Immense comédien à la fabuleuse filmographie, ayant tourné avec les plus grands, figurant parmi les derniers géants de l'âge d'or d'Hollywood, Kirk Douglas nous a quitté il y a tout juste un an, à l'âge plus que vénérable de 103 ans.
Si l'intéressé a joué des personnages très souvent positifs, même si parfois ambiguës, il a aussi incarné beaucoup plus rarement des figures de salauds à l'écran, en tout cas bien moins sympathiques. Mais dans tous les cas des rôles tout aussi complexes et magnifiques. L'anniversaire de son décès est justement une bonne occasion de se repencher dessus.
Les Ensorcelés (1953)
Le producteur Harry Pebel convoque dans son bureau Georgia Lorrison, une grande actrice, Fred Amiel, un jeune réalisateur, et James Lee Bartlow, un écrivain. Pebel attend un coup de téléphone de Jonathan Shields. Celui-ci a permis à ces trois personnes d'accéder au rang de star mais s'est parfois mal comporté avec elles. Aujourd'hui en difficulté, il leur demande de l'aider...
Bien sûr, Billy Wilder est déjà passé par là avec son Boulevard du crépuscule, trois ans auparavant. Reste que ce très grand film de Vincente Minnelli est plus que recommandé. Ne serait-ce déjà que pour voir un Kirk Douglas absolument génial dans un de ses très rares rôles d'authentique salaud. Celui d'un producteur tyrannique, égoïste, vil et odieux, sordide et sans scrupule, manipulateur. Une authentique ordure comme l'était son père dans le film et dont il prend la succession.
Pour Minnelli, il s'agit d'une histoire cynique et cruelle, auréolée d'un certain romantisme. Comme l'écrivait en 2000 Jean-Pierre Deloux (décédé en 2009), rédacteur en chef de la revue POLAR, à propos du cinéaste : "Cette histoire synthétise tout l'amour et la haine des gens du cinéma envers Hollywood, l'ambition, l'opportunisme, le sentiment de puissance. Mais le film montre aussi le respect que portent les gens du cinéma à ceux qui dépensent leur talent sans compter. [...] Rêves de puissance, de succès ou de gloire motivent les protagonistes du film, aux aspirations "Bigger Than Life".
Le Gouffre aux chimères (1952)
C'est l'histoire d'un journaliste porté sur la bouteille qui trouve une bonne histoire et va l'exploiter jusqu'au macabre. Ce point de départ est celui d'un film injustement méconnu tant il est d'une actualité brûlante. Nous sommes en 1951 et Billy Wilder, journaliste de formation, dresse un portrait cynique d'une certaine presse et de la façon dont l'information peut être tordue et manipulée à des fins personnelles (ici un journaliste en mal de scoop). Nous n'entrerons pas davantage dans le détail, en laissant le spectateur découvrir jusqu'où va aller ce journaliste joué par un extraordinaire Kirk Douglas sous les traits de Charles Tatum, hypocrite et manipulateur hors pair, prêt à tout pour un scoop. Immanquable.
Les Vikings (1958)
Chef-d'oeuvre du film d'aventure mis en scène par le vétéran et très solide artisan Richard Fleischer, Les Vikings ne souffre aucunement du syndrôme du film multi-rediffusé, encore tout récemment d'ailleurs. Quatre ans après 20.000 lieues sous les mers, Kirk Douglas, également producteur du film, est ici un fabuleux et impitoyable Einar, fils de Ragnar, défiguré par le faucon dressé par son rival joué par Tony Curtis, qui se disputent les faveurs de Janet Leigh. Sublimé par une fabuleuse photo signée par Jack Cardiff, un des meilleurs chefs opérateurs, grand succès mérité en salle à l'époque, Les Vikings ont bercé des générations entières de cinéphiles.
Le Reptile (1970)
Paris Pittman, incarcéré à la prison fédérale d’Arizona pour vol à mains armées, est un manipulateur et un grand charmeur. Les 500 000 $ qu’il a caché avant son arrestation, ainsi que le brillant plan qu’il a mis au point pour s’évader et récupérer son butin, font pour beaucoup dans sa popularité auprès des autres détenus. Le nouveau directeur de la prison, Woodward Lopeman a lui aussi des idées derrière la tête : le charisme de Pittman peut l’aider à rallier les détenus à sa cause en vue de réformer l’institution pénitentiaire. Seulement, leur collaboration a des limites… chacun n’ayant d’autre but que d’assouvir ses propres intérêts…
Venant de l'auteur de classiques comme les raffinés L'Aventure de Mme Muir ou encore La Comtesse aux pieds nus, Le Reptile est une oeuvre totalement atypique dans la filmographie de Joseph L. Mankiewicz, et presque atypique tout court. Le réalisateur d'Eve livre avec ce film une fable picaresque, cynique, scatologique et anarchiste. Le film est aussi ancré dans une période où des bouleversements esthétiques majeurs s'opèrent au sein de l'industrie cinématographique américaine.
Le genre du western, jusque-là très codifié, subit de profondes mutations, notamment sous l'influence du western transalpin dont Sergio Leone reste l'un de ses meilleurs représentants, signant en 1969 ce qui est considéré comme le western italien définitif : Il était une fois dans l'Ouest. La même année, la Horde sauvage de Sam Peckinpah constitue une première réponse au western italien, tout en sonnant aussi d'une certaine manière le glas d'un genre. En 1970, toujours dans le prolongement de ces bouleversements esthétiques, Willie Boy d'Abraham Polonsky relate le drame indien, tandis qu'un an après la sortie du Reptile, Robert Altman signe John McCabe, un anti-western.
Toutefois, contrairement à ses confrères, Joseph L. Mankiewicz ne souhaite pas donner à son film une teinte crépusculaire, mais souhaite mettre en exergue une fable sur la vilenie de la nature humaine, peuplée d'escrocs (c'est d'ailleurs le sens premier du titre en VO; "a crook" étant un escroc), où tous les coups (tordus) sont permis pour arriver à ses fins. Et à ce petit jeu là, Kirk Douglas fait des merveilles, sans oublier une fin délicieusement amorale que nous taierons pour ne pas vous gâcher le film. Fabuleux.