Maggie Smith plus forte que Brad Pitt et Sylvester Stallone. Rares sont ceux qui auraient parié dessus, mais c'est bien Downton Abbey qui s'est emparé de la tête du box-office américain le week-end du 20 au 22 septembre, devant Ad Astra et Rambo - Last Blood, autres nouveautés dotées d'un parc d'exploitation un peu plus conséquent (respectivement 3 460 et 3 618 écrans contre 3 079 pour la série anglaise transposée au cinéma). Au premier abord, le résultat est surprenant. Avec le recul, pas tant que cela. Car si son potentiel était moins important que celui de ses concurrents sur le papier, le succès du long métrage aurait pu être anticipé, car il s'explique de plusieurs façons.
UN ACCÈS GRATUIT
Avec son casting, ses moyens et le rythme de son récit, dicté par les personnages avant tout, Downton Abbey possède l'élégance d'une série du câble. Comme Mad Men et Breaking Bad, diffusées en même temps qu'elle. A ceci près que le show de Julian Fellowes a eu droit à une chaîne gratuite aux États-Unis : PBS (Public Broadcasting Service), qui lui a offert la case du dimanche soir et lui a permis de mieux se faire connaître du grand public que si HBO ou AMC en avaient acquis les droits. Une stratégie alors risquée pour la chaîne, qui cherchait encore son identité, mais qui a fini par se révéler payante.
Pas tant pendant la première saison qu'avec la deuxième, qui a vu ses audiences décoller pour permettre à Downton Abbey de devenir le drame le plus regardé de l'Histoire de PBS. Tout en boostant les ventes de DVD et les abonnements à son service de streaming pour (re)voir les épisodes en replay. Un succès qui a d'ailleurs profité à la fiction historique anglaise dans son ensemble, puisque c'est devenu l'un des créneaux de la chaîne gratuite, qui a ensuite diffusé Victoria, Poldark ou Grantchester. Et sans doute concourru à leurs longévités respectives.
"Downton Abbey" : la bande-annonce de la saison 1
DES PRIX À LA PELLE
Diffusée aux États-Unis, Downton Abbey était donc éligible pour les Golden Globes et les Emmy Awards, pour ne citer que les cérémonies de récompenses les plus prestigieuses. Et elle n'a pas manqué l'occasion d'en être l'une des actrices principales tout au long de son existence, avec trois Golden Globes sur quinze nominations, et quinze Emmys sur soixante-huit nominations dans la seconde. Dans le lot, il n'y a certes qu'un Emmy Award du Meilleur Téléfilm ou de la Meilleure Mini-Série, trois pour Dame Maggie Smith et c'est surtout parmi les prix secondaires (pour les coiffures et la musique notamment), que le show s'est distingué.
Il n'empêche que sa présence parmi les nommés a été systématique entre 2011 et 2016, ce qui a aidé à accroître sa visibilité. Et créer un cercle vertueux avec PBS, qui permettait d'accéder gratuitement à cette série devenue un petit phénomène au fil des années, et de constater que sa réputation n'était pas usurpée. Et c'est grâce à ce succès que la chaîne a pu investir dans d'autres drames anglais, qui n'ont même pas eu besoin d'être calés sur le créneau du dimanche soir pour rencontrer leurs publics respectifs.
FASCINATION À L'ANGLAISE
Des histoires de familles au sein d'une demeure où cohabitent maîtres et domestiques, comme symbole de la lutte des classes et des révolutions qui ont eu lieu en Grande-Bretagne entre 1912 et 1927 : sur le papier, Downton Abbey n'avait rien de très sexy, et le terme de "soap opera" revenait souvent, de façon négative. Mais finalement non. Finement écrite, elle ne met pas longtemps à séduire, grâce à ses personnages et au discours sur la société qu'elle développe. Avec Breaking Bad ou Mad Men, elle a ainsi prouvé qu'il y avait de la place pour ces show focalisés sur les protagonistes, pour peu que la qualité soit au rendez-vous. Mais le bébé de Julian Fellowes avait aussi un atout supplémentaire dans sa manche : la fascination toujours vive des Américains pour l'aristocratie et la monarchie anglaise, dont elle descend en quelque sorte.
Un aspect que The Crown a confirmé, prenant la relève de Downton Abbey sur ce plan en posant ses caméras au sein de Buckhingham Palace, là où il a fallu attendre le long métrage sorti ce mercredi 25 septembre en France pour voir une tête couronnée. Entre l'engouement suscité par les divers mariages princiers (et pas seulement quand une actrice américaine est la mariée) et tous les fantasmes qu'elle fait naître en donnant l'impression d'appartenir à une autre temps, la noblesse semble ne rien avoir perdu de son impact outre-Atlantique, et ce n'est pas un hasard si la série The Royals, version fictive de la vie de la famille royale britannique, y a vu le jour.
A l'heure où le président s'est notamment illustré dans la télé-réalité, et où les super-héros dominent le box-office, la noblesse anglaise n'est pas un sujet aussi vieillot qu'on ne pourrait le croire. Sur petit comme sur grand écran, Downton Abbey l'a prouvé. Et voir sa version cinéma triompher d'un mythe américain tel que Rambo dans les salles obscures en est un beau symbole, à défaut d'être totalement surprenant.