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    Projections tests : quels impacts ont-elles vraiment sur les films ?
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Les projections tests de films sont toujours un moment de tension et de stress pour l'équipe d'un film, réalisateur en tête, et pour le studio. Car le destin d'une oeuvre dépend souvent du bon ou mauvais accueil de ce public... Voici 10 exemples.

    Gaumont Buena Vista International (GBVI)

    Les projections-tests, Screen Test en V.O, sont une pratique plutôt ancienne dans le paysage hollywoodien. Dès la fin des années 1930, les studios ont pris l'habitude de solliciter un petit panel de spectateurs à qui l'on montre l'oeuvre, et chargés à l'issue de cette projection de donner leurs impressions, bonnes et mauvaises. Et, le cas échéant, procéder aux modifications nécessaires avant son exploitation commerciale.

    Moment de stress légitime pour le studio et l'équipe du film, réalisateur en tête, la projection-test peut aussi virer au cauchemar et à la catastrophe; les exemples en ce sens abondent. De là ont découlé de fameux moments de tensions entre le réalisateur, parfois dépossédé de son oeuvre, des coupes imposées ou faites dans son dos, une vision artistique complètement bridée donnant une oeuvre totalement dénaturée, avec parfois, in fine, une lourde sanction économique à la clé sous forme d'un gros échec commercial en salle. Toutefois, il serait caricatural et factuellement faux de dire que l'issue de toutes ces projections-tests se sont soldées par des bras de fer entre les studios et les réalisateurs / équipes du film, ou que les oeuvres furent toutes des échecs en salle.

    L'idée ici étant de préciser l'impact qu'ont eu ces projections-tests sur le destin de certains films, pour le meilleur ou pour le pire. Last but not least, vu la nature du sujet, les risques de Spoils sont réels, même si nous avons pris soin de les réduire au maximum.

    Blade Runner

    Il aura fallu pas moins de sept versions (même huit, si l'on intègre le tout premier montage de 4h du film) à Ridley scott, et attendre 2007 avec sa version Blade Runner : Final Cut, pour que le cinéaste soit pleinement satisfait de ce qui est considéré comme l'un des plus grands films de l'Histoire du cinéma. Pourtant, l'aventure avait bien mal commencé... En mars 1982, le cinéaste rend une première copie – connue sous le nom de "version de travail" –, montrée lors de projections tests à Denver et Dallas par The Ladd Company, en partenariat avec la Warner (qui coproduit et distribue le film). Les réactions du public sont catastrophiques : il ne comprend rien, n'aime pas la fin... La production impose alors pour la sortie dans les salles américaines une narration avec la voix off de Deckard et surtout un happy end, qui enlève toute l'ambiguité magnifique de l'oeuvre.

    Ci-dessous, le Happy Ending imposé par le studio à Ridley Scott suite aux retours de la projection-test, resté aussi fameux par son utilisation des rush du Shining de Stanley Kubrick...

    Les Affranchis

    On ne présente guère plus Les Affranchis, le chef-d'oeuvre de Martin Scorsese, à l'humour noir aussi tranchant qu'une lame d'un rasoir. Scorsese, un maître qui n'a, depuis longtemps, plus rien à prouver. Pourtant, à la demande de Warner et pour la première fois de sa carrière, le cinéaste fut contraint avec ce film de faire une projection test. On rapporta ainsi qu'au cours de la première projection-test du film en Californie, pas moins de 40 personnes sont sorti de la salle dès les 10 premières minutes du film, en raison de sa violence. Le public a aussi semble-t-il eu du mal à rester en place dans le 3e acte du film, celui qui voit Henry Hill (Ray Liotta) de plus en plus aux abois, cocaïné, traqué par le FBI : trop long pour lui. Scorsese et sa monteuse fétiche Thelma Schoonmaker sont alors retourné en salle de montage pour y effectuer une série de coupes (des Jump Cuts en fait). Avec un but précis : resserrer le montage de cette partie, la rendre plus nerveuse, pour mettre les spectateurs dans le même état de nervosité et de tension que le personnage.

