Un symbole. Initialement attendu dans les salles françaises le 18 mars 2020, Sans un bruit 2 a fait partie des films les plus directement impactés par la crise du Covid-19 qui a mis le monde du cinéma à l'arrêt. Et ses affiches qui ont orné les bus et couloirs de métro pendant des mois apparaissaient comme des vestiges du monde d'avant. Tout en faisant écho à l'ambiance post-apocalyptique dans laquelle se déroule cette suite.
Comme le premier opus, celui-ci est réalisé par John Krasinski. Mais, à l'exception de l'impressionnante séquence d'ouverture, ce dernier ne joue pas dans le film. Emily Blunt, Millicent Simmonds et Noah Jupe sont quant à eux de retour, et accueillent quelques petits nouveaux, dont Cillian Murphy.
Alors que le long métrage peut enfin sortir dans le monde, c'est un metteur en scène heureux et soulagé qui évoque avec nous les défis de cette suite, plus nombreux que prévu, au téléphone.
AlloCiné : Comment vous sentez-vous alors que le film s'apprête enfin à sortir ?
John Kransinski : "Ravi" ne décrit pas vraiment la moitié de ce que je ressens. Je pense que nous, Emily et moi, sommes juste tellement, tellement heureux que ce film sorte enfin. Les circonstances étaient bizarres et dépassaient complètement notre imagination, mais je pense que nous avons toujours eu l'impression, dès le début, que repousser la sortie était la bonne chose à faire.
Et cela nous a aidés de ne pas prendre cette décision sur le plan émotionnel mais de la voir comme nécessaire. L'attente a été difficile parce que nous voulions vraiment le montrer à tout le monde.
Mais la raison pour laquelle nous avons choisi de le sortir plus tôt [la sortie était un temps prévue en septembre 2021, ndlr], et j'apprécie vraiment que Paramount ait pris cette décision, c'est parce que j'avais cette envie, au fond de moi, de mettre un terme à cette période vraiment difficile pour tout le monde, avec ce film que nous avions déprogrammé à la toute dernière minute et qui sera parmi les premiers à revenir.
C'était vraiment important pour moi. Donc maintenant j'ai vraiment, vraiment, vraiment hâte d'y être.
Vous avez parlé de cette décision de reporter la sortie mais que celle-ci se fasse dans les salles de cinéma. Y a-t-il quand même eu des approches de la part des plateformes de streaming ?
Il y a eu des discussions oui, c'est certain. Mais encore une fois, c'est Paramount qui a su maintenir le cap. Je comprends la nécessité commerciale pour tous ces films qui se tournent vers les plateformes. Paramount a été d'un grand soutien pour que je puisse sortir le film au cinéma.
Je me souviens leur avoir demandé, avant le report de la sortie, pourquoi ne pas attendre de pouvoir le voir tous ensemble. Et je les remercie d'avoir été si courageux et si patients en conservant le film jusqu'à maintenant, afin que nous puissions le projeter en salles. Car je pense vraiment qu'il est exclusivement pour l'expérience du cinéma.
Oui, c'est vraiment le film à voir en salles, pour tout l'aspect sonore.
Oh merci. Maintenant que vous l'avez dit, je vais capitaliser dessus (rires)
Le premier film était une lettre d'amour à mes enfants
Lorsque la suite a été annoncée, il y avait différentes rumeurs sur ce que pourrait être le film. Quand vous avez tous décidé qu'il prendrait cet aspect, en étant à la fois une suite et un spin-off grâce au personnage de Cillian Murphy et de la communauté dans laquelle il vit ?
Vous savez, et c'est bizarre de dire cela quand on regarde l'affiche, mais le premier film était une lettre d'amour à mes enfants. J'étais donc très réticent à l'idée d'en faire un deuxième. J'ai juste dit au studio qu'ils devraient trouver quelqu'un d'autre parce que je ne pensais pas être capable de me lier de nouveau au film d'une manière organique et personnelle. Mais l'idée que j'avais et qui me revenait sans cesse était : et si Millie [Simmonds, interprète de Regan, ndlr] était le personnage principal ?
