AlloCiné : Quel a été le point de départ de cette fiction ?
Yves Rénier : Depuis que je suis enfant, l'injustice est quelque chose qui me révolte. L'affaire Dils, c'était une erreur judiciaire d'une injustice totale pour ce gamin de 16 ans et demi. A cet âge, on n'a pas les armes pour se défendre contre les adultes. Patrick Dils a été élevé dans une famille protestante, à Montigny-lès-Metz, avec une éducation assez rigoureuse. Ses parents lui avaient dit : «Tu ne dois jamais remettre en cause la parole de l'adulte », et ce truc-là lui tombe dessus, parce qu'il est au mauvais endroit, au mauvais moment.
Je suis né un 29 septembre et le meurtre a eu lieu le 28 septembre 1986. Le lendemain, le jour de mon anniversaire, ça s'étalait partout dans les journaux. J'ai commencé à m'intéresser à l'histoire, petit à petit. J'étais comme tout le monde au début, je lui ai dit à Patrick : « Tu sais, j'ai cru à ta culpabilité, car tu as été présenté dans les médias avec cette photo, ce geste qui t'accuse. » Il avait le regard fuyant, un long nez, un visage très émacié… C'est un délit de salle gueule. Au deuxième procès, l'histoire a commencé à ressortir. Je bossais avec un flic sur les Commisaire Moulin et il me disait : « Si, c'est sûr il est coupable. » Plus tard, j'animais une émission de télé sur les enquêtes criminelles et j'ai eu à présenter l'affaire Dils. Un des documentalistes avec qui je travaillais, Emmanuel Charlot, avait écrit un livre, Dils/Heaulme : la contre-enquête. Quand je lui ai dit que pour moi, c'était Dils, il m'a répondu : « Tu n'y es pas du tout, tu fais une grave erreur ! » J'ai lu son livre et j'ai commencé à me poser des questions.
Quand il a été libéré en 2002, il n'y avait plus de contestation possible puisque les gendarmes de la brigade de recherche de Lyon, qui n'était pas partie prenante, a refait tout le déroulé des événements et il s'est avéré que Patrick Dils était à 60 km du lieu du crime au moment des faits.
C'est donc un projet de longue date !
J'ai eu envie de faire le film très rapidement, dès la fin des années 2000. J'ai essayé de le monter une première fois, ça n'a pas fonctionné. La seconde fois, on m'a dit : « D'accord, mais pas sans l'assentiment de Patrick. » On n'arrivait pas à le trouver. Il était extrêmement paranoïaque, il avait peur des médias, et j'ai réussi à le contacter grâce à sa mère. Une première fois, il m'a dit non, qu'il voulait le faire pour le cinéma, pas pour la télévision et finalement qu'il n'avait pas envie qu'on remue le couteau dans la plaie. Cinq ans ont passé, entre-temps sa mère est décédée, son père était déjà parti, son éditeur l'a recontacté en lui demandant de réfléchir quand même à la proposition, et il a dit ok.
Je voulais juste rentrer chez moi est raconté du point de vue de sa mère, Jacqueline Dils.
C'était vraiment ce point de vue qui m'intéressait. Patrick Dils, on connaissait son séjour en prison. Je n'avais pas envie de faire un carnet sur son incarcération. Et je voulais Mathilde Seigner, donc il fallait bien que je lui propose un rôle. Je me suis dit que j'allais regarder cet événement vu par la mère, qui me paraissait, sans la connaître, être une femme qui ne lâchait rien, assez autoritaire. Patrick m'a dit : « Je ne comprends pas comment tu as pu aussi bien décrire la relation entre mon père, ma mère, mon frère... » En même temps, on voyait assez clairement que c'était Jacqueline Dils qui menait la barque. Je me suis dit que c'était un rôle pour Mathilde.
Est-ce que Patrick Dils a beaucoup discuté avec les comédiens ?
Non. On l'a fait venir, on lui a lu le scénario, car c'est compliqué de lire un script quand on n'est pas acteur. Il nous a indiqué deux ou trois trucs au sujet de sa famille. Je lui ai dit : « Ecoute, les relations familiales ne peuvent pas être un long fleuve tranquille, sinon on va se faire chier, il faut qu'il y a ait un peu de prises de bec entre le père, la mère, etc. » J'avais noté qu'à un moment le père baissait les bras. Il m'a dit : « C'est hors de question, mon père n'a jamais baissé les bras, la famille a toujours été très soudée. D'en haut, s'il nous voit, je ne peux pas envisager de faire un film où il baisserait les bras. » Donc on a modifié, car je ne voulais pas faire quelque chose qui le heurte. C'est très compliqué de faire un film à partir de faits réels sur des gens qui sont vivants, car ils ont beaucoup de mal à se dissocier de l'image qu'ils voient.
