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    A Ghost Story, Peter Pan, son travail avec Disney... l'insaisissable David Lowery au micro pour le Champs-Elysées Film Festival

    Invité à donner une masterclass au Champs-Elysées Film Festival qui célèbre le cinéma indépendant français et américain, le cinéaste David Lowery est revenu sur sa carrière déjà riche de six longs métrages tournés en 10 ans.

    Giancarlo Gorassini/BestImage

    AlloCiné : Votre premier film en solo s'appelle "St Nick" (2009), l'histoire d'un frère et d'une soeur en fuite durant l'hiver texan, mais il n'est malheureusement pas sorti en France. Vous souvenez-vous de l'état d'esprit dans lequel vous étiez et quelles étaient vos influences à l'époque ?

    David Lowery : A cette époque, je voulais surtout faire un film qui me ressemble. Je faisais des films depuis le lycée, mais je trouvais pas mon ton, je ne trouvais pas quoi raconter en tant que cinéaste. Et pour la première fois. J'avais tourné un court métrage avec des frères et soeurs pendant quelques jours, et pendant ces quelques jours, je me suis dit que j'avais un long métrage qui valait d'être fait. Mes influences de l'époque étaient (...) le cinéma lent qui nous arrivait d'Asie comme les films de Tsai Ming-liang, les films de Gus Van Sant notamment la "trilogie de la mort"* et les premiers films de David Gordon Green.

    Je pensais à ces films et aussi aux cinéastes du mumblecore, né au festival de South by Southwest avec Eric Masunaga et Andrew Bujalski. Je voulais faire un film comme eux, ils tournaient un film par an voire plus, et je voulais faire de même.

    Pouvoir tourner un film sans moyen, sur le vif et sans beaucoup de matériel, c'est encourageant pour un jeune cinéaste.

    Voilà, et St Nick était donc un film mumblecore, même s'il n'avait aucun dialogue, car il était fait avec le même équipement, les mêmes difficultés de tournage et le même budget (rires) ! Nous avons fait tout le film avec seulement 12 000 dollars. C'était une note d'intention, vous avez parlé de sa non-sortie en France mais je crois qu'il n'est jamais sorti nulle part ! J'espérais qu'il marche mais en même temps, il coûtait si peu que nous n'avions pas besoin de regagner notre argent. (...) J'en détiens toujours les droits, et je l'ai mis dans les bonus des Amants du Texas si vous voulez le voir. (...) J'aimerais pouvoir garder le contrôle sur tous mes films pour pouvoir les sortir quand je veux.

    Koch Media

    Vous évoquez "Les Amants du Texas", il marquait votre première rencontre avec Casey Affleck, que vous retrouverez à deux reprises ("The Old Man & The Gun" et "A Ghost Story"), qu'avez-vous trouvé chez lui que vous ne trouviez pas chez un autre acteur ?

    Au départ, j'étais fan de son travail, et lorsque j'ai eu l'opportunité de proposer le scénario à des acteurs, il était en haut de la liste. J'aime tellement son travail dans Gerry ou L'Assassinat de Jesse James. La première fois qu'on s'est rencontré, c'était juste pour lui parler de Gerry (rires) ! Je ne m'attendais pas à ce qu'il veuille faire le film, d'autant qu'il allait rejouer un hors-la-loi appelé Bob [après L'Assassinat de Jesse James, dans lequel Casey Affleck joue Bob Ford, NdlR]. On s'est très bien entendu, nous aimons les mêmes films, avons les mêmes goûts et adorons passer du temps ensemble. Et quand j'aime travailler avec quelqu'un, je veux le refaire encore et encore. Donc ce n'était pas l'envie de trouver quelqu'un qui se démarque, mais celle de trouver quelqu'un avec qui je veuille vraiment travailler.

    Affleck et Rooney Mara étaient les stars de "A Ghost Story", dont le héros est un fantôme couvert d'un drap, un film très spécial. Et j'entends par là qu'il mixe tristesse, mélancolie et beauté. N'était-ce pas un film très risqué ?

    C'était un risque personnel : je ne savais pas si [le principe] allait fonctionner. Cela aurait pu être une catastrophe et je n'aurais jamais fini le film. Mais parce que je connaissais ce risque, je n'ai demandé l'aide d'aucun investisseur, mes producteurs se sont juste payés leurs salaires et ont gardé le budget à un minimum. Le risque n'était donc pas financier, mais artistique. Et si ça ne marchait pas, on pouvait enterrer le film. Et de savoir que l'on pouvait échouer nous a permis de prendre plus de risques (...).

    The Walt Disney Company France

    Et soudain, Disney vous appelle pour faire Peter & Elliott. Comment est-ce que l'on réagit à un appel comme celui-là ?