Je pense que cela m'a ouvert beaucoup de portes. Car non seulement elle représente la bravoure et le courage des jeunes, l'idée qu'ils peuvent avoir une voix forte dans le monde et faire ce qui est juste. Mais elle s'inscrit aussi dans la continuité de mon personnage et de tout ce qu'il faisait dans le premier film, à savoir la protection et la responsabilité, et l'idée d'être le leader. De cette famille, mais aussi auprès du reste du monde, en étant assez courageuse pour lui apporter la réponse qu'elle a en main. Et je me suis dit que cette métaphore de la croissance était quelque chose de vraiment beau que je voulais explorer.
Vous venez de dire que le premier film était une lettre d'amour à vos enfants. Que serait ce second film dans ce cas ?
C'est une bonne question. Pour moi, le premier film parlait de la promesse que tous les parents font à leurs enfants - à savoir qu'ils seront toujours là pour eux. Mais c'est une promesse que la plupart des parents font à leurs enfants pour qu'ils se sentent en sécurité. Le deuxième film parle du moment où cette promesse est inévitablement rompue. Et elle l'est par tous les parents, qu'il s'agisse d'aller à l'université, d'avoir un premier rendez-vous, peu importe, il faudra un jour sortir seul dans le monde.
C'est d'ailleurs la définition du fait de grandir. Je pense que c'est le moment de transition entre l'adolescence et les dures réalités de la vie qui commencent à apparaître. J'ai pensé que j'aimerais explorer la continuation de cette relation parents-enfants et l'idée de l'espoir que, si tout va bien, vous avez préparé vos enfants à être des membres forts et déterminants dans le monde, capables d'apporter des changements et d'être suffisamment courageux dans des situations où vous n'auriez jamais pensé pouvoir l'être. Ce qui est exactement ce que nous avons fait dans ce film.
Cette transition dont vous parlez, on la retrouve également à différents niveaux dans le film. Et notamment parce que, à l'exception de la séquence d'ouverture, vous n'êtes "que" réalisateur. Était-ce plus facile pour vous d'être uniquement derrière la caméra cette fois-ci ?
C'était assez drôle pour moi. Être acteur m'a été utile à bien des égards. Car si quelque chose m'apparaissait comme un problème, je n'avais pas forcément besoin d'en discuter avec quelqu'un pour tenter de le résoudre. Dans le premier film, par exemple, lorsque j'ai dû monter en haut de la tour pour allumer le feu, nous n'avions que dix minutes de lumière du jour pour le tournage.
Donc je n'ai pas eu à expliquer à quelqu'un ce que je voulais pour la scène : j'ai juste couru en haut d'une échelle et fait exactement ce que je souhaitais. Pour cette raison, d'un point de vue logistique, il est parfois plus facile pour moi d'être l'acteur dans certaines scènes.
Mais vous avez raison en ce qui concerne ce film, qui est définitivement plus grand et à plusieurs niveaux. Et je pense que, me concernant, c'était vraiment bien de n'être que le réalisateur de ce film pour pouvoir me concentrer et m'assurer que tous les effets spéciaux, tous les effets visuels, tous les merveilleux acteurs étaient pris en charge et que nous exécutions parfaitement toutes ces choses. Surtout dans le cas d'une scène comme celle qui ouvre le film.
Mon plan préféré du film est probablement celui où Emily est dans la voiture - et je sais que ce n'est pas un spoiler car c'était dans la bande-annonce. Mais c'est un plan-séquence qui a demandé six semaines de préparation et trois de répétitions [avec l'équipe technique]. Puis il a fallu qu'Emily le fasse. Je lui ai demandé si elle voulait faire une répétition et elle m'a répondu : "Non, je veux juste le vivre pour la première fois." Et c'est ce que l'on voit à l'écran.
Quelque chose en moi me faisait sentir que c'était la bonne chose à faire, en tant que réalisateur, que de prendre ce risque. Mais je ne l'ai pris que parce que j'avais le soutien de l'équipe à tous les niveaux. C'était une situation où tout le monde était impliqué, une situation où tout le monde a contribué à ce que cela marche. Et c'était vraiment un très beau moment. J'ai eu l'impression que nous faisions tous partie d'une équipe et que nous avions gagné quelque chose.
Y a-t-il un aspect particulier sur lequel vous vouliez vous focaliser ? Sur le plan technique ou thématique.
