Luther est adaptée de la série britannique du même nom, portée par l'acteur Idris Elba. Etait-ce un défi de reprendre ce rôle après un interprète aussi emblématique ?
Christopher Bayemi : On me demande souvent si j'ai de la pression, mais j'ai plutôt un sentiment de fierté de pouvoir endosser un rôle pareil après un comédien comme lui. C'est pour moi un honneur de jouer ce personnage. Idris Elba fait partie des comédiens que je suis depuis longtemps. Quand j'étais petit, à l'âge de 5, 6 ans, et que je regardais des séries ou des films français, j'avais un peu de mal à me projeter. Et quand j'ai découvert qu'il y avait des acteurs Noirs américains ou anglais, je me suis suis rendu compte qu'on faisait aussi partie de ce champ culturel. Ca m'est resté, donc je suis énormément de comédiens noirs, mais ça ne m'empêche pas d'être fan d'un comédien comme Vincent Lindon, qui est mon acteur fétiche.
D'autant plus que le public de TF1 ne connaît pas forcément la série originale ni votre homologue anglais...
Exactement. C'est une série qui a été diffusée quelque temps sur Canal+ il me semble. Une chaîne sur abonnement, une série anglaise... Donc, effectivement, je pense que pour la plupart cette série n'est pas vraiment connue, à part si on est vraiment féru de séries. Donc ça va être une vraie découverte pour les téléspectateurs de TF1.
Justement, est ce qu'il y a un œuvre, une fiction ou même un acteur qui vous ont donné envie de faire ce métier ? Quel a été le déclencheur ?
C'est une très bonne question, je vais vous raconter ma petite histoire alors... (rires) Quand j'étais au lycée, j'étais sportif de haut niveau en athlétisme, j'étais en équipe de France. Je suis allé dans un lycée option sport, dans lequel j'ai rencontré deux professeurs extraordinaires, une prof de littérature et une prof de sport. Leur idée, c'était de nous proposer des activités qui mêlaient leurs deux disciplines.
On a commencé par créer des poèmes qui parlaient de sport et ensuite, elle nous ont proposé de nous mettre en scène. A ce moment là, je me suis rendu compte que j'avais autant de plaisir à être sur une piste d'athlétisme que sur un plateau de théâtre. J'ai senti des choses vraiment similaires en termes d'émotions.
A la sortie du lycée, je me suis posé des questions, mais j'ai préféré sauver un peu mes arrières en restant dans le sport, domaine que je connaissais, en me disant que si un jour l'envie revenait, il sera toujours temps pour moi de bifurquer. J'ai passé un diplôme d'éducateur sportif, j'ai travaillé pendant deux ans mais pendant cette période, je me suis gravement blessé au genou et ma carrière s'est totalement stoppée. Avant ça, le sport, c'était toute ma vie, je ne faisais que ça.
Pendant ma convalescence qui a duré presque deux ans, j'ai découvert d'autres choses : j'ai essayé de combler mon temps par les sorties, le cinéma, le théâtre justement... Et quand il a fallu retourner à l'entraînement tous les jours, faire toutes ces concessions alors que j'avais une vingtaine d'années, j'avais l'impression de ne rien connaître à la vie. Je n'ai pas réussi à y retourner.
A côté de ça, il fallait que je retrouve une activité qui soit aussi forte et intense pour moi. Et suite à une rencontre avec une comédienne, je me suis dit "c'est parti, je me lance". Suite à ça, j'ai tout quitté en 2011. Je suis entré dans une école de théâtre dans le 18ème arrondissement de Paris, et j'y ai rencontré des gens qui sont désormais ma petite famille, des amis avec qui on a fait les quatre cent coups, le Festival d'Avignon, des courts métrages... Et un an après ma sortie d'école, j'ai eu la chance de rencontrer Arthur Jugnot, qui m'a fait jouer dans la première pièce où j'ai été payé en cachet, et j'ai eu mon premier statut d'intermittent un an après. Depuis, je ne m'arrête pas ! Je touche du bois... (rires)
Luther est votre premier rôle principal. Qu'est ce qui a fait la différence au moment de vos essais lors du casting ? Pourquoi vous a-t-on choisi ?
Sincèrement, je ne sais pas du tout. C'est un processus qui a duré longtemps, à peu près un mois et demi. J'ai fait cinq ou six castings - normal, parce que le challenge était important. Il ne fallait pas que la production, TF1 ou le réalisateur se trompent. Tout au long du processus, j'ai senti que j'étais soutenu par Joanna Delon, la directrice de casting sur Luther, par la production exécutive et par le réalisateur David Morlet, qui sont entre-temps venus me voir jouer au théâtre. Ils sont allés me chercher, peut être pour se rassurer, mais cet accompagnement m'a mis en confiance. J'étais serein sur mes derniers essais, et j'ai pu tout donner. C'est là qu'ils m'ont choisi.
Comment vous êtes-vous approprié le personnage de Théo Luther ? Qu'est-ce que vous lui avez apporté ?
Pour moi, Théo Luther, c'est vraiment l'archétype du héros. C'est un justicier fanatique; il a beaucoup de charisme, il est très vif, passionné par son travail. Et ce qu'il aime par dessus tout, c'est démonter les mécanismes psychologiques des criminels. C'est un cérébral, qui se sert de son intellect comme sixième sens.
