté, alors que j'avais trois dalmatiens à mes pieds. Donc les sous-vêtements, c'était quelque chose, mais pas pour Stone, évidemment. Car elle est mince comme tout et n'a pas besoin de porter un corset avec toutes ces baleines.
Emma Stone : C'est exactement ce que j'allais dire (rires) Il y avait une telle structure. Comme avec ton look à la Marie-Antoinette dans ta robe argentée à la fin. C'était un niveau intense de déguisement.
Emma Thompson : Oui mais toi tu es petite et mince. Alors que si tu es bien en chair, il existe la solution de l'époque : vous prenez la chair et, comme pour moi, vous la pressez au milieu. Ça monte et ça descend comme du dentifrice dans un tube. Mais cela permet de faire des formes assez marquées, et c'est amusant.
Bon, ça n'est pas incroyablement confortable au milieu du tube de dentifrice, mais nos formidables tailleurs et costumiers, emmenés par [la cheffe costumière] Jenny Beavan, ont pris du bon temps en mettant ce corset et en le serrant assez pour que des bouts de moi s'entassent en haut de ma tenue. Puis ils tiraient encore pour presser vers le bas, et tiraient à nouveau. Oh mon Dieu, une véritable boucherie (rires)
Quelle est la robe la plus dingue parmi celles que vous portez dans le film ? Celle dont vous étiez la plus fière et dans laquelle vous vous sentiez Cruella à 100%.
Emma Stone : Ma préférée, et de loin, c'est la robe absolument insensée que je porte sur le camion de poubelles. Avec une traine de plus de douze mètres de long qui n'était évidemment pas attachée à la robe, sans quoi je n'aurais pas pu aller nulle part. Elle a été rajoutée au dernier moment, quand j'étais déjà sur le camion pour tourner la scène.
C'était phénoménal, car très loin de ce que je pourrais porter dans la vie de tous les jours. Et j'aime aussi beaucoup cette jupe dingue avec laquelle je recouvre la voiture [de la Baronne]. Ça aussi c'était épique : essayer de marcher sur une voiture et la recouvrir avec un mouvement de la jupe. C'était fantastique. C'est vraiment dans ce genre de moments que je réalise que je suis dans un film.
Emma Thompson : Et ces moments étaient réels ! Je le sais car j'étais présente dans ces scènes, et il n'y avait pas la moindre image de synthèse. Tu es vraiment montée sur la voiture, en traînant ta robe, et tu l'as fait un million de fois car c'était dur. Et avec le camion de poubelles, ce moment où la traine glisse comme un serpent lorsqu'il démarre et roule, ça s'est vraiment produit.
Il y a quand même des effets numériques sur les chiens par moments, mais ils ont toujours été sur le plateau. Tout ce qui était faisable avec eux, nous l'avons fait, et c'était incroyable. Ils étaient vraiment doux et gentils, ils ont travaillé dur. Il y avait des petites croix au sol et nous leur demandions de retourner sur leurs marques comme des petits acteurs canins. Ils y allaient, ils attendaient et ils obtenaient une récompense.
Emma Stone : Le chien d'Estella, Buddy - qui s'appelle en réalité Bobby - était, je pense, le plus mignon et le plus gentil des chiens que j'ai connus dans ma vie. Et j'en ai connu un paquet.
Entre Estella et Cruella, qui préférez-vous, et qui représentait le plus gros défi ?
Emma Stone : C'est intéressant car il y a comme un rejet d'Estella à un moment. Elle est très gentille mais pas vraiment incarnée. Donc il y a quelque chose d'assez séduisant chez Cruella, car elle est vraiment qui elle est. Elle est autonome, en pleine d'acceptation d'elle-même. Son univers m'intéresse même si elle franchit des lignes que je ne franchirais pas. Mais, honnêtement, je préfère Cruella.
Elle était amusante à jouer. Quand vous êtes comme moi, avec un visage fait en caoutchouc et que vous essayez de vous contenir en jouant, le jour où vous pouvez en faire des tonnes, c'est une immense joie (rires)
La Baronne est un personnage insensible et égoïste, toujours prête à se servir des autres pour son bénéfice personnel. Comment avez-vous travaillé sur sa relation avec Estella ?
Emma Thompson : C'est vrai. Elle croit en la dureté et pense que c'est la seule façon d'obtenir ce qu'elle veut. Comme Emma, je m'intéresse au côté obscur des personnages féminins, car on ne leur permet que trop rarement d'aller vers cette noirceur. On nous demande d'être gentilles et bonnes, n'est-ce pas ? Et les mauvaises mères sont tout simplement impardonnables. Personne ne trouve les mots pour les qualifier.
