Considéré à juste titre comme l’un des plus importants écrivains de langue française, Victor Hugo fut tout à la fois poète, évidemment, mais aussi dramaturge, romancier, pamphlétaire, dessinateur hors pair, intellectuel engagé; sans doute une des figures publiques les plus marquantes du XIXe siècle. Si le grand public connait l'homme au succès de Notre-Dame de Paris ou bien entendu celui des Misérables, il connait nettement moins en revanche celui qui fut un authentique homme politique au parcours étonnant.
C'est que la vie de Victor Hugo a épousé le cours mouvementé d'un XIXe siècle qui a profondément transformé le monde. Témoin privilégié de cette période, il n'a cessé de chercher à en saisir les pulsations à travers ses écrits, mais aussi à travers son engagement politique. Il passa ainsi de la droite royaliste à la gauche républicaine, voire l'extrême gauche au temps de la Commune de Paris en 1871, avec pour principe absolu de défendre en toutes circonstances les libertés individuelles. Même au prix de nombreuses inimitiés, y compris jusque dans son propre camp politique.
Lundi 8 octobre, France Télévision avait convoqué le ban et l'arrière ban de la Presse au sein de la splendide maison de Victor Hugo, située place des Vosges à Paris, et qu'il occupa de 1832 à 1848. Un écrin de choix pour présenter une ambitieuse fiction en quatre parties de 52' chacune consacrée à l'homme : Victor Hugo, ennemi d'Etat. L'idée étant de plonger le spectateur dans l'intimité du célèbre homme de Lettres, sa vie de famille, sa tumultueuse vie amoureuse, ses doutes, ses convictions et ses colères, dans une période de l'Histoire de France aussi passionnante que trop méconnue. Celle qui a vu passer la France de la Seconde République, née après la révolution de 1848, à celle du Second Empire de Napoléon III, après le coup d'Etat du 2 décembre 1851, et Victor Hugo du statut de célèbre notable à ennemi d'Etat, contraint à l'exil.
"Nous avons conçu cet événement autour de Victor Hugo sur deux piliers" explique Caroline Got, directrice exécutive de France 2. "D'abord le docu-fiction et mini-série "Victor Hugo, ennemi d'Etat", proposé à raison de deux épisodes diffusés en première partie de soirée, sur deux soirées. Nous avons fait le choix de mettre en scène un Victor Hugo moins connu, mais pas moins important; celui de 1848 à 1851. Des années charnières où l'on comprend comment il devient ce héros de la République. L'autre volet de notre dispositif, c'est le documentaire de 52' qui sera diffusé sur France 5, Victor Hugo : un siècle en révolution."
L'idée de ce docu fiction en 4 parties, réalisé par Jean-Marc Moutout (à qui l'on doit notamment les solides Violence des échanges en milieu tempéré en 2003 et De bon matin en 2011), est née dans la tête d'Iris Bucher, productrice de la fiction pour le compte de Quad Television. "Etrangement, si le personnage est déjà apparu dans des fictions, jamais il n'en a été le moteur principal; c'est pour ça qu'on a eu très peu d'acteurs ayant incarné Hugo" précise Catherine Alvaresse, directrice de l'unité documentaire et magazines culturels de France 2. "C'était un projet extrêmement important pour moi, ca fait dix ans que je voulais consacrer un film ou une série à ce personnage" explique pour sa part Iris Bucher; "c'est lui qui m'a fait aimer la langue française, car je suis d'origine allemande. C'est probablement la production la plus difficile que j'ai jamais faite. Déjà pour la reconstitution de l'époque; c'est très compliqué de trouver des éléments de décors qui peuvent rappeler cette période de 1848. Les extérieurs ont d'ailleurs été tournés en Dordogne, à Périgueux et à Bergerac. Il ne reste que très peu de villes en France capables d'offrir un environnement urbain qui peut s'apparenter au milieu du XIXe siècle; même si nous avons également utilisé des effets numériques pour atténuer l'impact du mobilier urbain".
"Je serai un martyr de la laïcité !"
"On est parti du romanesque pour aller vers le politique. Et finalement, de l'idée de départ, qui consistait à proposer une fiction unitaire de 90 min, on est arrivé à une fiction de 4x52'. Ca s'est imposé de manière très naturelle en fait. Je pense d'ailleurs que s'il n'y a pas eu de fiction consacré à ce personnage auparavant, c'est parce que Hugo est une figure trop grande, trop imposante. En fait, j'ai eu le déclic lorsque j'ai vu que les trois années qui sont racontées dans la fiction, de 1848 à 1851, résumaient finalement tout l'homme qu'il était à mes yeux. L'intime, le familial, le politique, son rapport au pouvoir, ect..." poursuit Iris Bucher.
