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    Wolfenstein II : the New Colossus, le FPS narratif décomplexé et sauvagement drôle
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Disponible depuis le 27 octobre, "Wolfenstein II : the New Colossus", édité par Bethesda et signé par la même équipe que le premier volet sorti en 2014, se révèle être un jeu formidablement bien écrit et drôle, sous ses faux airs de FPS bas du front.

    Bethesda / MachineGames

    Petite séquence flashback. En juin 2013, Bethesda annoncait le retour de la cultissime licence Wolfenstein avec Wolfenstein : the New Order. Le titre était développé par un studio fondé par des anciens de Starbreeze, qui avaient notamment travaillé sur les géniales aventures de Riddick dans Escape From Butcher Bay. Pour se démarquer un peu des opus précédents, cette nouvelle version de Wolfenstein faisait le choix de partir du côté de l'uchronie post Seconde guerre mondiale. Un genre et une période déjà largement abordé au cinéma et dans la littérature, avec, pour citer quelques exemples, la formidable adaptation en série du Maître du haut château, tiré du roman de Philip K. Dick, ou Le Crépuscule des aigles; un téléfilm sorti en 1994 et qui était une adaptation du roman Fatherland de Robert Harris. Wolfenstein : the New Order poussait quant à lui le curseur nettement plus loin, puisqu'il marchait surtout dans les pas du délirant Iron Sky; ce film dans lequel les Nazis ont carrément colonisé la Lune et envahissent le monde.

    Alors que l'on s'attendait à un massacre en règle, Wolfenstein : The New Order, sorti en mai 2014, a finalement été une excellente surprise. On retrouvait avec délice le toujours increvable Ranger US B.J. Blazkowicz, qui se chargeait d'envoyer Ad Patres les nazis par paquets de douze. Un an plus tard, les canons de mitrailleuses encore fumant, l'éditeur lâchait dans l'arène un Prequel, baptisé Wolfenstein : The Old Blood, dont l'histoire, à base de mystérieux artefacts aux pouvoirs maléfiques, de nazis zombifiés ou fruits d'expériences dégénérées, rappelait furieusement l'excellent Return to Castle Wolfenstein.

    Trois ans plus tard, notre G.I énervé, meilleur ennemis des nazis, reprend du poil de la bête dans de nouvelles (més)aventures avec Wolfenstein II : the New Colossus. Un curieux titre de prime abord, mais qui fait totalement sens après avoir longuement sillonné le jeu, et surtout après avoir eu la satisfaction de poser nos mains sur un FPS narratif remarquablement écrit, drôle, parfois subversif et incisif, n'hésitant pas régulièrement à tacler l'Histoire du pays de l'Oncle Sam et à lui (re)jeter ses vieux démons en pleine face sans jamais se départir d'un humour au second (voire 3e) degré fort bienvenue.

    En clair, un exercice d'écriture qui relève du contorsionnisme, ou plutôt d'équilibriste, mais que MachineGames a brillamment relevé. Mieux : le titre du jeu -et par extension son récit- font même étrangement échos à l'actualité américaine, avec l'agitation du milieu des suprémacistes blancs et des membres du Ku Klux Klan, galvanisés depuis l'élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. Une extrême-droite qui s'était d'ailleurs, à l'annonce du jeu, énervé, en pointant un supposé "racisme anti-blanc" dans le jeu. Ce qui, bien entendu, est totalement faux. On se pince pour le dire et pensait ne jamais écrire une chose pareille, et pourtant. La licence Wolfenstein n'a jamais été connue -tout comme celle de Doom- pour ses qualités scénaristiques / d'écriture. Il va désormais falloir revoir sa copie avec Wolfenstein II: the New Colossus. Quand bien même si, en matière de FPS narratif, on est loin du chef-d'oeuvre absolu du genre, Bioshock, qui naviguait cependant dans des eaux (troubles) très différentes.

    Bienvenue aux Etats nazis d'Amérique !

    The New Colossus est en fait le nom d'un célèbre sonnet écrit par la poétesse américaine Emma Lazarus (1849-1887), auteure du poème The New Colossus, qui est gravé sur une plaque de bronze sur une paroi du socle de la statue de la Liberté à New York. Le passage le plus fameux du poème est le suivant :

    "Donnez-moi vos pauvres, vos exténués,

    Qui en rangs serrés aspirent à vivre libres,

    Le rebut de vos rivages surpeuplés,

    Envoyez-moi ces déshérités rejetés par la tempête

    De ma lumière, j'éclaire la porte d'or !"

    L'équipe de MachineGames se fait donc poète, entre deux éventrations de nazis. C'est que le titre place en fait très bien le contexte du jeu. Dans le nouveau monde de Wolfenstein, les nazis ont donc gagné la Seconde guerre mondiale. Technologiquement dépassés, les Alliés subissent de plein fouet la défaite, face à un empire nazi suréquipé. En 1946, une opération commando de la dernière chance est organisée, menée par notre G.I énervé, B.J. Blazkowicz, envoyé pour éradiquer l'oppresseur nazi avec l'aide de la Résistance, et réécrire le cours de l'Histoire à grands coups de canons et autres décharges de chevrotines.

