Mon compte
    OVNI(s) sur CANAL+ : "Didier Mathure, c'est un peu Scully qui deviendrait Mulder"
    Julia Fernandez
    Julia Fernandez
    -Journaliste Séries TV
    Elevée à « La Trilogie du samedi », accro aux séries HBO, aux sitcoms et aux dramas britanniques, elle suit avec curiosité et enthousiasme l’évolution des séries françaises. Peu importe le genre et le format, tant que les fictions sortent des sentiers battus et aident la société à se raconter.

    Lancée le 11 janvier sur CANAL+, OVNI(s) explore la France désuète des années 1970 et la fascination pour le paranormal à travers la comédie et un ton décalé plein de poésie. Retour sur la genèse de la série, née sur les bancs de l'école de la Fémis.

    OVNI(s) épisodes 4 à 6, lundi 18 janvier à partir de 21h sur CANAL+

    Enquêtes paranormales, hommage assumé aux comédies françaises des années 1970 et à la pop-culture, OVNI(s) sort des sentiers habituels de la fiction française. Avec sa galerie de personnages aux airs de héros de bandes-dessinées lancés dans une aventure aux frontières de la science, elle délivre un sous-texte moderne sur l'homme Alpha en crise et les prémices des combats féministes qui émergent en cette fin de décennie. Un projet initié par deux jeunes scénaristes, Clémence Dargent et Martin Douaire, qui ont fait leurs armes sur Fais pas ci, fais pas ça, et mis en scène par le réalisateur Antony Cordier (Gaspard va au mariage).

    OVNI(s)
    OVNI(s)
    Sortie : 2021-01-11 | 30 min
    Série : OVNI(s)
    Avec Melvil Poupaud, Michel Vuillermoz, Géraldine Pailhas
    Presse
    3,7
    Spectateurs
    4,2
    Voir via MyCanal

    Un projet de fin d'études

    Etudiants à la Fémis, Clémence et Martin se sont rencontrés dans la deuxième promotion du département création de séries TV fraîchement créé par la célèbre école de cinéma parisienne. Ovni(s) est leur projet de fin d'études : une idée qui est venue à Martin Douaire car il avait entendu parler du GEIPAN, ce bureau d'enquêtes très spéciales fondé en France en 1977 et dédié à l'étude des OVNIS. "Très vite, en parlant avec Martin, alors que j'avais envie de faire un projet sur la schizophrénie, des thématiques communes se sont croisées : les hallucinations, l'envie de croire... Un potentiel de cadre et d'arène pour une série d'enquêtes un peu décalées sur les OVNIS en France" explique Clémence Dargent. Après de nombreuses recherches, l'envie de faire une série d'époque, qui raconte aussi cet âge d'or de l'ufologie où les OVNIS étaient un sujet de conversation, émerge. Un projet étudiant qui a rapidement séduit la fiction originale de Canal+. "On avait envie d'un univers fort, de partir à la recherche d'un genre, d'un ton qui n'existaient pas, d'aller chercher quelque chose qu'on avait envie de voir à la télévision. Mais aussi de nous emparer de notre culture française pour réussir à trouver dedans quelque chose d'assez haut en couleurs, et faire se confronter des genres", poursuit Martin Douaire. 

    Approche scientifique et ufologie

    "Le GEIPAN existe toujours aujourd'hui, mais le sous-sujet de la série était d'explorer un monde qu'on n'avait pas connu", poursuit le scénariste. Celui dans lequel ont grandi leurs parents, cette France qui amorçait la fin des Trente glorieuses, où les certitudes commençaient un peu à vaciller et où un certain enthousiasme se manifestait malgré tout. Une époque de la ruée vers l'or dans les domaines de la science, une foi dans le progrès, une croyance dans la découverte. "On voulait à la fois revisiter le pittoresque du genre et restituer l'énergie de cette époque-là à travers les personnages.

    Une époque où, contrairement à aujourd'hui, les enquêtes du GEIPAN se faisaient sur le terrain, au porte-à-porte et en trench coat. Les deux auteurs ont tenté de mettre en images la science, la notion de découverte et la fascination pour les OVNIS émanant de cette période. "Le fait que le GEIPAN ait été créé à cette époque-là est assez emblématique; au départ, l'idée était de mettre les meilleurs ingénieurs du CNES sur le coup pour essayer de comprendre, de s'avoir s'il y avait une potentielle découverte scientifique à faire... C'était une époque où il y avait vraiment cette envie d'y croire !" renchérit Clémence Dargent. Par la suite, le GEIPAN est devenu un service public dédié à la recherche d'explications rationnelles sur le cosmos, "une exception française permettant d'avoir une réponse officielle et étatique à donner à ces mystères-là.

    Au fil de leurs recherches dans les archives de l'INA, les témoignages authentiques de gens interrogés à cette époque les ont fascinés. "Il y avait au GEIPAN un contact humain très fort. Eux qui sont des ingénieurs, se retrouvaient face à des gens ayant du mal à s'exprimer et à décrire ce qu'ils voient." Les deux scénaristes ont par la suite rencontré des directeurs de l'institut, qui leur ont répondu très vite. "On leur a écrit un mail quand on était encore à la Fémis, dix minutes plus tard on recevait une réponse nous proposant de venir les voir à Toulouse ! On s'est dit qu'ils ne devaient pas avoir beaucoup de cas d'OVNIS à traiter à ce moment-là", s'amuse Martin Douaire.

