Produit en 1989, un an après Les Liaisons dangereuses, qui l'a éclipsé, Valmont de Milos Forman est une nouvelle adaptation du célèbre roman épistolaire de Choderlos De Laclos. On y suit les complots de la Marquise de Merteuil et du Vicomte de Valmont, qui décident de s'en prendre à la vertu de la jeune Cécile de Volanges, à la pruderie de la présidente de Tourvel et aux sentiments purs du Chevalier Danceny.
Valmont est l'occasion pour le cinéaste tchèque de travailler avec Claude Berri, un ami très cher qui l'a sorti d'une mauvaise passe. Les deux hommes se rencontrent en 1968 à Paris, alors que Forman est en France pour montrer son dernier film, Au feu les pompiers !, à Claude Lelouch, croisé lors de la cérémonie des Oscars où ils concouraient pour la statuette du meilleur film étranger. Le réalisateur d'Un homme et une femme n'étant pas disponible, Berri assiste à la projection. Emballé par le résultat, il se met en tête de le distribuer dans les salles françaises, bien qu'il n'ait aucune expérience dans ce domaine.
Il se rend à Prague, en compagnie de Forman, et négocie avec Ladislav Kachtik, directeur de Film Export, l'Office national du cinéma tchèque : « Je n'imagine pas encore que je voyage avec l'homme qui aura deux Oscars, mais je l'admire déjà. Les deux films que j'ai vus m'ont énormément impressionné. Je suis sûr de son talent. »* Berri parvient à acquérir les droits du long-métrage pour soixante-quinze mille dollars, mais à deux conditions : il doit s'engager à produire le prochain projet de Forman aux États-Unis et doit acheter le film pour le monde entier, et non plus seulement pour la France, la Belgique et la Suisse, comme initialement prévu. Il contracte au passage une dette de cinquante-cinq mille dollars.
Il ne le sait pas encore, mais il vient d'éviter la prison à Forman, grandement soulagé que l'affaire soit réglée. Il s'avère que le producteur d'Au feu les pompiers !, Carlo Ponti, n'avait pas aimé le résultat final. Désireux de récupérer les soixante-quinze mille dollars qu'il avait investis, il avait mis en avant une clause du contrat qui stipulait que le film devait durer quatre-vingt dix minutes, alors qu'il n'en faisait que soixante-quinze. « Les studios m’ont attaqué en justice pour « sabotage de l’économie socialiste », accusation qui était à l’époque passible de dix ans de prison », se souvient Forman. En achetant les droits du film, Berri comble la somme manquante. « Depuis nous avons toujours voulu faire un film ensemble ».
Il aura fallu plus de vingt ans pour que ce vœu se réalise. Quant à Au feu les pompiers !, son exploitation en salles sera aussi mouvementée que sa genèse. Le film est sélectionné au Festival de Cannes mais l'équipe n'aura jamais l'occasion de fouler la Croisette : la manifestation est contrainte de s'arrêter en raison des manifestations de mai 68. Contre l'avis de Berri, le long-métrage sort en salles alors que bon nombre d'entre elles sont fermées par peur des casseurs, et que le public les déserte, préférant rester devant sa télévision. C'est un échec cinglant.
* Extrait d'Auto-portrait de Claude Berri, Le Livre de Poche.