Le cinéaste italien Matteo Garrone brosse incontestablement un portrait contrasté de l’Italie contemporaine. Après avoir décrit la mafia napolitaine dans Gomorra et les dérives de la télé-réalité dans Reality, il revient cette fois sur l’affaire d’Er Canaro, ce fait divers sordide qui eut lieu le 18 février 1988. Souffre-douleur d’une petite frappe locale, le toiletteur pour chiens Pietro De Negri (rebaptisé Marcello dans Dogman) s’est vengé de l’homme qui le harcelait en le torturant sauvagement.
Spectaculairement bien accueilli au 71ème Festival de Cannes, le film de Matteo Garrone fait partie des favoris pour la Palme d’Or. Mais le cinéaste a tenu à préciser, au cours de sa conférence de presse, qu’il ne souhaitait pas faire un film sur la barbarie du fait divers, mais davantage sur la dimension humaine de cette sombre histoire.
Tout est parti d’un fait divers plutôt sombre et cruel.
"C’est un film que nous avons commencé à écrire il y a treize ans. Tout est parti d’un fait divers plutôt sombre et cruel. Et, au fil des années, l’histoire a beaucoup changé. Nous aussi, nous avons changé, d’ailleurs. Nous sommes parvenus à faire ce film, finalement. Nous avons rencontré Marcello Fonte entre temps et, grâce à lui, de nombreux éléments se sont éclairés d’eux-mêmes. Nous nous sommes éloignés du fait divers d’origine pour lui donner une dimension plus humaine. Nous avons compris comment ce fait divers pouvait arriver tout un chacun, sans transformer ce personnage de Marcello en monstre."
Le cinéaste italien pourrait donc repartir de la Croisette avec un gros prix, lui qui a déjà récolté deux Grands Prix en 2008 puis en 2012. Reparti bredouille de Cannes en 2015 pour son premier film international Tale of Tales, il revient à un cinéma plus local et sulfureux. Pour incarner la brute qui martyrise le héros, Edoardo Pesce a su composer un personnage terrifiant.
Il ne faut pas voir ce film uniquement comme quelque chose de sordide.
"Dans un film, si le méchant n’est pas crédible, l'ensemble s’effondre. Donc le travail d’Edoardo Pesce est fondamental et extraordinaire." précise le cinéaste. "S’il y a de la violence dans le film, car c’est un film sur la violence, je dirais que c’est une violence plus psychologique que sanguinolente, comme on pourrait l’imaginer a priori. Il ne faut pas voir ce film uniquement comme quelque chose de sordide. Si c’est ça qu’on cherche en allant le voir, on risque d’être déçu."
"Mon personnage est comme une fleur qui pousse dans la boue et qui reste toujours blanche… ou grise", affirme Marcello Fonte, l’acteur principal du film. "Il survit, il s’est créé des petites certitudes, des zones de sécurité." Le scénariste Ugo Chiti explique le comportement de ce héros en commentant : "Le cheminement de ce personnage est typique du cinéma italien. C’est un personnage qui s’arrange : il trafique de la cocaïne, etc. Moi, j’ai une vision du monde où d’un côté il y a des carnivores et de l’autre, des herbivores. Ce personnage principal est un herbivore qui vit des contradictions."
Cannes 2018 : la future Palme d'Or est-elle dans le Face Cannes #9 ?Interrogé sur le travail avec les chiens, qui sont presque les personnages secondaires du film, Matteo Garrone s’est amusé à déclarer : "J’adore travailler avec des chiens. On ne sait jamais ce qui va se passer. Un acteur devrait être heureux de travailler avec eux parce qu’il peut suivre leurs réactions sans prévoir la suite. Marcello était tout à fait à l’aise avec les chiens. Il y a cette scène où il mange avec son chien. (…) Je crois qu’il y a un prix pour les chiens à Cannes [la fameuse "Palme Dog", ndlr]. Ce chien-là le mérite vraiment. (Rires)
Il nous fallait un lieu qui pouvait rappeler certaines atmosphères de western.
Concernant le lieu de tournage, à Villagio Coppola, le réalisateur a précisé à la presse qu’il avait l’habitude d’y tourner et qu’il y revenait pour la troisième fois après L'Etrange Monsieur Peppino et Gomorra. "Ce qui nous a poussés à tourner là, c’est qu’il nous fallait un lieu qui pouvait rappeler certaines atmosphères de western. Nous avions l’idée d’un village de western au-delà de la frontière qui pouvait être une métaphore de la société dans laquelle nous vivons."
En fin de conférence de presse, Matteo Garrone s’est prononcé sur le parallèle entre Dogman et le climat politique actuel en Italie. "La peur est au coeur de cette histoire. La relation avec la violence, comment gérer ce rapport : la peur et le désir d’être apprécié de tous, aussi bien de Simoncino que des autres personnages du quartier. Il se trouve donc en conflit par faiblesse. L’histoire de ce personnage s’articule autour du thème de la peur."
Dogman, neuvième long métrage signé Matteo Garrone, sortira dans les salles françaises le 11 juillet 2018.
Suivez la conférence de presse de Dogman au 71ème Festival de Cannes