    Alien 3

    Première réalisation pour David Fincher, venu de l'univers de la publicité et des clips, l'expérience Alien 3 s'est révélée des plus douloureuses pour le cinéaste, comme le montre l'extraordinaire documentaire Wreckage & Rage : the Making of Alien 3 (disponible en version longue sur le Bu-ray), qui revient sur la production chaotique du film, les mésententes entre les producteurs et les scénaristes, les patrons du studio, et le réalisateur, parachuté à la tête d'un nouveau volet d'une saga qu'il admire pourtant plus que tout.

    Mais il a aussi l'arrogance de sa jeunesse et du milieu duquel il vient. La Fox comptait sur son inexpérience cinématographique et une certaine docilité de sa part. Fincher quant à lui souhaitait aussi marquer de son empreinte ce nouveau volet de la saga et se hisser selon ses propres termes au niveau des deux précédents opus. "Nous avons débuté les prises de vues avec seulement quarante pages de scénario" dira-t-il plus tard, l'une des rares fois où il acceptera d'évoquer le tournage; "les modifications nous parvenaient à un rythme tel que le lendemain de la réception des pages sur notre fax, nous mettions les scènes en boîtes. C'était de la démence". Ambiance...

    A l'issue de la projection test du film, les pontes de la Fox furent pris de panique. La major ordonna à Fincher de faire des reshootings. Mais, même avec cela, et devant le désastre annoncé ou attendu, le studio remonta le film dans le dos de l'apprenti cinéaste. Au-delà de l'échec commercial, Fincher n'a depuis plus jamais souhaité avoir à faire avec le film. La version longue d'Alien 3, proposée depuis quelques années, très intéressante au demeurant, conçue notamment avec des notes laissées par l'intéressé, n'est même pas une version Final Cut. C'est dire l'amertume et le traumatisme de l'expérience...

    28 jours plus tard

    Les projections-tests du formidable film de Danny Boyle ont révélé que l'assistance n'avait pas franchement apprécié la fin originale voulue par le cinéaste, jugée "trop sinistre". Drôle de constat au regard d'un film qui ne respire pas vraiment la joie de vivre tout au long de sa durée...

    Pour rappel, dans cette fin que Danny Boyle appelle d'ailleurs "True Ending", Selena (Naomie Harris)  tente de sauver à l'hôpital Jim (Cillian Murphy), blessé par balle, avec l'aide d'Hannah (Megan Burns). Mais sans y parvenir. Elles finissent par s'éloigner toutes les deux en sortant de la pièce et laissant sur place le corps sans vie de Jim, tandis que l'image s'éteint progressivement sur elle, sur fond du sublime morceau hypnotique de Brian Eno, An Ending (Ascent).

    Ci-dessous, la fin en question...

    Cette fin était celle retenue dans le premier montage du film, qui fut finalement écartée après de mauvais retours lors de la projection test du film. Dans le commentaire audio du DVD du film, Boyle et son scénariste Alex Garland expliquent que la sortie finale de l'hôpital était prévue à la base pour signifier la survie de Selena et Hannah. Mais le public de la projection test a estimé a contrario que les femmes semblaient aller vers une mort certaine. Vraiment dommage, car elle bouclait très intelligemment l'histoire et le destin de Jim, qui ouvre le film alors qu'il sort de coma sur un lit d'hôpital abandonné.

    A noter d'ailleurs que cette fin a été ajoutée lors de ses diffusions télévisées commençant en Grande-Bretagne le 25 juillet 2003 (le film est sorti là-bas en novembre 2002). Elle fut placée après les crédits de fin et préfacée avec les mots « ...What if» ("Et si...").

    Starship Troopers

    Dans la version original du film, le personnage de Carmen Ibanez (Denise Richards) rompt avec Johnny Rico (Casper Van Dien), alors que les deux sont séparés lors de leurs entraînements respectifs. Puis elle entame une liaison avec son officier supérieur, incarné à l'écran par Patrick Muldoon. Le public test américain n'a pas supporté que le personnage privilégie sa carrière plutôt que sa liaison avec Rico, tout comme il n'a pas apprécié qu'elle se jette dans les bras de son officier supérieur. Il aurait aussi souhaité que ce soit son personnage qui meurt, plutôt que la pauvre Dizzy Flores (Dina Meyer). Verhoeven a alors sensiblement atténué la romance dans la version finale : la liaison entre Carmen et le lieutenant Barcalow est devenue un "simple" flirt, afin que le public puisse avoir davantage d'empathie envers elle. Dans la même veine, le réalisateur a également coupé une scène où Johnny et Carmen s'embrassent après la mort de Barcalow à la fin du film. Pour le reste, Paulo a tenu bon sur ses ambitions.

