AlloCiné : On pensait que c’était la fin avec le film précédent, avec cette scène où l’on voit Rambo marcher vers chez lui, de dos. Qu’est-ce qui vous a donné envie de retrouver le personnage ? Avait-il encore des choses à dire selon-vous ?
Sylvester Stallone : J’avais encore des choses à dire et des émotions à explorer avec Rambo. Pour moi, en fait, la franchise n’était pas finie avec le film précédent. Tandis que là, il revient presque "à la maison" dans tous les sens du terme. Je pense que c’est le film le plus personnel et le plus émotionnel autour du personnage. J’ai commencé avec First Blood… et voici Last Blood.
Qui est John Rambo dans ce cinquième volet ?
Je pense que Rambo : Last Blood, comme le tout premier, est le film le plus profond de la franchise, car John va enfin comprendre ce que c’est que d’être humain et de vivre, d’aimer une autre personne que lui-même. Sa rage explose quand on lui enlève la seule personne qu’il aimait. Quand on vous arrache le coeur, vous retombez à l’état sauvage. Il ne s’agit plus d’un homme mais d’un enragé primitif qui ne peut plus se contrôler. Tout ce qu’il voulait c’était de l’amour, mais on lui a volé cet amour. Maintenant il est prêt à tout par désespoir. C’est vraiment un film important pour moi et pour ce personnage que j’ai crée il y a presque 40 ans.
Rambo semble ne pas avoir de famille, sauf cette famille adoptive que l’on découvre dans "Last Blood" ?
Rambo n’a aucune famille. Il n’a même pas d'animal de compagnie. En fait, il ne peut vraiment pas se pencher sur une autre entité que lui-même, tellement son traumatisme est lourd. Dans ce film, c’est la première fois que l’on voit Rambo s’ouvrir à "l’Autre". Mais il n’a pas toujours été comme ça. Si on fait un jour un prequel, on se rendrait compte qu’à l’âge de 16-17 ans, Rambo était le plus adorable des garçons et qu’il était ultra-social. C’était un athlète hors pair et très populaire dans son lycée. Mais la Guerre l’a profondément changé. J’ai rencontré de nombreux soldats, pire que Rambo, qui ne peuvent pas se prendre en charge et encore moins les autres.
Le film est très sanglant, très violent. Parlez-nous de ce choix de tout montrer à l’écran d’une manière aussi graphique ? Est-ce qu’il y a eu des accidents pendant le tournage de ces séquences ?
Oui, quand vous tournez ce genre de scènes, il y a toujours des accidents. En général c’est moi qui en prend plein la figure ! Les autres acteurs sont plus prudents que je ne le suis mais aussi parce que je ne veux rien fausser. Les gens payent pour voir un film aussi authentique et réaliste que possible. Donc je me dois de prendre des risques et de faire la plupart de mes cascades. Sur ce film je ne compte plus les poutres qui me sont tombées dessus pour les scènes sous-terraines ni les brûlures causées par toutes les explosions ! J’ai eu tellement de blessures et d’accidents que je suis certain qu’un jour j’aurai un département à mon nom aux urgences ! Ca s’appellera "l’Aile Rambo", là où les gens sans espoir terminent leur parcours ! (Rires)
Concernant l'approche "gore" du film, il y a deux types de gore au cinéma : celui, "guimauve", qu’Hollywood utilise en général et où les tirs font à peine saigner les victimes ; et puis il y a le vrai gore que l’on doit tristement montrer afin d'illustrer la violence d’un tir de balle. Quand on tire à bout portant dans la tête de quelqu’un, on ne lui fait pas qu’un petit trou bien centré. Au contraire, on lui arrache la moitié du visage dans une explosion de sang. Je me sens responsable de montrer l’horreur qu’entraîne une fusillade. Ca n’a rien de propre et c’est un véritable carnage de tuer un homme. Et ce n’est pas facile d’abattre un homme, en général cela prend au moins 9 à 10 balles bien placées. Maintenant, vous pouvez mieux comprendre pourquoi les policiers souffrent de traumatisme et pourquoi parfois ils finissent par se suicider tellement l’horreur de ce qu’ils voient sur le terrain est insupportable. Quand on vous tire dessus avec un calibre 50, il ne reste presque rien de vous.