On ne sait pas d'où cela vient, mais la Baronne, elle, est bornée. Et elle dit quelque chose de merveilleux : "Si je n'avais pas été obstinée, j'aurais dû ranger mon génie au fond d'un tiroir." Comme beaucoup de femmes géniales, mortes sans avoir pu produire quoi que ce soit ni faire usage de leur don. Et qu'ont-elles fait à la place ? Comme Emma le disait, je n'emprunterais pas nécessairement le même chemin qu'elle, mais son engagement envers sa propre créativité est admirable. Et probablement difficile.
C'est même ce qui aide un acteur que de parvenir à comprendre son point de vue, et ne pas nécessairement le voir comme le méchant de l'histoire. De comprendre ses motivations.
Emma Stone : Je ne serais pas capable de jouer un personnage si je me disais qu'il est juste mauvais, que c'est juste un méchant. Pensez-vous qu'une personne maléfique se présente en pensant qu'elle l'est ? Non, je ne pense pas. J'ai le sentiment qu'elle pense que ce qu'elle fait est juste. Sinon cela n'aurait pas de sens. Quand on joue un humain en tout cas. Peut-être que pour un robot c'est différent.
Je m'intéresse au côté obscur des personnages féminins, car on ne leur permet que trop rarement d'aller vers cette noirceur
Vous avez joué des personnages difficiles, mais la Baronne est particulièrement méchante. Vous êtes-vous inspirée de quelqu'un en particulier dont vous pouvez nous parler ?
Emma Thompson : C'était bien évidemment du jeu, car nous ne sommes pas vraiment méchantes. Mais il n'y a rien de plus amusant que faire semblant. Et ça m'est venu facilement. J'ai pourtant grandi avec une femme gentille et merveilleuse, ma mère, et mon père, un homme merveilleux. J'ai été entourée de personnes douces et aimantes, et j'ai rarement été confrontée à des personnes vraiment méchantes, dures et narcissiques. Mais il y en a quelques-unes dans le show business, sans citer de noms.
Cela se sait, et certaines ont même été révélées au grand jour récemment. Mais on en trouve dans toutes les professions, à chaque pas que l'on fait dans la vie. Et je pense que la Baronne est un mélange entre plusieurs types de personnes. Elle est vénale, mais son avidité n'est que pour elle-même. Elle ne peut pas supporter que quiconque réussisse. Elle ressent le besoin de se débarrasser de la concurrence alors que la compétition pourrait lui permettre d'élever son niveau.
Au final, elle se présente comme dotée d'une forte personnalité. Mais elle est en fait très faible et possède les germes de sa propre destruction en elle, dans la mesure où elle n'accepte pas le talent des autres. Donc quand elle rencontre quelqu'un qui est, non seulement talentueuse, mais plus qu'elle, et plus belle, elle se retrouve en grande difficulté. Et c'était évidemment très difficile d'être avec Emma Stone, qui est plus belle, jeune, talentueuse, etc. Mais j'ai ravalé mon amertume et fait avec. Notamment en buvant des verres de Negroni les uns après les autres pendant la nuit (rires)
Étiez-vous fan des "101 Dalmatiens" ? Et pouvez-vous nous parler de cet appel que vous avez reçu, pour jouer Cruella ?
Emma Stone : Oui, j'adorais le dessin animé. Et notamment le fait que les chiens ressemblent à leurs maîtres respectifs. J'ai toujours trouvé ça drôle, à tel point que, petite, j'essayais de voir si les chiens leur ressemblaient vraiment - et c'était souvent le cas. Et puis je trouvais que Cruella était un personnage amusant. Mais je n'ai pas reçu un simple appel pour l'incarner.
Cela remonte à quelque chose comme six ans. Bien avant que nous ne tournions le film en tout cas, et il y avait juste cette idée. Disney a toutes ces marques déposées, tous ces personnages, et il y a des brainstormings autour. Le processus a duré quatre ans, avec différents scénaristes, différentes idées mises sur la table, avec le sentiment que le film pourrait ne pas se faire. Car même s'il s'agit d'un personnage amusant et intéressant, le monde que nous voulions explorer n'était pas forcément taillé pour elle.
Ici nous la projetons dans les années 70 et c'est à la fois la Cruella que nous connaissons, et en même temps pas tout à fait, car nous avons créé une nouvelle histoire pour elle, avec des clins-d'œil amusants aux 101 Dalmatiens. Mais c'est vraiment lorsque Craig et Tony ont rejoint le projet qu'il a commencé à prendre son envol et devenir excitant. Et moi je me disais "Oh mon Dieu, on va faire Cruella ! C'est incroyable !"
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 15 mai 2021