AlloCiné : Votre dernier film La Famille Bélier date de 2014, qu'est-ce qui vous a motivé à revenir derrière la caméra pour #JeSuisLà ?
Eric Lartigau : Ça c'est très bizarre, l'envie elle est curieuse. J'avais envie de tourner pourtant mais pas tant que ça certainement. J'étais un peu au diesel pendant un moment. L'étincelle ne se faisait pas, j'avais des projets qu'on me présentait que je n'aimais pas. Je n'arrivais pas à en trouver un.
Alors d'où est venue l'étincelle et l'idée du scénario de #Jesuislà ?
Édouard Weil qui est producteur sur le film et qui est un ami m'a balancé ce fait divers qu'il venait de lire alors qu'on était en vacances d'un polonais qui rencontre une chinoise sur Instagram, sur les réseaux sociaux et qui décide de partir, de passer le miroir. Il arrive à Pékin, la jeune femme n'est pas là et il déclenche une grève de la faim et il est rapatrié sanitaire au bout de 4 jours. Trois mois après, cette histoire avait mûri dans ma tête et je me suis dit qu'il fallait que j'en fasse quelque chose. Il y a un vrai sujet, c'est fascinant. Comment on peut se dire que cette rencontre n'est pas que dans l'imaginaire ? Ça me fascinait cette espèce de comédie romantique solitaire.
Pourquoi avoir choisi la Corée comme échappatoire ?
Je voulais que le personnage n'ait aucun repère, autant dans la langue que dans les décors, qu'il soit vraiment à l'opposé du pays basque d'où il vient. Ce contraste entre sa campagne et Séoul et son aéroport est très intéressant. Et puis j'adore la culture coréenne, notamment au cinéma. Je connaissais Doona Bae également depuis 4 ans et on échange souvent, c'est une femme fascinante. Ce pays est fascinant.
Il y a une bonne partie du film qui se déroule à l'aéroport de Séoul, un décor qui se révèle être un formidable terrain de jeu. Comment s'est passé le tournage de ces scènes ?
On a bossé avec deux producteurs coréens qui ont habité en France, ce qui a facilité les relations avec les équipes de tournage. En terme de logistique, c'était compliqué d'avoir les autorisations déjà mais une fois données ils nous ont laissé tranquille. Je voulais qu'on soit le strict minimum autour de la caméra pour qu'on puisse bouger sans gêner les voyageurs parce qu'on sentait bien que c'était la grande préoccupation des autorités d'Incheon Airport. On passait d'un décor à un autre à l'intérieur de cet aéroport qui est une ville à part entière avec son cinéma, son sauna, son pressing, ses restaurants. Enfin, c'est extraordinaire, il y a aussi un train qui rentre dans cet aéroport. Ça ne veut rien dire quoi (rires). Il y a un gigantisme et pourtant tout ça est très léger, très doux. Les gens sont ultra accueillants si vous allez les voir mais à l'inverse ils ne vous embêtent pas si vous restez dans votre coin.
Le personnage d'Alain Chabat, lui, se fait repérer rapidement à l'aéroport et va vite devenir une sorte de mascotte. Tout ça grâce à Instagram. Quel est votre rapport personnel avec les réseaux sociaux ?
C'est un rapport de curiosité, de joie, de tristesse aussi parce que vous feuilletez avec votre pouce, vous passez d'un continent à un autre, d'une banquise avec un ours à une photo de défilé de mode en passant par une œuvre de peintre. Il y a un côté Kleenex et en même temps, vous imprimez des choses quand même, des choses qui vous happent. Et vous avez plein d'émotions différentes. C'est quelque chose de captivant mais qui peut être aussi anxiogène.
Ce paradoxe des réseaux sociaux, on le retrouve bien dans le film puisqu'Instagram va en quelque sorte permettre à Stéphane, le personnage d'Alain Chabat, de se retrouver dans cette sorte de crise existentielle. Vous avez déjà ressenti ça ? Est-ce qu'il y a un peu de vous dans ce personnage ?
Oui, forcément un petit peu. C'est rigolo d'ailleurs parce qu'il y a plein de gens qui s'identifient énormément, qui ont vécu un truc similaire. On a fait peu de villes en projection pour le moment mais à chaque fois quelqu'un venait me raconter une anecdote qui se rapproche du film. Il y a visiblement plein de résonances parce que j'ai l'impression que ce que traverse Stéphane c'est ce qu'on traverse tous un peu par moments où vous avez des tranches d'âge comme ça, des tranches de vie où on sent qu'on a trop de parasites dans sa tête, des choses inutiles, des sacs plombants dans son cerveau et on a besoin de renouveau. Et les réseaux sociaux peuvent être utilisés comme des outils de communication parfois à bon escient et parfois non. Il y a souvent un problème d'échange, de communication d'ailleurs dans notre société.
Justement, la communication est une des clés du film. Et elle est parfois non verbale comme cette notion coréenne appelée le nunchi qu'utilise Soo, le personnage de Doona Bae. Comment expliquer cette notion intraduisible ?
On peut la comprendre mais l'admettre et l'intégrer, c'est autre chose. Le nunchi c'est la capacité à comprendre la personne qui est en face de vous sans avoir à verbaliser. C'est quelque chose que nous les latins on a du mal à concevoir, on a tout le temps la langue pendue. On se touche, on se parle. En Corée, il y a un respect, on ne peut pas s'approcher à une certaine distance, on doit être sous le regard de son aîné, enfin il y a plein de codes. C'est hyper intéressant le nunchi. C'est une sensation, c'est un ressenti. Mais ça peut être un enfermement aussi dans cette culture, parce qu'on a toujours besoin de verbaliser à un moment ou à un autre, de dire qu'on existe.
Propos recueillis à Paris le 28 janvier 2019.
Retrouvez notre interview #FunFacts d'Alain Chabat :