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    Skin : le film-choc sur les néo-nazis américains avec Jamie Bell (Billy Elliott)
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Lauréat de l'Oscar du Meilleur Court Métrage 2019 grâce "Skin", Guy Nattiv était de passage au Festival de Deauville pour présenter un long appelé... "Skin". Mais ça n'est pas un remake, comme il nous l'a expliqué en évoquant ce drame.

    The Jokers

    Le 24 février dernier, Guy Nattiv remportait l'Oscar du Meilleur Court Métrage avec Skin. Quelques mois plus tard, il se présente au Festival du Cinéma Américain de Deauville avec un long appelé... Skin. Pas un remake mais un prolongement de certains des thèmes (le racisme en tête), inspiré d'une histoire vraie : celle d'un néo-nazi, Byron Widner (ici incarné par Jamie Bell), qui cherche à quitter ce cercle coûte que coûte. Un drame que le cinéaste a évoqué à notre micro lors de son passage en France.

    AlloCiné : Quand avez-vous entendu parler pour la première fois de l'histoire que votre film raconte ?

    Guy Nattiv : Ma femme et moi vivions une relation à distance, entre Tel Aviv et les États-Unis. Et sachant que je m'apprêtais à partir vivre à Los Angeles, je cherchais le sujet de mon premier film américain. J'ai notamment regardé dans les journaux, où j'ai découvert cette photo que l'on voit dans le générique de fin. J'ai été bouleversé par le montage montrant cet homme avec et sans tatouages, tout comme j'ai été soufflé par ce que j'ai appris de sa vie en lisant l'article. J'ai ensuite vu le documentaire Erasing Hate, sur le processus qu'il a suivi, et j'étais captivé. Ça c'était en 2015-2016, avant que toutes ces choses folles [les événements de Charlottesville notamment, ndlr] ne se produisent.

    J'ai alors appelé ma femme et nous avons pu obtenir le contact de Byron, à qui j'ai écrit pour lui parler des mes grands-parents, qui ont survécu à l'Holocauste, et lui demander pour quelle raison, en tant qu'Israélien, je devrais faire ce film. Il a proposé que nous nous "voyions" par Skype, et nous avons donc discuté avec lui, ma femme, Jamie et moi. Puis je lui ai rendu visite à Albuquerque, au Nouveau-Mexique, où nous nous sommes retrouvés dans un café au milieu du désert, un peu comme dans Bagdad Café. Ou Breaking Bad. J'étais le premier Israélien et le premier juif qu'il rencontrait, et c'était le premier skinhead  - ou ex-skinhead - que je rencontrais.

    Les producteurs américains me répondaient qu'il n'y avait pas de néo-nazis aux États-Unis

    C'était une belle rencontre et il a contacté mon grand-père via Skype. Mon grand-père m'a ensuite dit qu'il fallait que je fasse ce film, que c'était important. Byron nous a cédé les droits de son histoire en signant sur une nappe, puis il m'a fallu un an et demi pour écrire le film à Los Angeles avant que mon agent n'envoie le scénario à cinquante-cinq producteurs. Et ces derniers répondaient qu'ils aimaient le script et mon travail en Israel, mais qu'il n'y avait pas de néo-nazis aux États-Unis. C'était comme si je parlais de quelque chose qui n'existait pas, ou à peine. J'avais beau leur rétorquer que j'avais fait des recherches, ils estimaient que ça n'était pas un sujet sur lequel investir.

    J'étais déçu et ma femme m'a conseillé de faire un court métrage, comme tous les films que j'avais faits en Israel. Mon ami Sharon Maymon m'a alors contacté en me disant qu'il avait un sujet un peu différent du mien mais qui tournait autour du racisme, et il est arrivé à temps. Une fois que nous l'avons fait et monté, nous l'avons envoyé aux mêmes producteurs, et leur réaction a été différente. Sting a même dit à sa femme Trudie que c'était l'une des meilleures choses qu'il ait jamais vues, et qu'il fallait qu'elle s'implique sur le long métrage, ce qu'elle a fait alors qu'Oren Moverman s'était également engagé auparavant. Et tout à coup, c'est arrivé, alors que le court métrage a été envoyé dans des festivals dans le monde : Cannes, Sundance ou Berlin, ma seconde maison.

    Et tandis que nous étions focalisés sur le montage du long métrage, nous avons appris que le court était sélectionné à Holy Shorts, un festival de Los Angeles que je ne connaissais alors pas. Et nous avons remporté le premier prix, sans savoir que cela nous offrait automatiquement une place dans la course aux Oscars, que j'avais approchés en 2004 avec Strangers, qui s'était retrouvé dans la shortlist mais pas la sélection finale. Avant cela, Skin est allé à Toronto où il a remporté un prix. Nous avons ensuite appris que nous étions dans la shortlist des Oscars. Puis dans les cinq nommés. Et la suite appartient à l'Histoire. Après une série de refus, nous nous sommes retrouvés dans quelques deux cents festivals, et nous avons triomphé dans cinquante d'entre eux. Et le court métrage est un bon complément du long, à tel point que les deux sont projetés à la suite dans certains pays.

    Pourquoi avez-vous choisi de conserver le même titre, au-delà des similitudes entre les sujets ? Parce que c'était devenu votre porte-bonheur ?

    Le court métrage parle de la peau, de sa couleur. Le long métrage parle aussi de peau mais d'une façon différente. Le court parle de quelqu'un qui découvre ce qu'est le racisme à travers sa propre peau, là où le film se focalise sur une personne raciste, qui retire les tatouages de sa peau. C'est comme une renaissance, une réinvention d'elle-même. La différence est là.