    A Toulouse, ils rencontrent Xavier Passot, responsable du GEIPAN de 2011 à 2016. "On a découvert son petit bureau, avec des dessins d'enfant, et ce qu'il appelait "sa boîte à lulu", dans laquelle il gardait les témoignages les plus farfelus. Il avait un pull sans manche en tricot avec son petit badge du GEIPAN épinglé dessus... [Avec Clémence] on commençait de plus en plus à se dire que la série allait être une comédie."

    Xavier Passot les met ensuite en contact avec deux personnes ayant participé aux débuts du groupe de recherches : le directeur Alain Esterle, qui est un peu l'équivalent du personnage de Didier Mathure dans la série, et François Louange, un informaticien qui leur a inspiré le personnage de Rémy, joué par Quentin Dolmaire. "Ils étaient vraiment passionnés, ils ont vécu une époque où on avait l'impression d'inventer une discipline, une méthode... L'impression d'être des aventuriers d'une nouvelle science."

    Au cours de leurs recherches, les deux scénaristes se rendent également à des réunions sur l'ufologie se déroulant dans des lieux inattendus, comme la Cafétéria du Casino des Quatre Temps à la Défense où, tous les premiers mardis du mois, se réunissent des gens qui ont quelque chose à dire sur les OVNIS. "On a vite compris qu'Ovni(s) était à placer sous le signe de l'enthousiasme et de gens passionnés", souligne la scénariste.

    Une famille politiquement incorrecte

    Didier Mathure (Melvil Poupaud) et Elise Conti (Géraldine Pailhas) forment un couple qui détonne dans cette France de 1978. Divorcés, ambitieux et quelque peu largués face à leurs enfants, lui est "un père qui n'a pas ressenti ce qu'il est sensé éprouver vis-à-vis de ses enfants", explique Martin Douaire : cette espèce d'amour inconditionnel et d'admiration sans bornes. "Il s'est toujours senti comme un extra-terrestre face à eux." Quant à Elise, elle se heurte aux obsessions très individualistes de son ex-époux, couplé au sexisme ordinaire du milieu scientifique qui empêche ses projets scientifiques de se concrétiser. Une volonté de désacraliser les névroses familiales et de réussir à brosser un portrait de parents imparfaits avec sincérité, sans jamais juger leurs défauts. "Dans le rapport aux OVNIS de Didier, nous voulions illustrer sa difficulté à trouver sa place au sein de sa famille. En appréhendant ses proches comme des mystères qu'il tient un peu à distance, on voulait faire que son envie de se rapprocher d'une vérité scientifique traduise une manière de se rapprocher d'une vérité plus intime par rapport à lui-même."

    Une série rétro-pop

    Pour le réalisateur Anthony Cordier, qui n'appartient pas à la même génération que les auteurs, échanger leurs références en termes de cinéma, d'acteurs et de séries a permis d'enrichir le projet. "Il était évident dès le départ que cette série était d'abord une comédie. Ce qui m'intéressait, c'était de chercher ce qu'il pouvait y avoir de drôle à la fois dans les situations et dans les personnages." Des références qui sont venues au moment de la préparation et du tournage, quand les accessoires de décoration sont arrivés. "On s'est aperçu que les téléphones venaient tout droit des films des années 1970, et que ça nous rappelait des films avec Louis de Funès, Belmondo, Pierre Richard... D'un seul coup, dans la façon de jouer de Melvil Poupaud, il pouvait y avoir quelque chose qui allait piocher là-dedans." Le réalisateur de Douches Froides a pu mettre son talent et sa cinéphilie "au service d'une série, et pas forcément le genre de cinéma dans lequel il s'exprime d'habitude, ce qui a produit quelque chose d'original, sensible et riche", poursuit Martin Douaire.

    Du côté des scénaristes, qui ont grandi dans les années 1990, X-Files, première grande série sur les conspirations et les théories du complot autour du paranormal, est une inspiration évidente. "Didier Mathure, c'est un peu Scully qui deviendrait Mulder", s'amuse Clémence Dargent. Dans un autre style, la série Silicon Valley, comédie avec un fil feuilletonnant et une écriture virtuose sur le monde de la tech, les a également inspirés. "On avait envie d'être très pittoresque mais pas du tout parodique. De chercher à profiter de ce qu'il pouvait y avoir de drôle dans cette époque, du point de vue de personnages un peu losers menant des combats perdus d'avance, mais sans jamais s'en moquer", explique Martin Drouaire. Bien loin des comédies caustiques et empruntes de cynisme sur des univers de bureau que l'on a pu voir notamment dans Au service de la France, qui se déroule aussi dans les années 1970. "Il y avait un matériau humain très précieux, tant du côté des enquêteurs que des témoins d'OVNIS. On ne voulait pas perdre le lien avec la sincérité de ces témoignages en les tournant en ridicule."

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    Commentaires
    Back to Top