En parallèle, et c'est ce qui le rend borderline, il est un hanté par ses démons et rempli de traumatismes qui le poussent parfois à faire des choix pas très académiques quand il cherche à résoudre des enquêtes, pour ne pas dire totalement condamnables. C'est ça que je trouve très intéressant dans ce personnage : malgré cette puissance, c'est quelqu'un qui a énormément d'empathie, qui est finalement très sensible.
Pour moi, c'est un espèce de super-héros, et tous les super-héros ont des caractéristiques psychologiques très précises. Je me suis beaucoup aidé de l'oeuvre originale parce je voulais vraiment qu'on voit le personnage, qu'on voit Luther. J'ai cherché les liens que je pouvais avoir avec ce personnage, j'ai tiré les ficelles pour essayer de me l'approprier.
J'ai regardé ce qui me ressemblait, j'ai fait mes choix et travaillé là-dessus. Ce qui me touche beaucoup dans ce personnage, c'est son engagement, le fait qu'il se donne à cent pour cent. Il a toujours deux, trois coups d'avance, et fera toujours tout son possible pour résoudre ses enquêtes. C'est cet engagement qui m'a vraiment touché.
Quitte à ce que son impulsivité lui coûte parfois cher...
C'est ça. C'est son côté borderline qui prend le dessus, et le fait qu'il soit énormément affecté par son passé. Sans tout dévoiler, on voit dès le début du premier épisode qu'il a vécu des choses assez troublantes. Il a ce syndrome du héros qui veut y arriver à tout prix, et ça lui donne une énergie qui, parfois, déborde et le rend explosif. On a choisi un autre angle, en essayant de garder un peu ce qu'il y avait dans la version originale mais on a fait ce choix dans l'adaptation d'être un peu plus atténué dans son tempérament.
Face à lui, le personnage d'Alice Morgan est en quelque sorte son nemesis. Détail amusant, vous êtes à nouveau réunis dans une série avec son interprète, Chloé Jouannet, après avoir été tous deux au casting de la série Infidèle...
Effectivement, on a joué dans Infidèle mais nous n'avions pas de scènes en commun. Donc c'était la première fois que je jouais avec Chloé, et son personnage est magnifique. Il est totalement lié à Luther. Très vite, il a une intime conviction sur Alice Morgan, à la fois victime et suspecte dans une affaire de double meurtre. Il pense que ça va se régler en deux temps, trois mouvements et finalement, on se rend compte qu'en face de lui, il a quasiment son alter ego, son double maléfique. Il est face à une femme extrêmement intelligente, qui a beaucoup d'éloquence et de répondant, qui est très sûre d'elle et sûre de sa supériorité.
Et finalement, c'est un peu ce qui va lui plaire chez elle. Elle a aussi ce côté un peu manipulatrice, un peu comme lui lorsqu'il essaie de rentrer dans le cerveau des criminels. Tout ça va le toucher, et il va être très attiré par cette femme. Entre eux deux va se créer un espèce de jeu d'échecs. Ça va être à qui va faire le meilleur coup.
Comment avez vous développé votre relation de travail sur le tournage ?
Comme ce sont deux personnages qui sont très en opposition, on ne voulait pas trop se voir en amont pour justement, en arrivant sur le plateau, se laisser surprendre. Ne pas trop discuter des séquences avant pour que nos scènes restituent l'impression de ces deux blocs qui se rencontrent, qui se découvrent sur le moment. Ca nous a aidés de ne pas être trop dans la proximité pendant le travail.
Les séries policières sur TF1 sont légion; qu'aimeriez que cette série puisse transmettre ? Qu'espérez-vous que le public retienne ou apprécie en découvrant Luther ?
Déjà en tant que spectateur, ce que j'apprécie dans cette série, c'est qu'elle est très brute, très énervée. On rentre dans des enquêtes aux sujets compliqués, mais malheureusement, les dernières informations nous le montrent, ça fait partie de notre quotidien. Il y a des gens qui se donnent corps et âme pour essayer de nous protéger, c'est une vérité.
Sur HPI, une autre série de TF1 dans laquelle j'ai un petit rôle, j'ai eu la chance de déjeuner avec un commissaire de la brigade criminelle de Lille, par l'intermédiaire de Mehdi Nebbou. Il est intervenu lors des tueries du Bataclan. Il nous a raconté son parcours professionnel et psychologique, et c'est ce côté-là de la police qu'on oublie parfois : des gens qui s'engagent énormément, et quand ils rentrent chez eux, ils ne pensent qu'à leur enquête. C'est ce que j'aimerais que le public voit : quand on est au coeur du sujet, c'est toujours délicat de faire le meilleur choix, s'il y en a un.
Pour finir, avez-vous d'autres projets à venir ou en cours après Luther ?
Pendant Luther, j'ai tourné dans une autre série qui s'appelle J'ai Menti pour France Télévisions, avec Camille Lou et Thierry Neuvic notamment. Et puis aussi, cet été, je vais tourner dans un film qui s'appelle Le Coq sur un escalier de secours, réalisé par une femme qui s'appelle Guetty Felin. Elle avait réalisé un film il y a quelques années, Zombi Child, qui a été le premier film haïtien proposé aux Oscars. Forte de cette aura, elle a fait pas mal de festivals en France et dans le monde, et elle se lance sur son deuxième long-métrage, dans lequel on suivra une famille haïtienne dans les années 1960, qui fuit la dictature en place et qui va se réfugier aux États-Unis. Ça va être très fort.