    Denis Guignebourg / Bestimage

    Il est intéressant de voir que vous avez choisi ce sujet pour votre premier film américain, car "Skin" apparaît alors comme votre point de vue d'étranger sur ce que sont, en partie, les États-Unis aujourd'hui. Pensez-vous que c'est cette face sombre de leur pays qui a rebuté les producteurs ?

    Oui. Si je l'avais fait en France, ce serait différent, car vous n'avez pas peur des sujets qui fâchent. Des films comme La HaineIrréversible ou Un prophète soulèvent des questions compliquées, et c'est ce qui est stimulant lorsque l'on réalise. Les Américains jouent davantage la carte de la sécurité : ils pensent au box-office, et des personnages comme celui-ci, des monstres, n'existent pratiquement pas dans leur cinéma. Le seul film de ce type auquel je pense là, c'est Taxi Driver. Un Raging Bull ne se ferait pas aujourd'hui, avec cet homme qui bat sa femme.

    J'étais certes un peu fou de vouloir aborder un sujet aussi controversé pour mon premier film local. Mais cela correspond aux films avec lesquels j'ai grandi. Ceux des années 70, qu'on ne voit plus aujourd'hui : Voyage au bout de l'enfer, Taxi Driver, Mean Streets, Macadam Cowboy... Des films de studio qui soulevaient des questions difficiles. Venant d'un pays aussi compliqué qu'Israël, où il y a beaucoup de racisme et de haine envers les Palestiniens et Arabes, je vois Skin comme un film sur les États-Unis mais également mon pays.

    Pensez-vous que le succès du "BlacKkKlansman" de Spike Lee, qui parlait de suprémacistes, a pu vous aider ?

    Je pense qu'il s'agit du film qui a pavé la voie pour d'autres sur ce sujet. Mais son personnage principal est afro-américain, alors que le mien est un skinhead, ce qui est complètement différent. BlacKkKlansman est plus facile à digérer que le mien.

    Le choix d'un acteur aussi connu que peut l'être Jamie Bell était-il une condition pour que le projet voie le jour ?

    Oui. C'est une idée d'Oren Moverman, qui m'a dit qu'il avait rencontré un homme, pas un enfant. Quand on le voit avec des habits normaux, il ne semble pas être l'acteur adéquat pour ce rôle. Mais il a réussi à changer, physiquement et mentalement, pour devenir ce monstre.

    On peut lire sur internet que la production a fini par manquer de budget pour les tatouages, et que Jamie Bell a été contraint de les conserver pendant plusieurs jours. Est-ce vrai ?

    Oui, et ça l'a aidé à rester dans le rôle, car il était forcé d'aller faire ses courses avec. Et les gens ne l'ont pas reconnu car il avait le crâne rasé, il avait pris du muscle et le corps recouvert de tatouages. Personne n'aurait pu deviner qu'il s'agissait de Jamie Bell.

    Le cinéma français n'a pas peur des sujets qui fâchent

    Pourquoi avoir choisi d'entrecouper le récit avec les scènes qui montrent Byron se faire retirer ses tatouages ?

    Cette idée vient du documentaire. Et je trouve que cela fonctionnait bien visuellement. Qu'il ait quitté ce milieu n'est pas un secret, je n'avais pas besoin de créer un suspense à ce niveau. Mais mettre ces scènes à cet endroit permet d'avoir un rappel fréquent du fait que le personnage désire changer, qu'il est prêt à en passer par là, et c'est comme la naissance d'une nouvelle personne. C'est un rappel que cela arrive pour que, à la fin, lorsque vous le voyez entièrement, vous soyez en quelque sorte préparés, physiquement et mentalement. Et j'aime une structure qui repose sur des allers et retours dans le temps, comme dans 5x2 de François Ozon.

    Vous avez expliqué, un peu plus tôt, avoir fait face aux difficultés que rencontre le cinéma indépendant aux États-Unis. Quel regard portez-vous sur son évolution récente, avec l'émergence des plateformes de streaming, les séries qui prennent le pas sur le cinéma et les plus petits films qui ont de plus en plus de mal à voir le jour ?

    Je suis un immense fan du cinéma sur grand écran. Donc quand un film sort directement en streaming, ça m'attriste. Surtout quand il possède une ampleur qui lui permettrait de prétendre à mieux. Si c'est un téléfilm, cela peut se comprendre. Beaucoup de bons films ne parviennent pas à cette approche cinématographique, et c'est dommage, mais je pense que grâce au streaming, les réalisateurs ont davantage d'opportunités d'aborder des histoires difficiles sans avoir à caster des stars dedans. C'est notamment le cas de Green Room, que j'ai découvert en streaming - et trouvé très puissant - avant d'aller le voir en salles.

    Si un film peut être exploité en salles pendant deux ou trois semaines avant d'être diffusé sur une plateforme de streaming dans la foulée, c'est bien, comme ce fût le cas avec Roma. Mais ça n'est pas toujours le cas. Et je pense que certaines séries excellentes, comme Chernobyl par exemple, montrent aux réalisateurs qu'ils peuvent faire de la bonne télé, qui ne soit pas kitsch.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette le 8 septembre 2019

    "Skin" est disponible en DVD, Blu-Ray et VOD depuis le 3 décembre. En attendant le prochain projet de Guy Nattiv, qui nous a annoncé qu'il travaillait sur une version de l'histoire suivant le point de vue de Daryle Lamont Jenkins, l'activiste joué par Mike Colter qui aide Jamie Bell :

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