    Mais c'est peu dire qu'au moment de sa sortie, l’ironie mordante et féroce de Starship Troopers de Paul Verhoeven, son discours satirique et anti-militariste, ne furent pas détectés par tous ses spectateurs, même professionnels. Parmi la critique certains évoquèrent même un film fascisant, sans relever le traitement appliqué par Paul Verhoeven à son sujet (et sans se souvenir de son tempérament de cinéaste...). Le New York Times évoqua même un film "dérangé et horrible"... La sanction fut d'autant plus lourde que, doté d'un budget de production de 105 millions de dollars, soit le plus important dont ait jamais disposé le cinéaste, Starship Troopers n'en rapporta que 54 millions sur le territoire américain.

    La Splendeur des Amberson

    Les Etats-Unis entrent en guerre au moment même où Orson Welles termine le montage préliminaire de son second film, La Splendeur des Amberson. Mais en 1942, Orson Welles est expédié par la RKO au Brésil, avec la bénédiction de Nelson Rockfeller. Ce dernier, homme politique alors coordinateur du bureau des affaires inter-américaines sous la présidence Roosevelt, souhaitait développer une politique de promotion de la culture nord américaine en Amérique du Sud. La mission de Welles fixée par les producteurs : tourner un documentaire à la façon d'un carnet de voyage, en sillonnant les principales villes. Documentaire que Welles baptisera It's All True.

    Avant de partir, Welles confie à Robert Wise le soin de monter son film, selon ses instructions, qu'il devait lui transmettre par téléphone et télégraphe, puis de lui apporter cette version à Rio pour qu'il peaufine le résultat final sur place. Pas vraiment enthousiaste à l'idée de filmer la population locale, il est de plus handicapé du fait des restrictions aériennes imposées en temps de guerre : impossible de faire venir les bobines de son film au Brésil.

    Le 17 mai 1942, la RKO décide de pourtant montrer son film, dans son dos. La projection test est une catastrophe. Le studio va alors, toujours sans en informer Welles, couper 45 min du film, sur une durée totale de 2h12, tandis qu'elle change complètement la fin, imposant un Happy End. Le film fit un fiasco. Cruelle ironie supplémentaire : le montage initialement prévu par Welles, dont certains disaient qu'il était même supérieur à celui de son chef-d'oeuvre Citizen Kane, fut perdu à jamais lors d'un incendie dans un entrepôt.

    Se7en

    David Fincher est décidément un habitué des bras de fer avec les studios. Mais ne baisse jamais, ou si peu, les bras. Et c'est tout à son honneur. Moins d'une poignée d'années avant son Fight Club, qui donnera lui aussi quelques cheveux blancs aux pontes de la Twentieth Century Fox devant le nihilisme de son oeuvre, c'était au tour de son chef-d'oeuvre Se7en d'affronter le verdict de la projection-test. Le réalisateur livrera d'ailleurs lui-même cette anecdote à propos de celle-ci, dans le commentaire audio du film : "je me tenais assis à l'arrière de la salle, je crois que j'étais avec Bob Shaye [NDR : à l'époque, le PDG du studio New Line Cinema], lorsque trois femmes s'approchent, et l'une d'elles dit aux deux autres : "les gens qui ont fait ce film devraient être tués". Sympa...

    Le film, qui est une des oeuvres les plus importantes de la décennie, fut mal noté par le public à l'issue de la projection. Point de crispation majeur : la fin retenue, d'un atroce pessimisme et d'une noirceur abyssale, avec le destin tragique du personnage incarné par Gwyneth Paltrow. Fincher et Morgan Freeman tenaient absolument à cette fin. Le compromis trouvé fut finalement l'ajout de la petite citation finale d'Ernest Hemingway prononcée par Freeman : "le monde est un bel endroit qui vaut la peine qu'on se batte pour lui. Je suis d'accord avec la seconde partie".

