Coup de coeur de la rédaction en 2012 avec le moyen métrage Un monde sans femmes avec Vincent Macaigne et Laure Calamy, le réalisateur Guillaume Brac revient en ce mois de juillet avec non pas un, mais deux films. D'abord, un long métrage documentaire, L'Ile au trésor, dont toute l'action se situe sur une île de loisirs, à Cergy-Ponoise, qui sort ce mercredi, puis une fiction basée dans ce même lieu, Contes de juillet, à l'affiche le 25 juillet. Rencontre.
AlloCiné : Avec L'Ile au trésor, ce n’est pas votre première incursion dans le genre documentaire. Est-ce un genre qui vous intéresse tout autant que la fiction ? Aviez-vous peut être même des velléités documentaires avant de passer à la fiction ?
Guillaume Brac, réalisateur : Ce qui est amusant, c’est que l’on voit plus souvent des réalisateurs de documentaire passer à la fiction que l’inverse. Même s’il y a quand même toute une catégorie de grands réalisateurs qui passent de l’un à l’autre très régulièrement. La liste est très longue si l’on pense à Herzog, Cavalier, Varda, Eustache, Claire Simon…
Mon désir premier de cinéma était un désir de fiction. J’avais un rapport à l’écrit assez fort. Dès mes premiers films, Le Naufragé, Un monde sans femmes, Tonnerre, j’avais un rapport assez fort au lieu, au non-professionnels qui s’intégraient au film, et même le rapport que j’avais aux acteurs.
Dans la fiction, il y avait des scènes pour moi qui étaient quasi documentaires, qui me donnaient très envie d’aller plus loin à l’échelle d’un film.
C’est un rapport qui n’était pas sans lien avec le documentaire, parce que c’est comme si mon imaginaire partait d’abord de ce qu’ils étaient, ou en tout cas la façon dont je les voyais dans la vie pour après construire un personnage de fiction dessus. Dans la fiction, il y avait des scènes, pour moi, qui étaient quasi documentaires, qui me donnaient très envie d’aller plus loin à l’échelle d’un film. Plus ça allait, plus je me disais qu’un jour il faudrait que je saute le pas.
Ce pas, je l’ai franchi avec Le Repos des braves, un moyen métrage sur les cyclistes – une autre de mes marottes – que j’avais suivi pendant une semaine. C’est un film qui m’a permis de trouver mon rapport au documentaire, mon langage, ma forme documentaire. Il y a des rapports différents à la mise en scène documentaire... Est-ce que le cinéaste est présent dans le film, à travers la voix ? Est-il lui même filmé ? Est-ce que la caméra est très mobile à l’épaule ? J’ai abordé le documentaire d’une manière assez intuitive, avec une forme de naïveté, en tout cas sans idées préconçues.
Ce qui me passionnait, c’était ce mélange entre toute une partie de cinéma direct, pris sur le vif, mais aussi d’avoir accès à une intimité assez profonde et assez précieuse. De passer par la voix off de ces personnages à certains moments du film. Il y a un rapport au cadre et il faut faire de vrais choix de mise en scène, pour ne pas être juste dans une forme de captation brute et énergique du réel.
A la vision du film, on sent justement cette alternance entre des parties proches du témoignage et d'autres plus intrigantes sur la façon dont elles ont été captées. Je pense notamment à ces séquences de drague...
Les gens que je filmais oubliaient d’autant plus la caméra qu’il y avait un contrat très clair et très honnête qui était passé entre nous. Pour que justement ils soient à l’aise, qu’ils s’amusent et qu’ils soient eux-mêmes. Il valait mieux leur expliquer ce qu’était le film, ce que j’avais envie de faire, éventuellement provoquer des situations, qui ne sortaient pas de mon imagination, mais que j’avais déjà observé, qu’ils m’avaient raconté...
Par exemple, j’observe deux dragueurs, je les vois parler à des filles et je leur dis que j’aimerais beaucoup les filmer en train d’aborder des filles. Je leur demande : 'est-ce qu’il y a des filles sur la plage à qui vous aimeriez parler ?' Ils regardent. 'Celle-là, oui'. Et plutôt que d’arriver dans une logique de reportage ou de télé-réalité, avec la caméra sur eux et qu’ils se sentent agressés par l’image, il valait mieux aller voir les filles d’abord et leur expliquer. Et après, je ne me mêle plus de rien. Chacun savait ce que je faisais là. La caméra n'était évidemment pas cachée; elle était devant eux. Tout le monde était à l’aise, et c’est ça qui était beau aussi : il y avait une dimension à mi-chemin entre le réel et le jeu.
Il y avait une dimension à mi-chemin entre le réel et le jeu. Je trouve que le jeu révèle encore plus la réalité de chacun.
Je trouve que le jeu révèle encore plus la réalité de chacun. Je trouvais ce paradoxe intéressant. On tournait beaucoup en plan-séquence, donc évidemment, au bout d’un moment, ils faisaient moins attention à la caméra. Mais jamais rien n’était filmé sans leur consentement.
C’était un peu pareil avec les petits pirates qu’on suit dans leurs tentatives d’intrusion. J’ai vu beaucoup de gamins comme ça pendant mes repérages. C’est très compliqué de les filmer dans une logiquement totalement documentaire, avec le risque évident de les faire repérer. Là aussi, il s’agit de préparer un tout petit peu les choses.
Toute une partie du travail a dû se jouer dans la sélection de ces personnages qu’on suit, puis un gros travail de montage…
J’ai abordé ce film d’une manière extrêmement aventureuse et ouverte. J’avais l’intuition, pour plein de raisons, qu’il y avait un film très riche et très beau à faire à cet endroit, qui est un endroit d’ailleurs que je connaissais depuis mon enfance. Je n’y étais pas retourné pendant de nombreuses années. Une fois adulte, je l’avais perçu tout à fait différemment : une dimension qui m’avait échappé quand j’étais enfant; une dimension presque de monde miniature.
