"One man...seven women...in a strange house !" pouvait-on lire sur l'affiche américaine des Proies de Don Siegel. A côté de cette tagline écrite en gros caractères, le visage de Clint Eastwood, avec une main -la sienne évidemment- tenant un revolver. Cette affiche laissait penser aux spectateurs américains que Eastwood était la star d'un nouveau western, reprenant un de ses rôles habituels : héros logiquement triomphant, fine gâchette, et mâchouillant ses cigarillos, comme au temps des rôles qui firent sa gloire chez Sergio Leone.
Cette affiche était pourtant particulièrement trompeuse, car Les Proies est tout sauf un western dans son acceptation la plus classique et hollywoodienne du terme. Chef-d'oeuvre à la fois vénéneux, morbide et dérangeant, Les Proies est avant tout un huis-clos oppressant teinté d'épouvante; peut-être le diamant noir de la filmographie de Clint Eastwood, qui incarne sans doute ici le personnage le plus pervers, calculateur et manipulateur de toute sa carrière. Quant au vétéran Don Siegel, qui travaille pour la troisième fois avec le comédien après Un Shérif à New York et Sierra Torride -en attendant Dirty Harry-, il estimait avoir livré le meilleur film de sa solide carrière.
Ci-dessous, la bande-annonce du film...
C'est en 1966, année de la parution de la nouvelle écrite par Thomas P. Cullinan, que Clint Eastwood découvre l'oeuvre, grâce au futur producteur du film, Jennings Lang. Happé par la lecture d'un récit à la noirceur absolue, Eastwood lit le roman en une nuit. Son adaptation au cinéma représenterait pour le comédien "une vraie opportunité de jouer avec les émotions, sans devoir allumer des canons avec des cigares" lâche-t-il. Référence évidente à son personnage du Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone et à une des (nombreuses) scènes cultes du film; et plus largement à la figure désormais très populaire de "l'homme sans nom".
Les Proies, un faux western, dont la Guerre de Sécession n'est au final qu'un lointain écho, presque un prétexte, qui offrirait à Eastwood l'opportunité d'incarner un personnage très antipathique à l'écran; loin des personnages à la virilité triomphante. Il est tout à fait raccord avec le désir et la vision de Don Siegel, qui veux tourner un film sombre, chargé de symbolisme, dans la tradition d'un Edgard Allan Poe. Ils sont si convaincu du ton et de l'orientation qu'ils souhaitent donner au film qu'ils prennent le contrepied de la première version du script livré par le scénariste Albert Maltz, qui prévoyait un Happy End, là où le personnage de Eastwood subit une fin tragique.
"Les femmes sont capables de tromperie, d’escroquerie, de meurtre, de tout. Derrière leur masque d’innocence se cache autant de scélératesse que vous pourriez en trouver chez un membre de la Mafia" lâchait Siegel en évoquant l'histoire du film. Pour le cinéaste, le sexe, la violence et la vengeance féminine sont au coeur du film, avec en fil rouge "le désir des femmes de castrer les hommes", au moins symboliquement, et incarné par une glaçante scène d'amputation qui suscite l'épouvante.
Avec Bruce Surtees, connu pour être un excellent technicien, mais n'ayant jamais travaillé auparavant comme directeur de la photographie. Siegel a trouvé en lui l'homme qu'il fallait pour rendre cette atmosphère lugubre. Bruce Surtees, fils du grand directeur de la photographie Robert Surtees, parvient ainsi à travailler avec un miminum d'éclairage, ce qui lui a d'ailleurs valu le surnom sympathique de "Prince des ténèbres".
Echec au Box Office américain
Eastwood et Siegel carressent l'idée d'éventuellement présenter le film à l'un des grands festivals, -pourquoi pas Cannes, comme le suggère Pierre Rissient ?- mais les responsables des studios Universal refusent. C'est que la Major sue à grosses gouttes : le sujet du film n'est pas franchement commercial... Elle veut d'abord connaître la réaction du public américain, qui rejette malheureusement le film. Siegel en impute de son côté la responsabilité à Universal, l'accusant d'avoir sciemment induit en erreur le public avec son matériel promotionnel; laissant croire qu'il s'agissait d'un film d'action.
Les Proies rapporta moins de un million de $ de recettes. Une gifle cinglante, qui vaut aussi pour Clint Eastwood, qui tentait d'incarner là un personnage aux antipodes des précédents. Non sans une certaine ironie, c'est avec L'inspecteur Harry, sorti en décembre 1971 et tourné après Les Proies, quintessence même du héros viril à la mâchoire serrée, cynique, violent et misogyne, que Clint Eastwood retrouvera le succès et regagnera le coeur de son public déboussolé par son rôle dans Les Proies, qui reste, 46 ans après sa sortie, un authentique chef-d'oeuvre. Vous savez ce qu'il vous reste à faire si vous ne l'avez jamais vu.