AlloCiné : Est-ce différent de travailler sur une série d'horreur vs un autre genre ?
Olivier Galliano : Je ne crois pas que ça diffère fondamentalement d'un autre genre. Au contraire, le but reste toujours de faire vivre des émotions à travers une histoire et des personnages. Ici on se doit de faire peur, mais pas que. Dans l'univers de Marianne (et par extension celui de Samuel Bodin), on manipule un spectre d'émotion assez large, qui va de l'humour, la tristesse, l'aventure, la peur et tant d'autres. Après en termes de pur montage, le genre en lui-même a ses propres codes, la peur a son propre tempo, et il faut être extrêmement minutieux. Un plan trop long ou trop court peut vite éjecter le spectateur de la scène
Dimitri Amar : Le genre "horreur" est très codé. Le couloir sombre, l’ampoule qui clignote, la musique angoissante, la porte qui grince, etc... Les spectateurs d’aujourd’hui sont très au fait de tout cela, ils ont donc tous les outils pour anticiper ce qui va se passer. Et c’est ici qu’est la grosse difficulté en montage. J’essaie donc toujours de me dire : "Je sais que vous savez. Mais je vais faire mon possible pour que vous ne le sachiez pas." Concernant les autres genres, la comédie est le plus compliqué. J’en suis sûr. Elle ne pardonne aucun faux pas. Pour 5 ou 6 points de montage qui feront sourire, il n’y en a qu’un seul qui déclenchera le rire, à chaque vision. Et l’horreur emprunte certains de ses mécanismes à la comédie, les silences, les temps morts, par exemple. Cette ressemblance est prégnante au moment de la fabrication des "jumpscares".
Est-ce que le réalisateur doit justement vous mettre beaucoup de remarques et d'annotations, pour rythmer la scène, créer des "jumpscares" ? A ce titre, à quel point Samuel Bodin a-t-il été impliqué ?
Olivier Galliano : Pas spécialement. On (Dimitri, Richard et moi) a fait 3 saisons de Lazy Company, 2 saisons de T.A.N.K. toutes réalisées par Samuel Bodin, avant de se lancer sur Marianne. On arrivait donc tous en terrain connu. De plus, il y a un truc vraiment génial avec Sam : son écriture et sa mise en scène parlent d'elles-mêmes. On comprend tout de suite ses intentions. Il nous laisse carte blanche pour monter une première version de nos épisodes respectifs tout en étant disponible pour d'éventuelles questions. Ensuite, il se pose avec nous, et on bosse d'arrache-pied à deux jusqu'à avoir une version qui nous plait et qu'on peut montrer aux producteurs. Parfois il garde certaines de nos idées, même quand elles diffèrent de ce qu'il avait prévu au départ. C'est assez rare d'avoir une telle liberté d'expression avec un réalisateur. Sur Marianne, Sam a gardé ces mêmes méthodes de travail. On a juste eu beaucoup moins de temps de travail ensemble qu'à l'accoutumée, Netflix oblige. C'est plus à l'américaine, 3-4 semaines seul puis seulement 5 à 7 jours avec le réalisateur pour envoyer une version à Netflix, et enfin un ou deux jours de modifications. C'était dur, surtout que l'horreur demande un travail assez minutieux en termes de montage, mais on s'en est plutôt bien sorti.
Richard Riffaud : Avec Samuel le travail sur la musique est extrêmement important. Trop souvent la musique est mal employée dans les films. Elle sert souvent à créer une ambiance, à être trop présente en illustration. Or sur Marianne, la musique sert avant tout les personnages et les soutient en donnant le ton de la scène. Savoir quand elle doit précisément démarrer et quand elle doit s’arrêter et de quelle manière, abrupte ou non. C’est une très grosse part du travail de montage. On y consacre environ 1/3 du temps et Samuel a un bon feeling pour jauger ça. Sam a travaillé en amont du tournage avec le compositeur Thomas Cappeau qui a créé les thèmes principaux de la série afin qu'on puisse en disposer dès le montage. Il en va de même avec le sound design. Sur Marianne le mot d’ordre était de faire dans le naturel, des violons, des souffles, mais surtout pas des sound design de "bande-annonces" trop synthétiques.
Nous avons remarqué des images subliminales dans le premier épisode. Qui en a eu l'idée (et qui ne doit-on par remercier pour ce beau moment de flippe) ?