C'est à la fois une tour de Babel, avec une multiplicité de gens, d’origines extrêmement différentes, qui viennent du monde entier, et à la fois une espèce de terrain d’aventure, de transgression et de drague pour les jeunes. Avec du coup un mélange de gravité et de légèreté, dans un contexte estival, qui permet d’appréhender différemment et de manière beaucoup moins frontale des problématiques liées à notre société du travail, de l’intégration, de la géopolitique…
Face à la question des vacances, du temps libre, du souvenir, de l’été, du sentiment, il y a comme une espèce de trait d’union qui nous réunit tous.
J’avais l’impression que c’était un lieu qui nous rappelait d’une manière assez belle qu’on est tous faits du même bois en quelque sorte. Face à la question des vacances, du temps libre, du souvenir, de l’été, du sentiment, il y a comme une espèce de trait d’union qui nous réunit tous. C’est vraiment de ça dont je voulais que le film parle.
Mais tout ce que je dis à présent était des choses auxquelles je pensais, mais je n’avais pas de trame. C’était aussi au jour le jour que le film se faisait. Petit à petit, je comprenais ce que le film était en train de devenir. Il y avait des gens qui trouvaient leur place dans le film par leur personnalité, leur charisme, leur ton, et d’autres que le film rejetait en quelque sorte. Il y a eu une matière énorme : 160 heures de rush. Il y a eu 6 mois de montage pour trouver en quelque sorte une narration et un sens. Il fallait éviter à tous prix que ce ne soit qu’une sorte de bout à bout.
Avec ce lieu, reconnecter des souvenirs qui nous sont propres, des souvenirs d’été, de vacances, de rencontres, de drague, de colonies de vacances, de boulot d’été...
Pour moi, le film est réussi s’il permet à des gens qui n’ont aucun rapport avec ce lieu de reconnecter des souvenirs qui leur sont propres, des souvenirs d’été, de vacances, de rencontres, de drague, de colonies de vacances, de boulot d’été... Tout ça a une valeur universelle, mais que ce soit incarné par des gens à qui généralement ont fait porter autre chose, à qui on donne souvent une autre fonction au cinéma. C’est la question de 'comment filmer la banlieue au cinéma'. Le parti pris dès le départ était de laisser la banlieue hors-champ, de laisser toutes les représentations de la banlieue en dehors du champ du film, et de rencontrer ces gens à travers le film, sans tout un tas de clichés, de stigmates.
Il y a cette impression de suivre une saison du début à la fin, même si probablement tout n’a pas été monté dans l’ordre…
Il fallait donner cette sensation, et aussi très progressivement de s’éloigner des rivages de l’insouciance, de l’enfance et de l’adolescence. Et finalement laisser affleurer une sorte de gravité, de mélancolie.
Dans son mouvement, le film part de situations légères, de comédie, de drague, de transgression… Il y a quelque chose de très lumineux. La question politique ou sociale n'est qu’une couche souterraine du film, elle n'est jamais au premier plan. Le film ne cherche pas à faire passer un message, ce n’est pas un film à sujet.
Après L'Ile au trésor, on vous retrouvera très rapidement avec Contes de juillet. Vous avez deux films qui arrivent quasiment au même moment cet été. Comment cela s'explique-t-il ?
J’ai tourné d’abord, l’été 2016, Contes de juillet, qui était à l’origine un atelier qui m’avait été proposé par le Conservatoire d’art dramatique de Paris. La commande était, non pas de faire un film, mais de travailler pendant 3 semaines avec 15 ou 16 jeunes comédiens devant la caméra. C’était à un moment où j’avais vraiment envie de faire un film.
C’était fin juin – début juillet, une période qui a priori j’aime filmer. Je me suis lancé dans ce tournage en ayant très peu de temps d’écriture. J’avais juste un petit traitement. D’ailleurs, j’avais tourné, non pas deux mais trois films. Celui que nous avons tourné la première semaine, nous étions encore trop dans un cadre d’atelier. Nous n’étions pas prêts pour faire un vrai film. Ce sont les deuxièmes et troisièmes semaines qui ont donné la première et deuxième partie de Contes de juillet. En tournant, je n’étais pas persuadé qu’il y aurait un film au bout. C’était la première fois que je travaillais sans dialogue écrit, avec des comédiens qui devaient improviser beaucoup. Ces comédiens étaient très impliqués dans l’écriture des scènes.
J’avais eu envie de les amener à Cergy Pontoise pour plusieurs raisons, la première étant que c’était un lieu que je voulais filmer depuis très longtemps. C’est un lieu sur lequel j’avais envie de faire un documentaire depuis 5 ou 6 ans. C’était vraiment une idée que j’avais en tête. Je me suis dit que c’était peut être l’occasion de débroussailler ce lieu en quelque sorte, en tout cas d’y filmer des images une première fois et de me l’approprier un peu plus encore. J’ai emmené mes comédiens pendant une semaine là-bas. Il y a ensuite eu le montage de Contes de juillet et je me suis rendu compte qu’il y avait vraiment une matière très riche, très belle. J’ai décidé d’aller au bout et d’en faire un vrai film.
Puis, l’été suivant, j’ai tourné, de début juillet à septembre, L’Ile au trésor qui est un documentaire. Evidemment il approfondit considérablement ce que l’on peut voir de ce lieu dans Contes de juillet. Le documentaire est un travail de plus longue haleine. Ca a été un tournage et un montage beaucoup plus long.
La bande-annonce de L'Ile au trésor, documentaire de Guillaume Brac, à l'affiche ce mercredi :