C'est aussi le cas pour le spectateur, d'ailleurs.
Bien sûr, et puis il est tellement bon Thomas Mustin, dans le rôle de Patrick, c'est une bombe atomique !
C'est fort, car pourtant, il n'y a pas du tout de ressemblance physique.
Au fur et à mesure, il lui ressemble, c'est assez dingue d'ailleurs. A la fin, on les mets côte à côte et on a l'impression que c'est le cas, alors qu'il n'y a effectivement aucune ressemblance physique !
La scène, au début, de l'interrogatoire, est particulièrement bouleversante…
Il s'est fait piéger, ce garçon. C'est pour ça que j'ai voulu garder le titre du livre : Je voulais juste rentrer chez moi. D'ailleurs, si on a acheté les droits, c'était pour le titre, car on n'a pas vraiment suivi le bouquin. Nous, on parlait de la mère.
Dans le film, à un certain moment, Jacqueline Dils rencontre la maman d'un des petits garçons assassinés. C'est vraiment arrivé ?
Oui, c'est vraiment arrivé, mais ce n'étaient pas les deux mères. Il y avait Jacqueline Dils et l'autre, qu'on a transformée en mère, c'était la sœur de la mère d'un des garçons.
Revenons sur le rôle de Marco, le compagnon de cellule de Dils. Que représentait ce rôle pour vous ?
D'abord, c'est un personnage qui a vraiment existé. Il s'appelle Pierre Lefèvre, Pierrot. En fait, j'ai refusé le surnom parce qu'il l'appelle Papy, en prison, et là j'ai dit : « Non, Papy c'est trop pour moi, mais Marco ça me va très bien. » spoiler: On a romancé, parce qu'il n'a jamais été tué, Pierre Lefèvre, il n'y avait pas de raison. C'était une trouvaille de Jean-Luc Estebe, le scénariste, de le faire mourir, et je trouvais vraiment que c'était bien. La symbolique était belle. Il lui a demandé de virer ses lunettes, cette moustache à la con, d'arrêter de se planquer et de devenir lui-même, et il va falloir qu'il meure pour que l'autre le fasse.
Vous vous êtes beaucoup intéressé à la police. Là, c'est la dimension judiciaire qui prime.
Comme je disais, je déteste l'injustice et là, la justice, elle a déconné ! Elle a mis quinze ans, à reconnaître ses torts, et elle ne l'a même pas fait correctement. Francis Heaulme serait totalement passé à travers les mailles du filet si la mère de Cyril Beining n'avait pas continué à porter plainte et à le poursuivre. C'est elle qui a fait en sorte que Heaulme repasse devant la justice en avril 2017. Et là, la défense a encore essayé de faire peser les soupçons sur Patrick Dils, en se disant qu'ainsi Heaulme ne serait peut-être pas condamné pour le double-meutre des enfants.
C'est vrai que Heaulme n'a jamais reconnu ces deux meurtres, contrairement à beaucoup d'autres.
Il ne peut pas les reconnaître, car ce sont des enfants, mais il a donné suffisamment de détails à l'ancien gendarme Jean-François Abrall, qui est un peu son confesseur, pour qu'on sache qu'il était sur les lieux. Ils ont absous complètement Henri Leclaire, lequel était venu s'accuser au début. Il avait décrit parfaitement les vêtements d'Alexandre et de Cyril. Quand il est arrivé pour grimper le talus, il était un peu lourd, il n'y arrivait pas et la police lui a dit de rentrer chez lui, mais je suis convaincu qu'ils étaient tous les deux.
C'est quand même un des rares exemples où la justice a fini par reconnaître ses torts.
Ils sont sept, depuis l'affaire Dreyfus, je crois, à avoir été indemnisés. Patrick Dils, je crois qu'il a touché 1,2 million, il a payé son avocat 300 000 euros, il a donné 200 000 euros à sa famille, donc il ne lui est resté que 700 000 euros.
Retrouvez la bande-annonce de Je voulais juste rentrer chez moi, ce soir à 20h55 sur France 2 :