Difficile pour un comédien de se glisser avec aisance dans les habits d'une figure aussi illustre; presque écrasante. C'est pourtant le défi relevé, avec une dizaine de kilos en plus et surtout un certain brio grâce à un jeu plutôt sobre et sans emphase, par le comédien Yannick Choirat, qui avoue qu'il n'avait pas de penchant particulier pour l'auteur avant d'incarner son personnage. Un Victor Hugo alors député à l'Assemblée nationale, qui s'empare de la tribune pour dénoncer pêle-mêle le travail des enfants, exigeant la laïcité et la gratuité de l'école pour les enfants, sans oublier bien entendu un de ses plus fameux discours au verbe particulièrement enflammé prononcé le 9 juillet 1849, intitulé "Détruire la misère", qui fait d'ailleurs l'objet d'une très belle séquence dans la fiction. Dans tous les cas, des textes puissants, ayant le verbe haut. "Ca été incroyablement difficile de choisir les textes, parce qu'on avait envie de tout prendre ! Il y en a un par exemple que j'adore, qui évoque les Etats-Unis d'Europe, mais on n'a pas réussi à l'intégrer. Cela dit, mon préféré est celui qu'il prononce sur la misère. C'est simple, on a l'impression qu'il a été écrit hier; c'est incroyable. C'en est presque effrayant !" lance la productrice.
Et Yannick Choirat de poursuivre : "quand j'ai rencontré Jean-Marc Moutout pour les essais, j'avais comme texte son discours sur le suffrage universel. C'est vraiment ce qui m'a tenu tout au long du tournage; porter justement cette parole-là, plutôt que de me poser la question de la légende et du mythe littéraire. Evidemment, les discours ont été coupés; j'en avais appris beaucoup plus ! Sur le plateau d'ailleurs, j'en rajoutais parfois un peu, et c'est resté au montage !" Iris Bucher ajoute : "c'est vrai, mais tout ce qui est dit a vraiment été dit, on a rien inventé ! C'est pareil pour les lettres, à l'exception de la toute première lettre lue dans la fiction, que Hugo adresse à Juliette Drouet. Parce qu'on s'est rendu compte que le public n'identifierait sans doute pas assez le personnage de Juliette et quel rapport elle a avec Hugo; on a donc beaucoup retravaillé le début de la fiction, pour une meilleure compréhension".
Juliette Drouet, dont Victor Hugo a fait - bien que marié à une épouse qu’il aime sincèrement et dont il a eu quatre enfants - sa maîtresse et sa confidente, durant 50 ans, au point même qu'elle le suivra en exil durant 19 ans à Guernesey. Un amour indestructible, ou presque, nourrit de quelques 20.000 (!) lettres que les deux s'échangeront tout au long de leur vie. C'est Isabelle Carré qui prête ses traits à celle qui est aussi présentée dans la fiction comme copiste des oeuvres de l'écrivain; en particulier le manuscrit "Misères", qui deviendra celui des Misérables. "Je ne connaissais pas vraiment ce personnage, hormis son nom bien sûr; ce n'est qu'après avoir terminé l'écriture de mon roman [NDR : Les Rêveurs, publié en 2018] que j'ai pu me plonger dans la vie de cette femme. C'était quelque part émouvant d'incarner un personnage qui n'a justement pas eu l'opportunité d'aller au bout de son désir d'écrire, et qui a dû passer à travers la plume d'un homme pour combler ce manque. Mais elle a aussi beaucoup influencé Hugo" précise l'actrice. Pause de l'intéressée, avant de reprendre : "Pour tout dire, j'ai trouvé ca assez gonflé de faire cette fiction !" "En quoi ?" lui demande-t-on. "Et bien de montrer tous les discours politiques de Hugo, de montrer ça à l'antenne à 20h30, dans une époque où la tendance est plutôt au nivellement par le bas. C'est ambitieux et très utile, surtout dans le contexte politique actuel, où l'on se retrouve avec des discours sur le mode "ni droite ni gauche", sans parler d'une montée des extrêmes en Europe qui fait peur. On est vraiment dans un vrai désenchantement de la vie politique, qui dure en plus. On a donc pas besoin d'avoir un événement particulier, comme un anniversaire ou autre, comme à chaque fois, pour proposer des films comme celui-ci".
Le mot de la fin sera pour la productrice, décidément emportée par un sujet qu'elle connait si bien. "Je trouve qu'on a un devoir d'amener un public le plus large possible à ce personnage, et je ne dis pas cela par orgueil. C'est très important que les jeunes et moins jeunes entendent ces paroles-là, pour comprendre aussi ce qui se passe aujourd'hui. Ce n'est pas parce qu'on va parler de Victor Hugo qu'on va se faire suer devant sa TV ! Ca peut aussi nous parler à nous, citoyens de 2018".