Rencontre avec le talentueux pianiste québecois Jean-Michel Blais, qui signe sa première composition pour une musique de film pour le nouveau film de Xavier Dolan, Matthias & Maxime. A l'occasion du Festival de Cannes 2019, Jean-Michel Blais a accepté de nous jouer quelques notes au piano et répondre à quelques questions sur cette première expérience pour un long métrage.
AlloCiné : Comment a commencé cette collaboration pour le film de Xavier Dolan présenté à Cannes cette année ?
Jean-Michel Blais, compositeur de Matthias & Maxime : J'ai reçu un coup de téléphone un matin. C'était écrit Xavier Dolan sur mon téléphone. J'étais un peu stupéfait. Ça a été un échange super simple. Il me dit qu'il apprécie ma musique et me demande si j'ai envie de faire la musique de son film. Je n'avais même pas lu le scénario, j'ai dit oui. C'est tellement un réalisateur important dans m vie. J'ai tout vu. J'ai tellement grandi de par lui, de par ce qu'il a fait, que c'était assuré que j'allais accepter. On n'habite pas si loin, j'ai pris mon vélo, je suis allé chez eux, et puis là, on a écouté plein de musiques, plein de morceaux qui sont dans le film. J'avoue que j'étais assez intimidé d'être chez Xavier à écouter de la musique. C'est tellement créatif une rencontre comme ça que tu sens qu'il t'amène à te surpasser. Il m'a parlé du scénario, il m'a donné une copie. Et de fil en aiguille, on a commencé à créer de la musique ensemble.
Xavier Dolan m’a fait écouter plein de trucs. Il y a un truc qui m’a vraiment saisi, c’est une sonate de Schubert, le 2ème mouvement de la sonate n°16. Pour plein de raisons, Schubert est vraiment intéressant, pour son vécu. Je faisais des liens avec le vécu de Matthias et Maxime. C’est le seul mouvement chez Schubert qui est fait de thèmes et variations, et pour la musique de films, c’est souvent le cas. C’est un thème et des déclinaisons, et je trouvais que c’était un choix vraiment judicieux de sa part.
On a commencé à partir de ça, et c’est presque devenu comme une structure. On est passé du thème de l’amitié, ce qui est sous-jacent à la relation de Matt et Max, puis toute l’évolution du film, des personnages. C’est une façon de revisiter ce thème, à l’image de leur relation, qui elle évolue à travers tout le film. La pièce s’appelle La solitude, c’est un moment où Matt est dans sa tête et n’écoute plus du tout ce qui se dit, et on sent le doute qui est là.
Ce qui est important à dire dans ce processus, avec Xavier, c’est que la majorité des choses dans le film sont des improvisations. Je testais des choses, il y avait une prise qu’il aimait et il partait avec. Il la jouait sur le plateau, il dialoguait là-dessus, enregistrait et allait faire son montage sur ce morceau. Parfois, il fallait rallonger. Il y a beaucoup de trucs qu’on a gardé qui sont vraiment des improvisations plus spontanées, toujours avec le Schubert en arrière, dans ma tête. C’est la beauté du truc, c’est un peu fluctuant. Mais c’est aussi la justesse de Xavier de savoir reconnaître quand c’est le temps de s’arrêter, et quoi garder pour le film.
Shayne Laverdiere
On dit souvent de Xavier Dolan qu’il est perfectionniste. Comment s’est passée votre collaboration?
C’est une exigence à laquelle il m’a toujours fait plaisir de me plier. Il sait exactement ce qu’il veut. On cherche, on essaye. Ce n’est pas tout à fait ça. Un peu plus de si, un peu plus clair. Pas trop grave. Je ne connais pas tant la musique. Mais il sait exactement ; il sait exactement ce qu’il veut. Ce qui est magnifique, c’est quand on trouve ce qu’il veut : c’est un enfant ! Il est heureux, il est content. "Yes, on l’a !" Ca donne satisfaction cette impression qu’on a vraiment atteint un objectif. Lui dans sa tête, dans son plan, il a déjà toute sa vision.
J’avais vraiment l’impression d’être l’extension de son âme, de son esprit, mais j’avais toute ma liberté de proposer, d’exister à l’intérieur de ça. D’abord et avant tout, je produis des albums, je fais des tournées. Habituellement je suis très « Xavier », très perfectionniste, je contrôle tout, c’est hyper chiant de travailler avec moi ! Mais en même temps, de se retrouver dans cette position, où on lâche prise, on fait confiance à quelqu’un qui nous amène à se surpasser… J’ai fait des trucs que je n’aurais jamais crû faire. Ce n’était pas dans mes plans de vie du tout. Je n’aurais jamais crû composer, improviser sur des variations des thèmes de Schubert. Ce n’est pas une idée qui me serait venue, et finalement ça marche, parce que lui avait une vision très claire.
C’est incroyable comme expérience de pouvoir sentir qu’on grandit encore à un certain âge, de se surprendre soi-même, et que quelqu’un comme Xavier m’amène à me découvrir, à me surpasser, et de savoir que je peux faire de la musique de films. Peut être que je vais continuer à faire ça dans ma vie ? Il y a une beauté de pouvoir vivre de ça, de sa passion. C’est une chance inouïe de pouvoir être à Cannes, de pouvoir être à la première, faire le tapis rouge. C’est au-delà de mes rêves. Je le dois beaucoup à toute l’équipe. C’est magnifique."
> Précisons que Jean-Michel Blais s'est vu décerner un Disque d'or d'honneur par Cannes Soundtrack. Cette interview a été réalisée dans le cadre des rencontres SACEM à Cannes, le vendredi 24 mai 2019.
Outre la bande-originale composée par Jean-Michel Blais, Matthias & Maxime comprend beaucoup d'autres musiques préexistantes au film, réunies dans la playlist ci-dessous :
La bande-annonce de Matthias & Maxime, actuellement en salles :