    Bethesda / MachineGames

    Suite directe du précédent volet, Wolfenstein II : the New Colossus commence même là où son prédécesseur s'achève. L'assassinat du "boucher", le général Wilhelm Strasse, n'a finalement été qu'une victoire de courte durée. L'emprise des nazis sur le pays est toujours aussi forte. Blazkowicz, presque mort à la fin du premier opus, est convalescent, à bord d'un gigantesque sous-marin du nom de Marteau d'Eva. Sortant du coma, le corps couturé de cicatrices comme la créature de Frankenstein, Blazko le barjot débute ses aventures littéralement en fauteuil roulant, grabataire, avec la moitié de ses points de vie. Le sous-marin est en effet la proie d'un assaut mené par les troupes de Frau Engel. Ennemie secondaire dans The New Order, horriblement balafrée par la Résistance dans le premier jeu, elle a depuis pris du galon et cherche à se venger de Blazkowicz pour la mort du "Boucher" mais aussi de son amant éphèbe.

    Introduite par une Cut Scene dès la fin de la première mission à bord du sous-marin, Frau Engel, qui tient davantage de la Louve SS cruelle et dégénérée des films de la nazisploitation -le côté érotique en moins quand même- n'est qu'un des formidables personnages parmi toute une galerie de gueules écrites avec soin, attachantes aussi parfois, donnant lieu à de francs éclats de rires au cours de certaines séquences de dialogues ou situations rencontrées dans le jeu.

    On peut citer à ce titre celui de Grace Walker, croisement entre la figure historique et activiste noire Angela Davis, qui milita chez les Black Panthers, avec le franc parler d'une Pam Grier grimée en Coffy ou Foxy Brown. Il y a Seth Roth, scientifique juif et âgé tenant plus du professeur Tournesol; Horton, le guerrillero illuminé déguisé en prêtre; Sigrun Engel, la multi complexée, attachante et obèse fille de sa dégénérée de mère, Frau Engel; Bombate le rasta, dont la cabine de couchage est une ôde à la gloire du Négus, l'empereur éthiopien divinisé Haïlé Sélassié Ier; Max Hass, le gentil géant au Q.I d'une huître et éternel enfant, qui ne supporte pas la violence; ou encore Anya Oliwa, la compagne de B.J. Blazkowicz, enceinte jusqu'aux yeux de jumeaux, ce qui ne l'empêche nullement de manier avec dextérité la sulfateuse pour refroidir les nazis, entre deux bouffées de chaleur faisant monter son taux d'hormones et son désir sexuel envers son homme bientôt papa, à l'âge de 50 ans. Oui oui, les développeurs s'autorisent à peu près tout et ne reculent surtout devant rien !

    Bethesda / MachineGames

    Au passage, on tire notre chapeau à la grande qualité des doublages VF du jeu, en particulier celle de Patrick Poivey qui double Blazkowicz et qui est, faut-il encore le rappeler, la voix officielle de Bruce Willis depuis la fin des années 1980. Un choix qui se révèle au passage savoureux et assez malin d'ailleurs, puisque le studio de développement a pris pour modèle pour son héros principal un certain John McLane période Piège de cristal, avec son humour légèrement pince-sans-rire et sa légère propension à se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment. Dans le genre modèle de référence, il y a pire.

    On pourrait continuer à dresser l'inventaire de la galerie de personnages peuplant le monde barré de ce Wolfenstein, mais sachez qu'ils ont toujours une petite punchline bien sentie au détour d'une mission ou dans une cinématique. Bref, ils existent par et pour eux-mêmes, et ne servent pas que de faire-valoir à Blazko. Quant au destin du héros justement, MachineGames donne toujours un peu plus de chair à un personnage que le studio semble aimer passionnément, en multipliant notamment les séquences de flashbacks éclairant le joueur sur l'enfance pas franchement heureuse -et même parfois émouvante- de celui-ci, pris entre une mère aimante mais impuissante, et un père alcoolique, sadique, raciste, antisémite et violent. Autant dire qu'il cumule à peu près tous les handicaps possibles.

    Bethesda / MachineGames

    C'est particulièrement saisissant tout au début du jeu lors d'une séquence flashback à la cruauté assez glaçante, et plus encore dans une séquence située au deux tiers environ de l'aventure, lorsqu'après avoir fait sauter le QG de l'Oberkommando souterrain situé dans la zone 52 du côté de la petite ville de Roswell (Oui, oui, la zone 52 et pas 51 ! Quand on vous disait que l'équipe de MachineGames est facétieuse !), Blazko se rend dans la ferme abandonnée de son enfance. Dans une séquence visuelle qui mélange avec une belle fluidité et une certaine élégance passé et présent, l'enfance douloureuse du personnage revient pour le saisir brutalement à la gorge. Mieux encore : les développeurs se fendent même régulièrement d'audaces narratives dont une, complètement folle voire même carrément jusqu'au-boutiste dans cette logique de repousser les limites -narrativement s'entend- du genre, qui relève presque du génie. Nous ne dirons rien pour ne pas vous gâcher la surprise, mais elle vaut son pesant de cacahuètes.

