David contre Goliath ?
Les séries médicales et les petits écrans américains entretiennent une longue histoire d’amour. De St Elsewhere à Grey’s Anatomy en passant par Urgences, Chicago Hope, House ou The Good Doctor, les classiques et succès ne manquent pas. En France, la situation est moins évidente et peu sont les séries à s’être inscrites dans le genre. A partir de ce constat très simple et arithmétique, est-il pertinent de comparer les productions nationales, en partant d’un désavantage aussi marqué ?
Quelque part, c’est Thomas Lilti qui apporte la réponse. N’a-t-il pas lui-même engagé la discussion dans son film Hippocrate, en mettant ses personnages devant un épisode de House ? Rien ne dit s’il pensait déjà à l’adaptation en série mais le rapport est néanmoins établi, avec la volonté, semble-t-il, de vouloir se comparer pour mieux se différencier. Car l’intérêt de la démarche repose moins sur l’idée de copier le voisin (on a essayé, ça s’est mal passé, cf. L’hôpital) que de marquer son identité en prenant une direction opposée.
L’unique limite de l’exercice, c’est de mettre en parallèle des séries jeunes, voire très très jeunes, avec des monstres de longévité. Urgences ou Grey’s Anatomy affichent 15 saisons chacune. House s’est « limitée » à 8. Notre série la plus endurante s’appelle Nina et elle cumule « seulement » 50 épisodes pour cinq saisons. Médecins de Nuit, c’était 38 épisodes quand les dernières représentantes, Hippocrate et HP en ont respectivement huit et dix. Une telle différence rend un peu caduque la comparaison. C’est pourquoi il sera moins question de développement que de façons d’aborder le genre médical.
Les séries us, armes de séduction massive ?
Dès qu’il s’agit de comparer séries françaises et américaines, revient souvent la question de la forme. Comprendre qu’une oeuvre US est forcément belle et sexy quand chez nous, c’est morne et peu engageant. En mettant côte à côte Hippocrate et The Good Doctor (ou The Resident, Grey’s Anatomy même Urgences), on n’est pas loin de perpétuer ce modèle, ce qui reviendrait presque à confronter Les Experts à Derrick. L’une possède des couleurs bien saturées, des personnages beaux comme des dieux et toujours impeccables ; l’autre est terne, voire glauque, les personnages paraissent exténués et au bout de leur vie.
Seulement il y a les images et leur signification. Quand les séries américaines privilégient le plus souvent une héroïsation du médecin, les françaises choisissent le versant doloriste. D’un côté de l’Atlantique, le corps médical, c’est un peu les Avengers ; de l’autre, ce sont les mêmes mais après le passage de Thanos. Cette distinction ne signifie pas que les productions hexagonales seraient incapables d’une telle forme mais que les auteurs ne veulent pas raconter les mêmes choses. Dans le film Hippocrate, le personnage de Reda Kateb dira que « médecin, c’est pas un métier, c’est une espèce de malédiction ». C’est donc moins « un grand pouvoir, blablabla… » mais plus un sacerdoce. La série Hippocrate ne cherche pas à séduire mais à rendre compte. Les acteurs ne sont pas (ou peu) maquillés et les cas aussi passionnants soient-ils ne veulent jamais créer l'événement. C'est dramatique sans emphase et illustre la difficulté, non pas à être médecin mais à pratiquer la médecine. Même quand elle marche sur les plate-bandes de House avec un cas mystérieux, elle le fait sur la pointe des pieds.
Déjà Médecins de Nuit, série créée par l’ancien ministre Bernard Kouchner et diffusée entre 1978 et 1986, privilégiait l’approche réaliste, un peu documentaire. L’image était crue, le ton naturaliste et évitait le spectaculaire pour mieux figurer le quotidien nocturne de ces personnels soignants. Une description qui la rapproche d’Hippocrate. Parce que ces séries ont un même but : à travers le genre médical, c’est de la société qu’elle parle. Ici, l’hôpital ou les interventions de nuit sont l’occasion d’ausculter le tissu social. Bernard Kouchner comme Thomas Lilti ne cherchent pas à faire des médecins des héros mais des témoins. Bien sûr, Urgences empruntera une route similaire, en faisant du service éponyme un champ de bataille, reflet d’une société le plus souvent injuste pour les plus faibles. Mais la série compose également avec une dimension plus mélodramatique, voire soap, ce que refuse pour ainsi dire Médecins de Nuit ou Hippocrate.
Qu’est ce qu’on se marre !
Étonnement, c’est dans le registre de la comédie que les rôles s’inversent. Là où H verse dans un humour absurde, potache, esprit canal, génération Jamel, Eric et Ramzy, côté yankee, Scrubs est souvent décrite comme la série américaine la plus fidèle à la profession (oui, même avant Urgences). « A la télé, on aime que les médecins soient héroïques et dramatiques » confie ainsi Bill Lawrence, son créateur, pour Slate, « mais quand votre pote de fac était un gars marrant qui sortait tout le temps des blagues, sa personnalité ne change pas du moment où il devient médecin ». Il y a également dans la sitcom américaine une façon d’aborder l’angle médical qui n’est pas sans rappeler celui d’Hippocrate. S’y dessine une même solidarité dans l’adversité. Evidemment, on rigole beaucoup moins dans la série de Thomas Lilti.
Pour sourire, HP offre un climat plus favorable. Comme Scrubs, l’humour est plus une façon d’alléger une ambiance pesante, soupape de sécurité parfois nécessaire au risque de finir en PLS. La série française joue sur un terrain miné. Difficile d’aborder le délicat sujet des troubles mentaux avec humour sans sombrer dans la gaudriole discriminatoire. La solution ? En y avançant avec prudence et retenue. C’est sage mais peut-être un peu trop, tant les auteurs donnent parfois l’impression de mesurer la pression de leur pas sur les oeufs au détriment de l’histoire. Dans la recherche du ton juste et de la bonne distance, Scrubs est le bon élève de la classe et montre que la fantaisie peut aussi s’inviter dans les hôpitaux, sans nuire à son authenticité.
Partage des points
En réalité, les séries françaises souffrent encore (et toujours) d’une certaine défiance naturelle, de celle qui imagine que, peu importe le genre, on est forcément moins bon que les américains. La réalité est tout de même plus nuancée. Et les dernières propositions de séries médicales montre que la France sait se positionner pour supporter la comparaison. Car la question n’est pas de savoir qui est meilleur mais plutôt ce qui distingue deux productions et si sa nationalité possède un impact. Quand les anglais font Secret Médical, ils perpétuent le drame social qui les caractérise. En faisant Hippocrate, on s’inscrit dans un registre similaire, avec la conscience d’avoir une mission un peu politique, dans un style qui imite la réalité. The Resident raconte presque la même chose mais avec une volonté plus romanesque et un décors (et des acteurs) bien plus sexy. Toutes trois sont de bonnes séries qui racontent, à leur manière, des choses du système médical de leur pays. Est ce qu’il est nécessaire de désigner un vainqueur ?