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    Menina : "Je suis Française, mais je suis Portugaise. Je suis Portugaise, mais je suis Française."

    Avec "Menina", portrait à hauteur d'enfant d'une petite fille tiraillée entre ses deux cultures, Cristina Pinheiro signe un premier film poétique et fortement autobiographique. Rencontre.

    AlloCiné : "Menina" est fortement autobiographique. En quoi votre héroïne fait-elle écho à votre propre vie ?

    Cristina Pinheiro : Je suis cachée derrière chaque plan de la petite Luisa. Elle est un ersatz de moi, un peu sublimé comme le sont souvent les souvenirs. Luisa représente le souvenir de mon enfance. Je suis, comme elle, née en France de parents immigrés portugais. Comme elle, j'ai été élevée au Fado et à l'école de la République. Comme elle, j'ai longtemps cru que je devais faire un choix entre mes deux cultures, mes deux langues, mes deux nationalités, mes deux parents, mes deux révolutions. Comme elle, je me trompais. Je n’ai pas le choix, je suis riche de ce double trésor : née d’un 25 Avril et d’un 14 Juillet. Je suis Française, mais je suis Portugaise. Je suis Portugaise, mais je suis Française.

    Vous vous définissez avec ce film comme "une passeuse". Qu'entendez-vous par là ?

    Je suis cette enfant née en France, une terre où j'ai ancré de nouvelles racines. Je suis mère à mon tour, les racines sont maintenant de plus en plus profondes. Je dois rester le lien entre ma culture maternelle et ma culture du sol, entre le passé et le présent.

    Vos parents sont malheureusement décédés pendant l'élaboration du scénario. En quoi ces tragiques événements ont-ils nourri votre écriture ?

    Le décès de mon père est à l'origine du scénario. Je suis devenue adulte à cet instant précis, pourtant j'avais 30 ans lorsqu'il s'est éteint. Etre confronté à la mort d'un être cher à sa vie, c'est être confronté à sa propre mort: et bien je crois que c'est la définition de ce qu'est être adulte. Luisa devient donc adulte à 10 ans comme je le suis devenue à 30. Le décès de ma mère pendant l'écriture du scénario est un drame qui a fait de moi une orpheline. Mais derrière cette disparition, s'en cachait une autre, presque plus insupportable, celle de mes origines. Au deuil de ces êtres chers s’ajoute le deuil de ce que l’on est, intrinsèquement, viscéralement. A partir de ce moment, j'ai voulu que le personnage de la mère, Leonor, incarne l'Exil.

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    Votre film adopte le point de vue de votre héroïne, entre réalisme et une sorte de décalage enfantin et poétique. Comment avez-vous appréhendé cela dans l'écriture, la mise en scène et le montage ?

    Les enfants ont une manière bien à eux de raconter le monde qui les entoure. Ils déforment la réalité sans malice, ils ont souvent une perception bien différente de la nôtre car ils ne sont pas (encore) inhibés par la société. Ce qui m'intéressait c'était de pouvoir être totalement libre quant à l'interprétation d'une situation vécue par Luisa. Je pouvais ainsi déformer la réalité. C'est la magie (au sens propre) de l'enfance.

    Dès l'écriture j'ai voulu que "Menina" flirte avec le fantastique. Luisa est présente dans chaque séquence, c'était essentiel de partir d’elle pour construire la scène. Il a souvent fallu coller à ce personnage pour découvrir le monde à sa hauteur dans sa réalité souvent distordue. Ainsi, on n'a pas hésité à décadrer parfois le monde des adultes trop grands, trop envahissants. De plus, le décor des cabanons coincés entre ciel, mer et terre ajoute au surréalisme du lieu.

    Durant la phase de post-production, c'est le travail du son qui a pris le relai de l'onirisme. Le son est un élément d'une puissance évocatrice remarquable: comme avec les battements de cœur hypnotiques de João, le père, que Luisa est seule à entendre, assise à l'arrière de la moto, le visage plaqué tout contre lui.

    Parlez-nous de Naomi Biton, votre héroïne : comment l'avez-vous choisie et surtout dirigée dans un rôle énormément basé sur les silences, les regards, le ressenti ?

    Naomi Biton s'est très vite imposée à moi. Une fois que je l'ai eue en tête, je ne parvenais plus à me défaire de cette fillette qui avait la faculté de faire vivre le "off". Naomi fait exister tout ce que l'on ne voit pas. C'est une enfant avec une grande maturité, ce qui a rendu le tournage avec elle extrêmement facile et tranquille. Elle aime jouer comme les enfants aiment jouer à la marchande ou au loup, c'est là sa nature. Comme je suis restée une grande enfant, je n'ai fait que jouer avec elle. Notre complicité s'est installée au fur et à mesure des lectures et des répétitions. Puis Naomi s'est mise à me ressembler, c'était troublant.

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    La dynamique familiale entre Naomi Biton, Nuno Lopes, Beatriz Batarda et Thomas Brazete est extrêmement crédible. Quel a été le processus pour obtenir un tel réalisme dans le vécu et les interactions entre vos personnages ? Votre passé de comédienne a t-il aidé dans la direction d'acteurs ?

    Nuno Lopes et Beatriz Batarda se connaissent très bien et depuis près de 15 ans. Ils ont presque une intimité de "vieux couple". Ce sont deux grands acteurs qui mettent instantanément leur talent au service du scénario. Ils devaient incarner les parents d'un jeune homme, Pedro, et d'une fillette, Luisa, et c'est ce qu'ils ont été dès leur première rencontre. La famille a, tout de suite, existé. C'était presque magique. Ils ont répété ensemble un peu. Et sur le tournage, dès que je le pouvais, je les faisais jouer tous ensemble leurs séquences afin qu'ils prennent des habitudes, qu'ils se gênent, qu'ils se parasitent même; c'est ça une famille, non ? Mon passé de comédienne a été, évidemment, d'une aide précieuse. Il était impossible pour moi de préparer un plan sur le décor sans endosser tous les personnages afin de peaufiner leurs moindres gestes.

    On dit souvent qu'un réalisateur met "tout" dans son premier film, comme s'il allait être le dernier. Avez-vous déjà réfléchi à votre second ?

    Oui bien sûr. J'ai commencé à écrire et je peux vous dire que ça aura forcément un lien avec le Portugal et avec la France. Disons que je mettrai "tout" dans le second comme si c'était le premier…

    Menina, au cinéma le 20 décembre

     

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