Olivier Galliano : Je crois bien que c'est ma faute (et celle de Sam !) (rires). C'est une idée qui est venue après avoir vu la première version du premier épisode. On trouvait que Marianne était un peu trop absente d'une bonne partie du premier épisode. Donc ça a permis de l'incarner un peu plus. On s'est amusés avec, et c'est finalement devenu une figure de style qu'on retrouve tout au long de la série. C'est toute la force du montage, rien n'est gravé dans le marbre. L'essentiel, c'est comment raconter de la meilleure façon son histoire. Les transitions de pages de roman n'étaient d'ailleurs pas non plus prévues au départ, c'est parti d'une blague de monteurs et finalement, c'est devenu un élément narratif et visuel de la série. Après chaque chef monteur a apporté sa touche personnelle à ces idées ce qui a permis de les améliorer.
Richard Riffaud : Comme on la voit que très tard, les images subliminales permettent de ne pas trop en montrer mais de signifier sa présence dans les pensées d’Emma. Lui donner un peu de chair en plus des mots. Pour ma part, j’en ai utilisé un notamment à la fin de l’épisode 5 pour marquer la transition entre le récit de la jeunesse d’Emma et le retour à un présent violent. Ce qui m’a permis aussi de couper la musique "Seventeen" de Sharon van Etten qui soutenait le départ de la jeune Emma d’Elden autrement qu’un simple fondu qui ne collait pas au ton de la séquence suivante.
Est-ce que dans l'horreur, il y a certaines règles à respecter ?
Dimitri Amar : La peur du spectateur passe par la peur du protagoniste et la peur du protagoniste passe par ses yeux, son regard. Il faut toujours cadrer le regard de celui qui a peur. Et le placer dans le montage au moment du "pique de trouille". Il faut laisser du temps pour qu’une ambiance s’installe. Quitte à ennuyer un peu. Dans ces moments-là, on jongle avec l’ennui du spectateur. Pour le faire sursauter au moment où il commencera à lâcher prise... Le son et la musique sont des éléments essentiels. Par conséquent, leur absence aussi. Ne pas mettre un son là où "normalement" il devrait y en avoir un, c’est un bon moyen de déstabiliser le spectateur. Il faut correctement doser la longueur des plans horrifiques ou inquiétants afin qu’ils ne deviennent pas démonstratifs et ainsi perdre la suspension d’incrédulité nécessaire au genre. Par exemple, pour moi, le sourire de Mme Daugeron est vraiment flippant tant qu’il garde un côté "insaisissable". Ce ne sont bien sûrs que quelques exemples, il y a sans doute autant de règles qu’il y a de codes. C’est dire s’il y en a beaucoup.
Est-ce que vous aviez en tête des modèles de films d'horreur ? Ou vous avez suivi la vision de Samuel ?
Richard Riffaud : On a un peu tous les mêmes références. L’Exorciste, La Maison du Diable de Robert Wise. Mais on a été dernièrement très marqués par Hérédité d’Ari Aster qui est pour moi un chef d’œuvre du genre.
Dimitri Amar : J’avais en tête Creepshow de Georges Romero (le sketch de "la caisse" est un modèle de montage) comme référence pour un montage posé, tout en tension mais très ironique vis à vis de ses protagonistes ainsi que Jusqu’en enfer de Sam Raimi (toute sa filmographie d’ailleurs) pour le côté plus "pop" de la série. Samuel nous avait aussi parlé de James Wan en amont du tournage. Pour les aspects plus cauchemardesques de la série, je me suis inspiré de David Lynch pour son travail sur le son ainsi que de Satoshi Kon pour l’ambiance de ses scènes de rêves.
Les films ou séries d'horreur, ça marche encore sur vous ?
Olivier Galliano : Totalement ! La flippe marche plutôt bien, même quand le film n'est pas très bon. Après avec l'âge, je crois que je deviens moins courageux et que j'ai tendance à éviter d'en regarder (rires). Mais c'est un genre que j'affectionne toujours autant.
Richard Riffaud : Toujours surtout les films comme Hérédité, ou encore The Witch de Robert Eggers. J’aime généralement les films qui n’en font pas trop, qui ne sont pas surproduits. Qui gardent une part de crédulité.
Dimitri Amar : L’horreur ludique marche encore très bien sur moi. Si le réalisateur s’amuse, cela se ressent et je m’amuse aussi. Dans ce genre-là dernièrement, j’ai adoré Crawl de Alexandre Aja. Et dans un autre registre, j’ai adoré Midsommar. J’aime bien cette vague de films qui transcende la gêne en malaise fantastique, comme dans Get Out.
Dans les coulisses de Marianne :