Donc, oui, mon film est gore mais c’est parce que c’est ainsi que cela se passe dans la réalité. Pas question de rendre la violence et les fusillades glamour. Je veux montrer à quel point la guerre est la chose la plus horrible au monde et comment vous ne vous en remettez jamais. Quand vous sombrez dans la violence, dans la guerre, vous devenez votre propre victime. Je veux vous mettre mal à l’aise, c’est cela que je veux créer quand vous allez voir Rambo.
Vous avez 73 ans et vous êtes dans une forme athlétique, quel régime suivez-vous pour rester ainsi au sommet ?
Un régime de souffrance ! Franchement, vous ne voulez pas manger comme moi et suivre l’entrainement
physique que je m’impose. C’est insensé. Comme un cheval de course, je suis obligé de manger le même menu tous les jours dans les mêmes proportions. Ce n’est pas simple d’avoir une telle discipline, surtout quand vous devez mettre en scène en plus de jouer un rôle comme Rambo ou Rocky. Je ne vais pas rentrer dans les détails car, vraiment, je ne recommande à personne ce style de vie et de régime.
Entre "First Blood" et "Last Blood", l’Amérique a beaucoup changé, le Rêve Américain n’est plus le même ni la notion de famille. Quel est votre point de vue ?
Pour Rambo, "avoir" une famille, est une révélation. Surtout quand "sa fille" adoptive décide d’aller retrouver son père qui l’avait abandonné. Rambo tente depuis 40 ans de faire face à la vraie vie, et le visage de cette vie, de l’Amérique, a énormément changé. On vit une période difficile. Rien n’est simple aujourd’hui.
Au début de la franchise, "Rambo" représentait tous les soldats ayant survécu à la guerre du Viet-nam. Par la suite, les Etats-Unis ont mené d'autres guerres. Est-ce que Rambo représente aujourd’hui tous les soldats de toutes ces guerres ?
C’est certain qu’il représente toujours les soldats de la guerre du Viet-nam. Mais c’est intéressant de voir comment les médias veulent aujourd’hui voir en Rambo les soldats des autres guerres. C’est évident que le traumatisme que ressentent les soldats qui reviennent de ces conflits est identique à celui de Rambo. Donc je suis content de voir qu’il y a un parallèle entre le Rambo du Viet-nam et les soldats de notre époque.
Quel regard portez-vous sur Rambo : est-ce un personnage badass ou tragique à vos yeux ?
Ce qui est certain, c’est que Rambo ne se voit jamais comme quelqu’un de badass, ni moi d’ailleurs. Il ne fait que "réagir" aux circonstances auxquelles il doit faire face. Comme certaines personnes, comme un Mike Tyson, il a un côté sauvage qui remonte à la surface comme un volcan en éruption si on le pousse à bout. En fait, c’est quelqu’un qui se fiche de lui-même et de savoir s'il meurt ou pas. Ce qui veut dire que c’est quelqu’un d’extrêmement dangereux. En même temps, c’est le plus détendu des hommes si vous ne le cherchez pas. En temps normal, il ne se mêle que de ce qui le regarde sans se plonger dans les affaires
des autres. Si Rambo était badass, il n’aurait pas tenu pendant 37 ans sur les écrans. Ce qui le rend fascinant, c’est cette complexité d’âme.
Pensiez-vous, il y a 40 ans, que Rambo aurait une telle "vie" et que la franchise serait aussi marquante ?
Absolument pas ! D’autant qu’au début, le film était tellement mauvais que je voulais le racheter pour le brûler. Le film était trop long et voir un personnage attaquant son propre pays rendait tout le monde mal à l’aise. Plus de onze sociétés de production avaient décliné le financement car elles ne pouvaient accepter la prise de position aussi radicale de Rambo. Nous nous sommes donc mis au travail pour restructurer le film et passer de 3 heures à 1h30 environ. Les Rambo doivent être courts car l’histoire est en général simple et compréhensible rapidement. Pas besoin de s’éterniser avec des dialogues qui se mettent en travers de l’action. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’une fois le film monté, personne ne voulait le sortir. Nous avons alors dû assembler une promo de vingt minutes afin de la montrer à nouveau aux acheteurs du monde entier. Et cette fois-ci, cela a marché et le film est devenu ce qu’il est devenu, un succès mondial. C’est amusant car c’est un peu, systématiquement, ce qui se passe avec ma vie : cela commence toujours mal mais, pour une
raison incroyable, tout se termine bien à la fin.