Lundi 14 mai, Grand Théâtre Lumière. Les 2300 spectateurs présents dans la salle sont venus assister à la projection de BlacKkKlansman, le nouveau film de Spike Lee. Un petit évènement pour professionnels et cinéphiles qui se réjouissent du grand retour de Lee, en compétition officielle, 27 ans après Jungle Fever. Sur le papier, l’histoire est un peu folle et adaptée des mémoires de Ron Stallworth : dans les années 70, un policier noir et un autre juif infiltrent le Ku Klux Klan de David Duke, responsable du mouvement. À l’arrivée, BlacKkKlansman est un pamphlet anti raciste férocement militant, qui dénonce ouvertement l’Amérique de Trump.
A l’issue de la projection, le Grand Théâtre Lumière est en ébullition, standing ovation. Spike Lee, John David Washington (Ron Stallworth, le flic noir), Adam Driver (Flip Zimmerman, le flic juif) ainsi que le reste de l’équipe, savourent le succès.
Sur les réseaux sociaux, l’enthousiasme est le même. "De la politique au carré, méchamment bien emballée", une charge politique "nécessaire, drôle et fédératrice", "BlacKkKsman est son chef-d’œuvre", peut-on lire sur Twitter.
Alors que certains s’emballent et parlent d’une éventuelle Palme d’Or - la première qui serait décernée à réalisateur noir – d’autres ont déjà les yeux rivés sur la suite du programme, le nouveau film de Lars Von Trier aka The House That Jack Built.
Petit rappel des faits : en 2011, Lars Von Trier présente Melancholia, en lice pour la Palme d’Or. Lors de la conférence de presse le cinéaste danois, déjà réputé pour son art de la provocation et son goût prononcé pour la misogynie, exprime sa sympathie pour Hitler. Dans la foulée de ses déclarations, Lars Von Trier est déclaré "persona non grata" par le Festival de Cannes. Sept ans plus tard, le conseil d’administration semble avoir fait table rase du passé et la direction du Festival de Cannes invite Lars Von Trier à venir présenter son nouveau long métrage, hors compétition. On y suit le parcours sanglant de Jack, tueur en série impitoyable, aux gestes précis qui transforment chaque scène de crime en œuvre d’art.
Toujours dans le Grand Théâtre Lumière, ce lundi 14 mai, Lars Von Trier succède donc à Spike Lee. Mais l’ambiance dans la salle n’est pas la même. Si Lee inspire le rire et l’engouement, Von Trier lui provoque la colère et le dégoût auprès de certains spectateurs. Choqués par la violence de certaines scènes (des enfants tués, une femme torturée…), quelques festivaliers quittent la salle et qualifient le film de répugnant. Il n’en reste pas moins qu’à l’issue de la projection, les spectateurs restants se lèvent pour applaudir, illustrant, en une seule soirée, toute la contradiction de Cannes.
Sur twitter, les internautes sont divisés. Si certains parlent d’un film "puissant", "une magnifique réflexion sur la création", d’autres se disent outrés.
Premier malaise pour les festivaliers, qui s’étonnent aussi de voir figurer en sélection un film violent à l’égard des femmes, alors même que ces dernières sont mises à l’honneur dans cette édition, seulement quelques mois après le séisme Weinstein.