    C'était inattendu, je ne m'attendais pas à ce que mon film suivant soit celui-là. Pourtant, Peter & Elliott et Ghost Story sont mes deux films les plus personnels. Lorsqu'ils m'ont demandé de réaliser le film, je leur avais déjà écrit le scénario. Rien que le fait d'écrire pour Disney était amusant. Et puis ils m'ont demandé de réaliser le film, et j'ai vraiment dû me remettre en question en tant que cinéaste. A la fois, ce film était quelque chose que je n'aurais jamais imaginé faire, et en même temps, il me permettait d'écrire un film pour enfants et j'adore les films Disney. J'avais mis beaucoup de moi dans le scénario. Et même si je m'étais imaginé ne faire que des films à petits ou moyens budgets, j'avais l'occasion de faire un film personnel avec le budget d'un film de studio. J'ai pris le temps de réfléchir et j'ai accepté.

    D'autant que Disney vous a fait confiance sur le scénario et l'a conservé en l'état.

    Oui, et c'est tellement rare d'avoir un studio comme ça qui vous laisse les mains libres. Mais c'était aussi parce que je ne leur ai pas proposé l'histoire tragique et sombre d'un dragon mais celle d'une histoire pour enfants dans le sens classique du terme, et que les adultes pourront aimer aussi. J'ai donc pu faire le film que je leur avais pitché.

    Était-ce difficile d'appréhender les nouvelles technologies comme la CG (Computer Generated, génération par ordinateurs d'images de synthèse) ?

    Non, c'était facile. D'ailleurs, c'est amusant car lorsque vous tournez des films à petits budgets, vous vous dites "ah si j'avais tel ou tel équipement comme dans un studio de cinéma". Puis vous réalisez qu'en faisant ces films, il n'y a pas besoin d'apprentissage, vous pouvez juste enfin faire les choses telles que vous espériez pouvoir les faire. Pour St Nick, j'aurais aimé avoir une bonne dolly (rires) ! Maintenant c'est le cas, et je n'ai pas besoin d'apprendre à m'en servir, je sais juste que je peux faire les plans que je veux.

    2016 Disney Enterprises inc. All Rights Reserved

    Concernant la CG, je ne m'en étais jamais servi mais en tant que fan de Star Wars, j'ai lu et écrit beaucoup sur leur réalisation d'effets spéciaux, pareil sur Le Seigneur des Anneaux. Et j'en avais un peu fait en travaillant en post-production pendant des années. Ce qui m'a demandé le plus d'apprentissage c'était surtout comment survivre à un tournage qui dure plus d'un mois (rires) !

    Les tournages sont longs et ils peuvent s'accompagner de stress. Disney gagne beaucoup d'argent avec ces films live adaptés de son catalogue et cela peut représenter une pression forte. Vous avez travaillé sur Peter Pan, par exemple...

    Pour Peter Pan, il y a une pression forte car c'est un film que tout le monde connaît et adore, mais avec Peter & Elliott le dragon, ce n'était pas l'un des "joyaux de la couronne" de Disney.

    Il avait moins de fans.

    Voilà, en fait, Disney ne réalisait pas combien de fans le film avait, la firme pensait que personne ne se souvenait de l'original. Puis ils ont fait des projections-tests et quand ils demandaient "qui a vu le film original ?" tout le monde levait la main. Ils étaient très surpris, surtout des demandes de reprendre les chansons de l'original, ils étaient pris de court. Pour Peter Pan, si le film se fait, ce sera différent car les attentes sont bien plus élevées.

    Universal Pictures International France

    Entre Peter Pan, A Ghost Story ou même Peter & Elliott, on dirait que vous êtes fasciné par le passage du temps.

    C'est devenu mon fil rouge. Avant, c'était l'idée de rentrer chez soi, maintenant c'est le passage du temps, logique ! Je dois reconnaître que c'est quelque chose qui me fascine et je n'ai pas fini de l'explorer. Je monte un film actuellement, j'en écris un autre, Peter Pan arrivera ou pas -s'ils m'appellent demain, je pars dessus, sinon je pars sur un autre film. (...) Je pense que [ce fil rouge] changera dans les années à venir, mais pour l'instant, je continue dans ce sillon.

    Pourquoi le lancement du tournage de Peter Pan prend-il autant de temps ?

    Nous avons passé très longtemps sur le scénario. Je pense qu'en automne [2018], nous avions quelque chose de très bien. Mais j'ai été pris par le tournage d'un autre film que je viens de terminer il y a un mois donc...

    Green Knight, avec Alicia Vikander ?

