Peu importe que Gene Hackman - Eugene Allen Hackman de son vrai nom- ait quitté sa carrière d'acteur sur une prestation anecdotique dans un film inoffensif et déjà oublié, Bienvenue à Mooseport, en 2004. L'acteur reste une légende du cinéma. Titulaire de deux Oscars, celui de Meilleur acteur dans un second rôle pour son extraordinaire composition dans Impitoyable, et celui du Meilleur acteur dans le non moins fabuleux French Connection, Gene Hackman aligne, dans une filmographie d'une centaine de rôles, plusieurs chefs-d'oeuvre et / ou très grands films. Qu'on en juge : Mississippi Burning, Under Fire, La Théorie des dominos, Bonnie and Clyde, L'épouvantail, Palme d'or à Cannes en 1973; Superman; Conversation secrète de Francis Ford Coppola, autre Palme d'or; La Fugue d'Arthur Penn; La Famille Tenenbaum de Wes Anderson; le remarquable film de Warren Beatty, Reds; le classique film de guerre Un Pont trop loin; le solide USS Alabama du regretté Tony Scott; la savoureuse comédie Get Shorty...
Alors qu'il souffle aujourd'hui ses 90 bougies, c'est l'occasion de faire un petit hommage à un immense comédien, qui s'est toujours tenu éloigné des sirènes et du glamour hollywoodien qu'il détestait, à travers cinq grands rôles.
French Connection (1971)
Hackman a trouvé la notoriété tardivement, grâce au rôle de Buck Barrow que lui avait offert Arthur Penn dans son chef-d'oeuvre Bonnie & Clyde, en 1967. Le comédien était alors âgé de 37 ans. Formidable, sa composition lui a valu l'année suivante sa première nomination à l'Oscar du Meilleur second rôle. La première des cinq de sa carrière. Mais si le film de Penn fut un premier jalon -important- dans sa carrière, il ne faisait pas encore de lui l'acteur principal qu'il méritait d'être. Ce sera chose faite avec French Connection de William Friedkin, en 1971. Brillamment épaulé par le tandem Roy Scheider et Fernando Rey, Gene Hackman livre une extraordinaire composition sous les traits du flic irrascible et brutal Jimmy Doyle, dit "Popeye". Un personnage pas forcément sympathique d'ailleurs, et qui ne cherche pas à l'être. Un rôle difficile pour l'acteur, qui abhorre la violence. Il ne fut d'ailleurs pas le premier choix du réalisateur, mais celui du dernier recours, et Friedkin a reconnu avoir dû pousser parfois le comédien dans ses retranchements pour qu'il accepte enfin de donner le meilleur de lui-même. Non seulement le comédien s'éxécutera avec brio, mais il prendra encore plus de plaisir à incarner et approfondir le même personnage dans l'excellente suite, French Connection II, en 1975, toujours un peu sous-estimée d'ailleurs par rapport au modèle original, qui a laissé une empreinte indélébile dans le genre policier.
L'épouvantail (1973)
En un sens, L'épouvantail est sans doute l'un des films les plus méconnus de la filmographie du comédien, mais il est assurément un des meilleurs. Road Movie picaresque signé par Jerry Schatzberg, le film met en scène deux hommes se liant d'amitié en partageant le feu d'une dernière allumette sur le bord d'une autoroute. L'un, Lion, incarné par Al Pacino, compte regagner son foyer, abandonné depuis quelques années et un enfant qu'il n'a pas vu naître. Max, joué par Gene Hackman, sort tout juste de prison, rentrant au pays pour y monter une station-service. Film poignant sur l'errance et l'amitié que viendra briser une tragédie, Gene Hackman s'y révèle encore une fois brillant dans un rôle difficile mais dans lequel il peut élargir le spectre de son talent. Un personnage plutôt antipathique et taciturne de prime abord, mais capable aussi de douceur. Ce film est d'ailleurs, de l'avis même de l'intéressé, son préféré dans toute sa filmographie. Ce qui explique aussi sa déception et son amertume majuscule devant l'échec commercial assez cuisant de l'oeuvre. Mais qui n'a pas empêché L'épouvantail de remporter en 1973 la Palme d'or au Festival de Cannes. Si vous n'avez jamais vu ce film, vous savez ce qu'il vous reste à faire...
