AlloCiné : Peut-on dire qu'Un beau soleil intérieur est une comédie, un terme que vous ne voulez pas forcément accoler à votre film ?
Claire Denis, réalisatrice et co-scénariste : J'avais peur que les gens s'attendent à une grosse farce. Comédie peut être pas, mais c'est une tragi-comédie. C'est quelqu'un qui cherche l'amour, qui rate toutes ses tentatives, et qui en même temps, rebondit tout le temps, avec une foi formidable. Avec les mots ciselés de Christine [Angot], son humour aussi, et l'humour de Juliette [Binoche]. Des situations avec tous ces hommes, je trouve qu'il y a en effet le territoire d'une comédie mais pas comme on l'entend aujourd'hui. Peut être un peu comme on disait les comédies italiennes d'avant. Tragi-comédie plutôt.
Le projet est né d'une rencontre avec Christine Angot ?
C.D. : Non, c'est un producteur [Olivier Delbosc] qui m'a demandé si je voulais travailler avec lui et je lui ai dit que je venais de travailler avec Christine Angot et qu'on avait envie de continuer ensemble. Je ne sais pas si on était persuadées qu'on faisait un scénario. On s'est retrouvées régulièrement et on avait l'idée de ne pas réunir les scènes dans une continuité temporelle, mais de les ajouter les unes aux autres. Peut être ça dure un an ou plus.
C'est comme une espèce de valse des amours. Là, ce sont des morceaux de temps, de son temps d'amour réussi ou déçu. Il y a eu un moment avec Christine où on était heureuses de travailler mais on s'est dit qu'on allait bien voir comme notre producteur allait réagir. Christine lui a lu le scénario et on a beaucoup ri ; ça lui a beaucoup plu.

Avez-vous écrit en pensant à Juliette Binoche ?
Christine Angot, co-scénariste : Je ne pourrai pas, ce n'est pas possible. Ce qui m'intéresse quand j'écris, quoi que j'écrive, c'est qu'il y ait un rapport avec le réel. C'est à dire comment les choses se passent pour nous tous, pas spécialement pour Juliette, pour Claire, pour moi, ou qui que ce soit.
C'est vraiment qu'est ce que c'est de rechercher quelqu'un avec qui on aimerait vivre, quelqu'un qui peut vous accompagner dans la vie, que vous pouvez accompagner dans la vie. Etre avec quelqu'un. Qu'est ce que c'est ? Qu'est ce qu'on est prêt à faire pour ça ? Est ce que c'est important ? Est-ce que finalement je suis aussi bien toute seule ? Comment ça se vit tout ça ?
Moi, c'est à ça que je pensais tout le temps. Après je ne peux pas me mettre prisonnière d'une image. Après l'actrice prend sa liberté évidemment par rapport à ce qui est écrit. Mais au moins il y a la garantie qu'elle pourra s'appuyer uniquement sur ce qui est écrit, qui a un rapport avec le réel, fortement.

Il est rare que des comédiennes nous disent avec qui elles auraient le désir de travailler si elles en avaient le choix, mais lorsque c'est le cas, un nom qui ressort régulièrement est celui de Claire Denis. Etait-ce un désir pour vous aussi ? Et comment expliquez-vous cela ?
Juliette Binoche, comédienne : Claire, je la connais depuis toujours, depuis que j'ai commencé à 18-19 ans. Je l'ai rencontrée sur un casting et elle avait été très chaleureuse avec moi. C'est vrai que quand on est jeune actrice, qu'on se casse le nez parce qu'on n'a pas encore rencontré le réalisateur qui croit en vous… elle m'avait marquée pour ça. Pour moi, elle faisait un peu partie de ma famille sans vraiment l'avoir rencontrée.
Mais il faut dire que je n'anticipe pas trop ceux avec qui j'ai envie de tourner. Je ne suis pas trop dans cette façon de penser ou de parler parce que ça n'est pas comme ça que ça se passe. Ça m'est arrivé de provoquer des films ou des rendez-vous, d'aller voir Abbas Kiarostami en Iran, ou de téléphoner à Bruno Dumont parce que j'ai envie de travailler avec lui. Mais je savais qu'avec Claire, à un moment donné, on arriverait à se croiser, à tourner ensemble. C'est vrai que la rencontre dans le tournage était évidente.
Je trouve que l'acteur doit s'adapter : s'adapter à un esprit, à un rythme, et avec elle, il y avait déjà tellement tout… Elle est hyper sincère, elle dit tout ce qu'elle pense, tout ce qui la traverse. J'adore car c'est un scan permanent chez elle qu'elle délivre facilement. Il y avait un profond respect entre nous.

Il y a une scène très forte avec Gérard Depardieu, qui a beaucoup fait rire la salle...
J.B. : A lire déjà, c'était formidable. La qualité de Christine Angot est d'écrire pour chaque personnage avec des différences. Quand on lit des scénarios parfois, le langage est le même pour tous les personnages, du début jusqu'à la fin, ce qui est pour moi incroyable. Elle a compris que chaque personne parle différemment, avec des rythmes différents, des pensées différentes. Pour la scène du voyant, c'était une performance d'écriture. Gérard a pris le temps, de chaque mot, chaque expression, avec humilité. On a eu juste une journée pour tourner la scène. On a fait pas mal d'angles différents sur Gérard, et avec moi, ça s'est résolu assez rapidement, parce que les circonstances ont fait que. Elle a fait deux prises et basta.
Ça s'est passé d'une façon spontanée et avec bienveillance des deux côtés. Il n'y avait pas l'envie de prouver à l'un ou à l'autre. Il y avait une sorte de calme et de plaisir à partager ce moment qui avait été dans le passé un peu compliqué. Il m'avait insulté dans un magazine autrichien je crois, et moi j'étais en promotion de film à ce moment-là. J'ai dû répondre à ses attaques.
Et puis, il s'est trouvé que le destin me l'a fait rencontrer trois mois après au marché boulevard Raspail. Je suis allée voir et je lui ai dit : « Gérard, qu'est-ce qu'il se passe ? Qu'est-ce que je t'ai fait ? Pourquoi tu es aussi méchant ? ». Il m'a dit : « Ne t'en fais pas, je dis n'importe quoi. » Et on s'est raccordés comme ça. Tout d'un coup, de concrétiser un moment au cinéma ensemble…
Parce que la première fois que je suis allée sur un tournage, c 'était sur Danton. J'étais encore au lycée. Il y avait un ami de mon père qui jouait dedans, Bernard Maitre. J'avais pu aller voir le tournage et Gérard était venu me voir. J'avais à peine 18 ans. Il m'a dit : « qu'est ce que tu fais là ? » « Je regarde, j'observe » « Non, mais qu'est ce que tu fais là ? » « J'ai envie d'être actrice, j'observe. » Il m'a dit : « Travaille tes classiques ». Et il est revenu 3-4 fois vers moi, j'étais hyper touchée.
J'étais toute jeunette, je n'étais pas actrice professionnelle. De jouer avec lui était une espèce de cadeau qui a dû être retourné quand même, parce que j'ai reçu 3-4 uppercuts sans avoir l'impression de l'avoir provoqué, si ce n'est par ce que je suis (rires).
Un Beau Soleil Intérieur EXTRAIT "L'avant"