    Oui. Et à présent qu'il est tourné, nous nous demandons [avec Disney] si nous n'allons pas faire [Peter Pan] l'an prochain. C'est un si gros film que nous voulons qu'il arrive au bon moment. Pour être franc, si le temps qui passe entre sa sortie et celle de la dernière version en date de Peter Pan s'allonge, ce n'est pas grave. Personne ne veut d'un remake cinq ans après la dernière version [celle de Joe Wright, NdlR] !

    Vous êtes l'un des réalisateurs actuels dont la carrière est la plus insaisissable, ce qui est une bonne chose. Quels sont les éléments qui guident vos choix et vous font préférer un projet à un autre ? 

    La curiosité, plus que tout ! J'aime tous les types de films, j'aime expérimenter et tenter des choses. C'est comme essayer un nouveau costume, pour le dire simplement. A la fin, je ressens tous mes films de la même façon : ce sont mes films (...) mais leur genre change, la façon dont je les fais change, j'aime ça, j'aime être surprise ! Lorsqu'un réalisateur que j'admire tente quelque chose de nouveau c'est très excitant et quand je vois son film je reconnais que c'est de lui et c'est réconfortant (...). Contre toute attente, je me retrouve à faire une histoire de chevalerie avec du fantastique mais j'espère que quand les gens le verront, ils diront "c'est un film de David Lowery", pour le meilleur et pour le pire !

    C'est un film adapté d'un poème, vous l'avez imaginé à grande ou à petite échelle ?

    Un peu les deux ! Il y a très peu de personnages mais c'est à très grande échelle. Et c'est... (il marque une longue hésitation). Je cherche toujours ce que c'est !

    Bestimage

    Verra-t-on une bande-annonce prochainement ?

    Pas avant plusieurs mois. A24 [son distributeur, NdlR] a besoin de voir le film, de décider quand le sortir, je pense que d'ici à Noël, une bande-annonce sera tombée.

    A24 est un studio indépendant qui distribue des films en salles. Que pensez-vous de leur travail en comparaison à celui que peuvent faire les plateformes de streaming ? Aident-elles le cinéma indépendant ?

    Bien sûr, car elles s'engagent à la sortie en salles. Je pense qu'il n'y a plus qu'une firme [de cinéma indépendant] qui soit encore exclusivement sur la sortie en salles. Autrement, [le cinéma indépendant] a les services de VOD, les accords de passage directement à la télé (...). Mais savoir que votre film va sortir en salles à une grande échelle via Netflix est rafraîchissant.

    Même si c'est une sortie limitée.

    Oui, même si c'est une petite sortie. Même si la plupart de mes films n'ont que des petites sorties, je préfère ça à rien. Et c'est le vrai point positif à travailler avec eux [la possibilité de sortie en salles].

    Entre "St Nick" et "Les Amants du Texas", vous avez réalisé une série de très courts métrages, "Boycrazy". Est-ce que vous pouvez nous expliquer de quoi il s'agissait ?

    Ah oui ! Mon amie Alexi [Wasser] avait un blog appelé Boycrazy et j'ai réalisé cinq films qu'elle a écrit et dans lesquels elle jouait. Ils sont en ligne et (il sort son téléphone et commence à chercher son application Vimeo mais ne la retrouve pas) ne durent que une minute ou un peu plus. Au début de ma carrière je demandais à Imdb de créer tout mes travaux et maintenant je trouve que ça fait une longue liste de Boycrazy ! (rires) Alexi est ma meilleure amie et c'était la dernière fois que j'ai travaillé en étant mon directeur photo.

    Pour ma dernière question, j'aimerais savoir ce que nous pourrions vous souhaiter pour les années à venir ?

    Eh bien... (il hésite). Déjà, j'espère que Green Knight sera un bon film. (...) Mais j'espère que je vais continuer à faire des films et faire un film par an, c'est en tout cas mon intention. J'espère que chaque film va améliorer le suivant. Qu'ils seront considérés comme des bons films et à défaut, qu'on leur reconnaîtra au moins une intégrité. Ou qu'ils suscitent la discussion. Je respecte beaucoup le cinéma comme forme d'art et ayant la chance qu'on me laisse en faire, je veux contribuer à son développement. J'ignore ce que le futur réserve au cinéma, parfois je suis optimiste, parfois désespéré, mais tant qu'il perdure en tant qu'art -et je crois qu'il perdurera- j'espère (...) m'améliorer et que mes films en bénéficieront. Et j'espère inspirer un jour comme j'ai été inspiré par des réalisateurs. C'est le maximum que je puisse espérer, le reste n'est pas entre mes mains.

    *Cette trilogie informelle réunit les films Gerry, Elephant et Last Days.

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