Conversation secrète (1974)
Les années 70 sont un authentique âge d'or pour Gene Hackman. A peine un an après L'épouvantail, il est la tête d'affiche de ce qui s'apparente à une récréation pour Francis Ford Coppola, après son pharaonique Parrain. En 56 jours de tournage et pour une enveloppe de 1,9 millions $ à peine, il met en boîte un fabuleux film néo-noir : Conversation secrète. Hackman y incarne Harry Caul, un as de la filature, le meilleur des "plombiers", engagé pour suivre un couple et enregistrer leur conversation. Ici, Coppola joue très habilement avec les codes du thriller d'espionnage / paranoïaque auxquels se mêlent ceux d'un drame intimiste. Caul a beau être un expert absolu dans son domaine, il reste un être timide et introverti, attachant, aliéné aussi. Si Hackman se révèle brillant dans le film, il a aussi eu beaucoup de mal à se glisser dans la peau du personnage. Déjà en raison de relations passablement orageuses avec Coppola sur le tournage, mais surtout parce que, de l'aveux même du réalisateur, "le personnage de Harry Caul tenait avant tout du concept et pas un personnage". Pas rancunier, Hackman dira bien plus tard, dans une interview fleuve en 1988, que cette "relation de travail et cette expérience fut l'une des plus intéressantes de sa carrière". Une oeuvre à (re)découvrir, sortie d'ailleurs quelques mois à peine avant la démission de Richard Nixon et le dévoilement du Watergate.
Mississipi Burning (1989)
Basé sur une histoire vraie même si l'oeuvre emprunte des raccourcis historiques et factuels parfois contestables, le puissant film d'Alan Parker se déroule en 1964. Trois militants pour les droits civiques des noirs disparaissent mystérieusement. Ce sont deux agents du FBI qui sont chargés de l'affaire. Très vite, les questionnements et les méthodes d'intimidation d'Alan Ward et de Rupert Anderson dérangent, en particulier le Klu Klux Klan... Nominé à l'Oscar du Meilleur acteur et récompensé par l'ours d'argent du Meilleur acteur à la Berlinale en 1989, Gene Hackman s'y révèle extraordinaire dans son rôle d'agent du FBI et ancien shérif d'une ville raciste du Sud des Etats-Unis. Apportant parfois une touche d'humour et de chaleur dans un contexte absolument glaçant et terrible, il vole même la vedette au reste d'un casting qui est pourtant très, très loin de démériter, entre Willem Dafoe, Frances McDormand, Michael Rooker, Brad Dourif et R. Lee Ermey. "J'aime le baseball. C'est la seule fois où un noir peut brandir une batte devant un blanc sans déclencher une émeute !"...
Ci-dessous, pour le plaisir, la séquence "rasage de près" entre Gene Hackman et Brad Dourif...
Impitoyable (1992)
Impossible évidemment de ne pas mentionner dans cette sélection la prestation qui a valu à l'acteur son second Oscar, en tant que Meilleur second rôle, pour sa fabuleuse composition sous les traits de Little Bill Daggett. Un shérif rêveur doublé d'un tueur cruel et sadique, obsédé à l'idée de bâtir sa maison et son porche pour y admirer le coucher de soleil. On bénit d'ailleurs le comédien d'avoir finalement accepté le rôle : le script du film de Clint Eastwood passa en effet de main en main durant 20 ans. Durant cette période, Gene Hackman le lut et, peu satisfait du résultat, le rejeta.
Avec Impitoyable, le genre ne pouvait rêver de plus beau crépuscule. Un western qui démythifie l'Ouest avec une telle radicalité, il faut remonter aux derniers Ford pour trouver un équivalent. Oui, l'Amérique est née dans le sang, et c'était sale. Eastwood nous le dit à chaque plan. Quant aux personnages, l'ambiguïté morale semble les avoir contaminés tous. Si les méchants sont de vrais méchants (Gene Hackman glace le sang par sa sauvagerie), les gentils ne valent guère mieux, à commencer par ce William Munny qu'incarne le grand Clint. Ancien tueur à gages ayant "tué à peu près tout ce qui marche ou rampe à un moment ou à un autre", il s'est amendé mais la violence ne demande qu'à resurgir.
Ci-dessous, la fameuse séquence où Little Bill Daggett tabasse sauvagement le tueur à gages English Bob (formidable Richard Harris), qui travaille pour les compagnies des chemins de fer. "Ca fait longtemps Bob ! Tu es à court de chinois ?"...