Oui, le thème de grandir. Mais également ces idées d'espoir et de communauté, dont tout le monde parle à un moment dans sa vie. La communauté, faire confiance à son voisin. Voulons-nous vivre isolés, ou sommes nous prêts à tendre la main à notre voisin, à l'aider ? Nous nous posons tous cette question de différentes manières tout au long de notre vie.
Et voir la petite fille de notre film avoir le courage que, je pense, la plupart des adultes n'ont même pas - c'est-à-dire relever ce défi qui est de tendre la main aux autres et de prendre des risques pour d'autres personnes de manière désintéressée - m'a vraiment enthousiasmé sur le plan thématique. D'un point de vue technique, Sans un bruit 2 correspond à plusieurs sensibilités différentes. En matière de ton, mes références pour les premier opus étaient plus No Country for Old Men ou There Will Be Blood, ce genre de western moderne.
Ici, et notamment pour la scène d'ouverture, j'avais en tête des films comme Les Fils de l'homme, avec cette volonté de faire en sorte que le public ait l'impression d'être là avec vous. C'est extrêmement excitant et amusant, mais aussi très anxiogène parce que les chances de réussir comme d'échouer sont élevées. Nous avons donc travaillé très très dur pour que cette séquence d'ouverture donne l'impression que vous faites partie du film.
C'est drôle que vous mentionniez "Les Fils de l'homme", car cela se sentait clairement. Et notamment lorsque vous évoquiez, il y a quelques minutes, cette scène d'ouverture qui rappelle le plan-séquence dans la voiture.
Je m'en suis clairement inspiré oui, car Alfonso Cuaron est un génie. Dans tous les sens du terme. Mais ce que j'ai surtout retenu de ce plan-séquence, c'est sa capacité à faire monter votre cœur dans votre gorge. Vous vous sentiez très nerveux et tendu. Ici, nous avons donc modifié la technologie et essayé d'aller un peu plus loin en faisant en sorte que le reste du monde autour d'eux soit plus agressif.
Je me rappelle aussi du début avec Clive Owen et le café qui explose juste derrière lui : la peur était si palpable que je me sentais comme si j'avais subi cette explosion. On ressent ce qui se passe dans ce film à un niveau tellement personnel que ça l'a rendu terrifiant.
Nous avons travaillé très très dur pour que la séquence d'ouverture donne l'impression que vous faites partie du film.
Quel a été le plus gros défi pour vous : créer l'univers dans le premier film, ou l'étendre et faire en sorte que la suite soit au moins aussi bonne que son prédécesseur ?
Je tiens tout d'abord à dire que je suis très heureux de vous entendre dire cela (rires) Cela compte beaucoup pour moi. Ensuite je pense que la suite a probablement été plus difficile. Pour le premier, je pense qu'il y avait peu d'attentes. Personne ne savait que ce film fonctionnerait ou que les gens voudraient y prêter attention. On avait presque l'impression d'être un gamin dans sa cave, qui travaillait dans son laboratoire sans que personne ne sache qu'il allait montrer au reste du monde.
Cette fois-ci, il fallait prendre en compte cette idée d'attente, le fait que les gens connaissaient le monde et s'attendaient à ce que certaines règles soient suivies. Nous voulions tenir nos promesses à tous les niveaux, et c'est pour cette raison que le deuxième film a été plus difficile. Honnêtement, j'ai fait ce deuxième film pour le public. J'ai senti qu'il était incroyablement généreux et qu'il avait tellement aimé le premier film. Je voulais faire en sorte qu'il mérite tout l'amour qui a été donné au premier.
Avez-vous été tenté de faire quelques modifications pour améliorer le film ? On sait que les réalisateurs aiment faire des ajustements jusqu'à la dernière minute. Et dans votre cas, la dernière minute est arrivée plus tard que prévu.
Oui c'est vrai. Nous avons eu quelques jours supplémentaires pour le mixage sonore. Même après la première du film. Ils m'ont généreusement laissé revenir sur le film pour faire quelques retouches sur le son. Mais en-dehors de cela, le film qui sort est vraiment celui que vous aviez vu il y a un an. Je suis repassé dessus pour les salles Atmos, mais je n'ai rien changé au contenu du film.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 12 mai 2021