    Du FPS narratif, c'est bien. Décomplexé et bourrin, c'est encore mieux !

    La surcouche de narration, c'est bien. Mais Wolfenstein est avant tout un bon gros FPS pas réputé pour faire dans la dentelle de Bruges. Qu'en est-il de cet aspect ? Sur ce point, le titre de MachineGames ne réinvente pas la roue, mais n'a, du reste, pas la prétention de le faire. Avec un panel d'armes au feeling plaisant et légèrement personnalisables, allant du laser haute-densité capable de désintégrer les ennemis au lance-grenades pneumatique et fusil à pompe capable d'envoyer les cartouches par trois, le gameplay permet logiquement aussi bien de foncer dans le tas avec une arme (différente ou pas) dans chaque main, que privilégier -du moins un certain temps- les approches furtives pour liquider patiemment les ennemis. En veillant quand même à s'occuper systématiquement des officiers en premier, car ils sont capables de déclencher l'alerte au moindre bruit suspect et appeler du renfort, au point de se retrouver rapidement avec la moitié de la garnison sur le dos. C'en est même à se demander si, parfois, ils n'ont pas l'oreille bionique tellement ils entendent de loin. On notera d'ailleurs que, comme dans le précédent volet, le personnage peut améliorer ses compétences (baptisés "Perks") dans le maniement de ses armes selon certaines actions, comme effectuer 30 tirs à la tête, lancer 10 grenades, tuer en même temps deux ennemis, ect...

    Bethesda / MachineGames

    Honnêtement, ces boosts de compétences et la puissance de feu ne seront vraiment pas de trop, car autant vous prévenir : si l'I.A. des ennemis est parfois aux fraises, ils ont une tendance à faire très mal avec leurs armes, surtout les über soldats lourdement armés. Et vu que vous passerez un gros tiers du jeu avec une barre de vie coincée à 50%, là aussi un choix justifié qui fait sens d'un point de vue scénaristique, on ne saurait trop vous conseiller d'éviter quand même de trop foncer dans le tas, sous peine de brouter les pissenlits par la racine rapidement. Le blindage de l'armure de Blazko est loin d'être éternel et descend très vite, même si les développeurs ont généreusement saupoudré les niveaux de pièces d'armure qui regonfleront la protection de Blazko. Pour tout dire, le jeu est globalement difficile, et le niveau "Amenez-vous !", qui est l'équivalent du niveau normal, vous donnera occasionnellement du fil à retordre. Sans doute aussi parce que la visée sur console pour un jeu FPS, sera toujours moins précise que sur un PC, la matrice même du FPS...

    The New Colossus est un jeu plutôt généreux sur sa durée de vie, pour le genre. Celle-ci est d'ailleurs augmentée -un peu artificiellement dirons certains- par des missions facultatives d'assassinats d'Übercommandants aux quatres coins des Etats-Unis, de l'Etat de New York à la Californie en passant par la Nouvelle Orléans, pour libérer le pays du joug nazi. Pour les localiser et déverrouiller ces missions à bord du sous-marin qui sert de QG de la Résistance, il faut au préalable avoir récolté suffisamment de codes cryptés pris sur les cadavres encore fumant des officiers refroidis par Blazko. Ces codes sont utilisés par une machine Enigma, dans laquelle le joueur décrypte -simplement, rien de difficile- les messages. Le principe de ces missions est plutôt sympa, d'autant que s'il s'agit effectivement de revenir dans certaines zones déjà parcourues, les points d'insertions de Blazko ne sont pas toujours les mêmes et se déroule parfois dans des sections non accessibles lors du premier passage de notre G.I. préféré.

    Alors, Wolfenstein II, un jeu parfait ? Evidemment non. L'I.A. des ennemis reste perfectible; une difficulté en dents de scie; un Level Design parfois moins inspiré d'un niveau à l'autre; pas de prise de risque et (très) peu de changements au niveau du Gameplay par rapport à l'opus précédent... Mais, cultivant plus que jamais un esprit "sale gosse", il y a une telle sincérité et passion dans le jeu de MachineGames, qui s'inscrit en prime à rebours de la concurrence en ne proposant qu'une aventure solo là où en face le multijoueurs est roi, qu'il faut saluer comme il se doit le travail abattu pour mettre en musique ces nouvelles (més)aventures de B.J. Blazkowicz. Pas un jeu parfait donc, mais un très bon jeu. C'est déjà beaucoup.

    Ci-dessous, le Trailer de lancement du jeu...

     

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