Sorti en mai 2016, Uncharted 4 : a Thief's End était un sublime hommage aux films et récits d'aventures Pulp doublé d'une démonstration technique sans égale de la part de Naughty Dog. Au terme d'un épilogue émouvant et plein de tendresse pour ses personnages, le studio faisait tomber le rideau et ses adieux à Nathan Drake. Tandis que c'était avec un certain pincement au coeur que l'on reposait notre manette, neuf ans après avoir embrassé pour la première fois la destinée d'un héros devenu le fétiche de ses géniteurs.
Si les (més)aventures de Nathan Drake sont bien terminées et que le pendant vidéoludique d'Indiana Jones a pris une retraite bien méritée, les développeurs ont malgré tout cherché à entretenir la flamme sacrée en annoncant ce qui devait d'abord être un bonus à Uncharted 4, avant de muer rapidement en un Stand Alone complet : Uncharted : the Lost Legacy.
L'une des sagas les plus iconiques de la console de Sony peut-elle s'affranchir de son héros principal et par conséquent survivre sans lui ? Autant mettre fin au (faux ?) suspens de suite : absolument. A condition toutefois de s'appeler Naughty Dog, dont le savoir-faire n'est, depuis longtemps, plus à démontrer. Pour la première fois dans la franchise, les joueurs contrôlent ainsi une femme, Chloé Frazer; personnage attachant que l'on découvrait dans Uncharted 2 : Among Thieves, et qui faisait également une apparition dans le 3e volet, sorti en novembre 2011.
Office du tourisme indien
Chronologiquement situé peu après Uncharted 4, le coeur du récit d'Uncharted : the Lost Legacy se déroule en Inde, où la chasseuse de trésors Chloé Frazer, à moitié indienne par son père, est lancée à la recherche d'un très ancien artefact, afin que celui-ci n'atterrisse pas entre les doigts crochus d'un révolutionnaire et chef de guerre du nom d'Asav. Si ce dernier se révèle être dans les premiers instants un fanatique - chercheur de trésor de plus dans l'univers d'Uncharted, la suite de l'aventure montrera qu'il est bien plus malin et surtout dangereux que prévu.
Pour l'aider dans sa quête, Chloé s'associe à Nadine Ross, l'ex propriétaire d'une entreprise de mercenariat d'Uncharted 4, bien décidée de son côté à se refaire une santé financière pour racheter son entreprise qui lui a filé entre les doigts. Les deux associées pour le meilleur et évidemment pour le pire s'aventurent au plus profond de ce que l'on appelle les Ghats occidentaux, une région réputée pour sa richesse naturelle, qui est en fait une immense chaîne de montagnes située dans l'Ouest de l'Inde. Elles s'enfoncent en fait au coeur d'un ancien empire baptisé Hoysala, pour y retrouver la légendaire défense d'or du dieu indien Ganesh...
Si les voyages aux quatre coins du globe faisaient partie du cahier des charges de tous les volets de la saga Uncharted, Naughty Dog a préféré tempérer les pérégrinations du duo féminin en gardant une unité de lieu. On reste en Inde, dans les Ghats occidentaux. Mais nulle frustration. Car cette région se révèle exceptionnelle par la diversité de ses environnements qui s'offrent à nos yeux. Certes, la réputation d'orfèvre de Naughty Dog n'est plus à démontrer; Uncharted 4 avait sur ce point là mis la barre très très haute, avec des environnements beaux à pleurer. Ceux de the Lost Legacy n'ont pourtant absolument pas à rougir, bien au contraire.
Que ce soit dès le tout début de l'aventure, dans les ruelles mal famées et sur les toits d'une ville en Inde, à cette sublime architecture des ruines d'un colossal temple dédié à Ganesh niché au creux d'une vallée oubliée de tous, le moindre brin d'herbe, la moindre pierre, le moindre arbuste a presque été posé là scientifiquement, avec un souci du détail et de la précision digne d'un horloger suisse. Plus posé que son prédécesseur, qui entraînait le joueur dans un étourdissant et ébouriffant Roller Coaster, le rythme de the Lost Legacy permet justement d'apprécier à leurs justes valeurs ces environnements sidérants de beauté. Une sensation régulièrement accrue par le choix de certains cadrages cinématographiques à la profondeur de champs stupéfiante, littéralement vertigineux, dont Naughty Dog s'est aussi fait une spécialité. Dans cette optique, la réinsertion du grappin pour se balancer, présent dans Uncharted 4, amplifie même cette sensation.
Introduit dans le précédent volet dans le chapitre du "safari" à Madagascar, le véhicule 4x4 refait son apparition; mais son usage se révèle encore plus justifié dans the Lost Legacy pour explorer les environnements, selon que le joueur souhaite privilégier la quête / histoire principale, ou bien s'attarder longuement pour découvrir les endroits cachés recelant des trésors. Cette zone accessible en 4x4 est d'ailleurs le vaste terrain de chasse d'une quête secondaire consistant à trouver 11 médaillons obtenables après avoir résolu certaines énigmes, qui permettront de récupérer in fine un objet qui facilitera grandement la chasse aux trésors dans la suite de l'aventure. Un encouragement évident -et bienvenue- à prendre son temps. Ca tombe bien : un jeu Uncharted, cela doit se déguster à la petite cuillère, pas à la louche.
C'est dans les vieux pots...
Si le duo féminin, antagoniste de prime abord puis complice ensuite, fait souffler un vrai vent de fraîcheur tout en s'inscrivant à rebours des stéréotypes féminins vu dans les jeux vidéo, les relations entre les deux personnages mettent quand même un peu trop de temps à s'installer. Les choses commencent réellement à s'emballer à mi-chemin du récit. Et, tout comme l'opus précédent, il est possible de plonger un peu plus dans le passé et les motivations des héroïnes avec de petites phases de discussions optionnelles, qui donnent toujours un peu plus de chair à des personnages déjà bien écrits.
Nous parlions plus haut d'un rythme plus posé qu'Uncharted 4. En fait, au cours de la saga, Nathan Drake donnait parfois l'impression de devenir un peu le souffre-douleur du studio, qui aimait martyriser son héros fétiche au point de lui faire traverser un peu trop systématiquement des situations extrêmes comment autant de montagnes russes parfois épuisantes, avec à la clé un vrai risque que cet artifice ne finisse par désamorcer toute espèce de tension et de danger. Sur ce point, the Lost Legacy met la pédale douce et ménage un peu ses effets sur notre tandem, avec succès. Le dernier tiers du jeu, que nous ne dévoileront pas pour ne pas spoiler, est à ce titre très efficace, même avec un air de déjà vu / joué dans les volets précédents de la saga.
Au terme des huit heures qu'il nous a fallu pour venir à bout de l'histoire, en prenant notre temps donc, le constat est clair. Naughty Dog n'a pas cherché à réinventer une recette déjà très bien éprouvée auprès des fans. Du reste, pourquoi prendre un tel risque ? Et surtout, est-ce vraiment ce que les joueurs attendent d'une telle licence ?
"Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage. Polissez-le sans cesse" disait le poète / écrivain Nicolas Boileau. En d'autres termes, c'est dans les choses que l'on travaille et retravaille encore, inlassablement, que l'on pourra briller et exceller dans le résultat de notre travail. On ignore si les orfèvres de Naughty Dog sont des fervents adeptes de l'auteur, mais ils illustrent en tout cas brillamment cette fameuse pensée.
Ci-dessous, le trailer de lancement du jeu, sorti le 23 août...