Ne manquez pas ce soir à 20h50 la diffusion sur France 5 de Coup de torchon, petit chef-d'oeuvre féroce et gorgé d'humour noir signé par le regretté Bertrand Tavernier, qui nous a quittés le 25 mars dernier à l'âge de 79 ans.
Lucien Cordier, unique policier d'une petite bourgade africaine perdue au fin fond de la brousse (et génialement incarné par Philippe Noiret), est un être faible. Sa femme le trompe, les proxénètes le provoquent ouvertement, même son collègue Chavasson affiche un vrai mépris pour lui. En un mot comme en cent : le représentant de l'ordre est la risée de la petite ville de Bourkassa... Du moins jusqu'à ce que Cordier n'entre un jour dans une folie meurtrière et se décide à finalement donner un coup de torchon contre tous ceux qui le maltraitent...
Sorti en 1981, Coup de torchon est une brillante adaptation du roman noir américain de Jim Thompson, paru sous le titre français 1275 âmes. Si ce dernier était un auteur reconnu et a d'ailleurs été plusieurs fois adapté au cinéma (comme The Killer Inside me par exemple), il fut aussi un formidable scénariste hollywoodien, travaillant notamment à deux reprises avec Stanley Kubrick. En 1956 d'abord, en ayant en charge l'écriture des dialogues d'un chef-d'oeuvre du film noir, L'ultime razzia. Puis l'année suivante, crédité en tant que co-scénariste sur un autre chef-d'oeuvre absolu, Les Sentiers de la gloire, qui reste un des meilleurs films jamais consacrés à la Grande Guerre.
Pourtant, ce travail d'adaptation fut un chemin de croix pour Tavernier. "Je me suis heurté durant des années au problème d'adaptation. Je n'y arrivais pas. J'ai essayé de transposer l'intrigue en France dans une époque plus reculée, dans le Nord, le milieu des mineurs, en 1924-1925" expliquait le cinéaste dans une passionnante interview accordée à la chaîne Arte en 2018. "C'est en relisant le livre de Céline, Voyage au bout de la nuit, que je me suis dit : "ca y est, j'ai trouvé, on doit le faire en Afrique !" Et le faire en 1939, juste avant la guerre".
Exit donc le cadre initial du roman - un petit village du Sud des Etats-Unis -, et place désormais à la brousse africaine. Tavernier sera aidé dans sa lourde tâche par une formidable plume ; celle du scénariste, adaptateur et dialoguiste Jean Aurenche, avec qui il avait travaillé sur son tout premier film, L'horloger de Saint Paul. "Il connaissait très bien l'Afrique Noire, il y avait été et connaissait des tas de petits détails" se souvenait Tavernier. Qui ajoutait : "Mais avec Aurenche, il y a toujours un truc qui se passe, c'est qu'à un moment, il perd courage. [...] Il me disait : "je n'ai pas assez de talent, ce que tu veux est tellement ardu que je n'y arriverai pas. [...] J'ai tenu bon et finalement on a pu repartir !"
Grâce leur soit rendue pour avoir réussi à accoucher de cette oeuvre, violente satire du colonialisme et du racisme, dans laquelle une fabuleuse galerie de portraits (Guy Marchand, Jean-Pierre Marielle, Philippe Noiret, Isabelle Huppert, Eddy Mitchell...) révèle des individus pataugeant avec rage dans tous les vices de l'Humanité. Coup de torchon, ou le jeu de massacre qui se révèle aussi jubilatoire que drôle.