    Liaison fatale

    Excellent film signé Adrian Lyne sorti en 1988, Liaison fatale mettait en scène les amours de passage de Dan Gallagher, avocat new-yorkais (Michael Douglas), heureux mari et père de famille, avec une jeune éditrice célibataire (impressionnante Glenn Close), débouchant sur un drame passionnel absolument glaçant.

    A la projection test du film, le public fut semble-t-il horrifié par la fin originale voulue par Adrian Lyne. Dan Gallagher est arrêté à son domicile pour meurtre, tandis que l'on entend en voix off les confessions d'Alex qui se suicide, en faisant porter la responsabilité sur Dan.

    Devant la réaction du public, le réalisateur changea la fin, devenant celle que nous connaissons : après un affrontement dans une salle de bain où Dan tente de noyer Alex dans la baignoire, celle-ci finit par être abattue d'une balle tiré par l'épouse de Dan. Glenn Close détestait cette fin, et lutta âprement pour faire revenir les producteurs sur leur décision de la faire changer. Selon elle, l'instabilité psychologique de son personnage l'aurait davantage poussé à s'auto-détruire et, in fine, à se suicider. Après trois semaines de lutte, l'actrice baissa les bras. A noter par ailleurs que cette fin originale fut utilisée dans la version du film exploitée au Japon.

    Ci-dessous, la fin que l'on connait :

    Boulevard du crépuscule

    "Je n'ai jamais vu un tel tas de merde de toute ma vie !" C'est en ces mots aimables qu'une femme s'adressa à Billy Wilder à l'issue de la projection-test de Boulevard du crépuscule. Le public détesta le premier montage de cette brillante et cruelle démystification d'un certain âge d'or hollywoodien; sans doute le plus fameux film dans la thématique "Hollywood flingue Hollywood". En tête de liste : l'ouverture du film, qui montrait une discussion à bâton rompu entre plusieurs cadavres à la morgue, y compris le narrateur Joe Gillis (William Holden), sur les causes respectives de leurs morts. La séquence avait pourtant demandé trois semaines de tournage, et des trucages compliqués. Las, les spectateurs de l'avant-première s'étaient mis à rire en prime lorsqu'une étiquette était passée à l'orteil du cadavre du personnage principal. Ce début ne permettait pas aux spectateurs de comprendre si le film était une comédie ou un drame...

    Wilder dû se résoudre aussi à revoir sa copie pour la fin originale prévue, qu'il adorait pourtant : le film se refermait également à la Morgue, avec Nancy Olson pleurant sur le corps de Holden. Cela dit, la fin que nous connaissons ne manque pas de panache et de flamboyance, avec cette hallucinante descente d'escalier de Norma Desmond (Gloria Swanson), gloire déchue du cinéma muet. Des changements qui n'empêchèrent en tout cas pas ce chef-d'oeuvre de briller aux Oscars en 1951, en remportant trois statuettes, dont celle du meilleur scénario et de la meilleure direction artistique.

    The Descent

    Excellent film d'horreur signé en 2006 par Neil Marshall pour à peine 3,5 millions de £, et qui rapporta au Box Office mondial près de 60 millions $, The Descent est sans doute un des meilleurs films du genre de la décennie où il est sorti. Pour mémoire, le film mettait en scène l'histoire de six copines, parties en week end pour faire de la spéléologie. Alors qu'un éboulement bloque le chemin du retour, elles se rendent compte qu'elles ne sont pas seules sous terre...

    Lors de la projection test organisée par Lionsgate pour le public américain, celui-ci n'a pas supporté l'atroce pessimisme de la fin originale voulue par le cinéaste : l'échappée du personnage de Sarah (Shauna Macdonald) des griffes des créatures n'est malheureusement qu'un rêve et même une hallucination, au cours de laquelle elle retrouve sa fille... Alors qu'en fait, elle est toujours entourée de ces créatures, et sur le point d'être tuée. Personne ne s'en sortait, donc. Le studio demanda à Marshall de tourner une autre fin, un "Happy Ending", spécialement pour le marché américain. La Grande-Bretagne, elle, a gardé la première.

    Voici la fin originale...

    A comparer avec celle qui fut retenue pour le marché américain :

     

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