AlloCiné : Nos Batailles est un film à petit budget mais vous avez tout de même réussi à avoir Romain Duris. Vous pensiez à lui dès le départ ?
Guillaume Senez : En fait ça c’est fait très tôt. Il n’y avait pas encore de première version de scénario, juste un traitement. J’ai de suite pensé à Romain car je sais que c’est quelqu’un qui aime se renouveler. Il avait déjà aimé Keeper, mon premier film, du coup on s’est rencontrés, je lui ai parlé du projet, on a parlé de la méthode de travail… ça s’est fait assez facilement. C’était super qu’il m’ait accordé cette confiance-là, c’est chouette. Je le tenais au courant au fur et à mesure des mois, de la manière dont évoluait le traitement etc.
J’aime tout ce qui sort du chemin tracé, tout ce qui déborde. Le film de Guillaume en est une preuve à 300%.
Romain, vous faites des films tellement différents les uns des autres, récemment vous étiez dans le dernier Ridley Scott, Tout l’argent du monde et là vous passez à un tout petit film comme Nos Batailles…
Romain Duris : C’est vrai que je suis passé d’un film de Ridley Scott avec une équipe gigantesque au film de Guillaume… Mais c’est ça qui est magique dans ce métier, c’est pour ça que je l’aime. On fait des sauts assez importants et ce que je cherche, c’est me renouveler à chaque fois, me lancer des nouveaux défis. C’est comme ça que j’avance ; si c’est pour faire ce métier pépère, se dire « moi mon cachet c’est ça » etc… et suivre une carrière qu’on s’inflige à soi-même, c’est mort. J’aime tout ce qui sort du chemin tracé, tout ce qui déborde. Le film de Guillaume en est une preuve à 300%.
Le film est très touchant grâce notamment au naturel dégagé par vos comédiens et comédiennes, notamment Romain, que je n’avais jamais vu comme ça. Quelle est votre méthode ?
RD : La méthode de Guillaume m’a beaucoup attiré. Il avait prévenu en amont que nous ne recevrions qu’un squelette, c’est-à-dire un traitement, un grand synopsis de ce qui doit se passer dans le film. Pour chaque scène il y a deux lignes, trois lignes de description. Après, le chemin pour y parvenir, les mots qu’on va choisir, les émotions qui vont découler, c’est un peu notre cuisine. Guillaume intervient ensuite petit à petit mais il n’y pas de dialogues, pas de ping-pong imposé. Il y a une liberté assez puissante.
Ici le texte est génial. Parfois il y a des textes qui sont plus précieux que d’autres, dont on ne peut pas toucher car les mots on été choisis et il faut respecter ça. Parfois, quand il y a des films qui décrivent la vie, il faut que ça déborde du texte et les metteurs adorent ça. Guillaume peut intervenir et nous dit « tiens, appuie-toi sur ça au lieu de ça » etc. Parfois il retombe d’ailleurs de façon magique sur ses pattes car nous allons seuls vers les dialogues qu'il a écrits dans son scénario caché. Il nous laisse envahir l’espace, le plateau.
Je suis dans une recherche de spontanéité, de véracité, d’honnêteté émotionnelle.
C’est osé de dire à ses acteurs qu’ils n’auront pas les dialogues…
GS : La chance que j’ai, c’est que c’est mon 2ème film. Je peux dire, « voilà ce que ça donne la méthodologie, est-ce que ce cinéma-là t’intéresse, est-ce que ça te tente ? » Romain avait déjà beaucoup aimé Keeper, il me posait beaucoup de questions, il voulait savoir comment on était arrivé à ce résultat-là. Comme moi je suis dans une recherche de spontanéité, de véracité, d’honnêteté émotionnelle, forcément, ça passe mieux. Après c’est vrai que c’est travailler sans filet, beaucoup de comédiens peuvent facilement être désarmés par rapport à ça. Car tu donnes de toi, de ta fragilité, donc il faut être un peu créatif. Il ne faut pas avoir peur de se lancer sans filet.
Je suis très content du travail qu’on a fait ensemble, de Romain et de tous les comédiens. Mais je comprends que ça peut être déstabilisant pour certains acteurs, ce n’est pas adapté à tout le monde cette façon de travailler.
C’est assez rare au cinéma ce genre de portrait d’homme meurtri par le départ soudain de sa femme…
RD : C’est autobiographique non ? (rires)
GS : Oui, je suis père de 2 enfants, je me suis séparé de leur mère, donc le film est parti un petit peu de moi. Je ne centre pas mes films sur ma vie car elle n’est pas si intéressante que ça. Je parle des choses qui me questionnent, qui me hantent. Et après j’en fais un film. Ici je voulais me concentrer sur la paternité car je suis père et c’est proche de moi.
C’est difficile pour moi de parler de choses dont je ne suis pas proche. Il faut que ce soit viscéral, sinon je n’arriverais pas à faire des films et je me lasserais. C’est tellement compliqué de monter un film, ça prend des années, on essuie des refus tout le temps. Si un truc ne se passe pas à l’intérieur, on se lasse et on passe à autre chose.
KEEPER, LE PREMIER FILM DE GUILLAUME SENEZ