Tournée entre Abou Dabi et le Maroc sur une période de quatre mois, Mirage, coproduction entre plusieurs pays européens et le Canada, a représenté un défi de taille pour ses interprètes et son équipe de tournage, tant par la particularité de son environnement que du tournage en langue anglaise. Co-créée par les scénaristes Bénédicte Charles et Olivier Pouponneau, le pilote a dans un premier temps été écrit en français par le duo, rejoint ensuite par Franck Philippon (Munch, Tunnel).
Quelque chose de français
"On a fonctionné comme une writing room de trois personnes pour créer les arches de la saison", rapporte Bénédicte Charles. "Franck Philippon a ensuite retravaillé les épisodes en anglais." La question de la langue de la série et de son doublage a été un vrai débat. "Nous voulions de l'organique", avoue la scénariste, "tandis que les acteurs [francophones] voulaient le faire en français, pas en anglais. Or il nous semblait normal que les français entre eux parlent français. Quand Claire est à son travail elle parle anglais, les Arabes entre eux parlent arabe... Et nous l'avons obtenu." Une problématique toutefois modérée par le fait que chaque chaîne coproductrice diffuse une version doublée localement.
"Dans notre manière de fonctionner, il y avait quelque chose de français" souligne Olivier Pouponneau. Mirage est une une série avec un côté "glamour" : "il y a un côté glamour, on est sur de la séduction, des beaux endroits, du "luxe" à la française, même si c'est transposé à Abou Dabi où tout est un peu bling bling." Bénédicte Charles décrit les personnages de Mirage comme vivant au sein d'une communauté "très petite et complètement déracinée, où tous les sentiments sont exacerbés." Claire et Gabriel, les deux héros, "y vivent des choses qu'il n'auraient jamais pu vivre ailleurs."
Un mode de vie séduisant mais à double tranchant, puisqu'on ne peut rester là-bas sans travailler. Après le crack boursier de 2008, beaucoup d'expatriés ont ainsi du quitter Abou Dabi car la faillite n'y est pas permise, à l'instar du personnage de Lukas (Hannes Jaenicke), le compagnon de Claire qui cherche un partenaire financier pour l'ouverture de son entreprise et se retrouve menacé de devoir plier bagage s'il échoue.
Ceux qui y vivent décrivent une impression de moment suspendu dans le temps : "tout le monde est sous tension, un peu comme les espions ! Ils ne sont pas chez eux, dans un microcosme avec des règles contraignantes, tout le monde est sur un fil." Les communautés ne se mélangent pas entre elles, Emiratis et expatriés vivent côte-à-côte en permanence. Au point que ces derniers -pratiquants ou non- en viennent à fréquenter des églises construites en périphérie des grandes villes pour créer du lien social ! "On ressent vraiment ce déracinement" constate Olivier Pouponneau. "Les gens sont juste invités dans ce pays. Si on dévie un peu, on est tout de suite recadré, voire mis en prison pour quelques jours." Et dans une communauté où 95% de la population est d'origine étrangère, quoi de mieux pour se cacher quand on fuit quelque chose ?
Une héroïne en reconstruction
Claire, partie à Abou Dabi pour refaire sa vie à zéro avec son fils et son époux, est ingénieure en cyber sécurité. Par le passé, elle a commis une lourde erreur professionnelle qui a laissé une tâche indélébile sur son CV. "Son honneur a été saccagé, en plus de cet homme qu'elle a perdu. Elle repart à zéro en venant vivre à Abou Dabi" explique Marie-Josée Croze.
L'actrice a du faire face à de nombreuses difficultés sur le tournage, en premier lieu la langue puisque la quasi-totalité des dialogues du personnages sont en anglais. "Je parle anglais, mais ce n'est pas une langue que je pratique au quotidien. Beaucoup d'aspects techniques aussi qui demandaient une maîtrise parfaite du texte, des scènes d'action, d'émotion... Il n'y avait pas le droit à l'erreur, c'était très dense ! Ça demandait une énergie et une implication totale."
Un tournage qui s'est apparenté "à la fois à un sprint et un marathon" pour l'actrice. Quatre mois de tournage intensifs, six jours sur sept. "Une somme de travail colossale. Je n'ai j'amais rien fait de plus difficile que cette série, mais je n'ai jamais rien fait de plus réjouissant aussi !" Pour travailler son personnage, la comédienne s'est beaucoup isolée sur le tournage. "J'étais dans un hôtel où j'étais la seule occidentale, entourée d'Emiratis et leurs familles, j'étais immergée dans un univers totalement différent ! J'avais une hygiène de vie très carrée, je faisais du sport, je ne buvais pas... J'y étais obligée pour me concentrer !"
Tout cette intrigue autour de la cyber-sécurité c'est un prétexte; le coeur de l'histoire ce sont les personnages, leurs enjeux, et le drame de Claire résonnait en moi. L'amour, l'espoir, la déception, il y a tout ça dans Mirage ! Cet être qu'elle a idéalisé et qu'elle a cru disparu pendant quinze ans, et qu'elle pense avoir aperçu plusieurs fois, ses difficultés à tourner la page... C'est ça qui m'a attirée. C'est un être en reconstruction.
Dans la vie courante, "je n'ai rien d'elle", s'amuse Marie-Josée Croze. "Je suis brouillon, très instinctive, et pas du tout cérébrale." Une collaboration très naturelle s'est faite entre le réalisateur Louis Choquette et la comédienne. "On a cette série qui est très mainstream, grand public, et il me semblait intéressant d'y trouver une originalité, pas dans un jeu trop poli à l'américaine. Et pour moi Marie-Josée incarne ça. Même après plusieurs jours de tournage, elle arrivait encore à me surprendre dans la façon dont elle abordait les scènes. C'est une machine à moments magiques ! "
Pour Franck Philippon, l'intérêt de Mirage résidait dans l'idée de propulser une femme "normale" dans le monde l'espionnage dont elle ignore tous les codes, et qui va devoir improviser en puisant dans des ressources insoupçonnées. "Nous voulions partir de quelqu'un qui nous ressemble et qui se retrouve à son corps défendant dans cet univers très particulier où tout est mensonge, faux-semblants, ou tout le monde se manipule, et elle doit trouver son chemin. Mais son instinct va lui permettre de s'en sortir." Le thème du mensonge y est essentiel : on doute constamment du personnage de Gabriel, interprété par Clive Standen. Mais pour Franck Philippon, Mirage est avant tout "une histoire d'amour plutôt qu'une série d'espionnage. C'est un destin de femme." Claire est tiraillée entre deux hommes et entre deux temporalités, la passion de jeunesse contre l'homme avec lequel elle essaie de construire une vie stable aujourd'hui avec son fils, interprété par Thomas Chomel, avec lequel elle entretient un lien fusionnel : "elle en est dingue de son fils, parce qu'il symbolise tout ce qu'il a perdu" note l'actrice.
Pour la saison 2, les trois auteurs ont commencé à travailler sur des pré-arches, et réfléchissent à un lieu totalement différent des Emirats, "qui n'a absolument rien à voir." Bénédicte Charles et Olivier Pouponneau travaillent également sur une mini-série, à venir prochainement sur France Télévisions : un trhiller réalisé par Frédéric Berthe, et se déroulant sur deux époques différentes...
Mirage, tous les lundis à 21h sur France 2 et en replay sur le site de France Télévisions :
Propos recueillis le 27 janvier 2020