On ne le sait pas forcément, mais la légende de Rocky, le film culte écrit par et avec Sylvester Stallone en 1976, s'inspire d'une histoire vraie et, donc, d'un boxeur ayant réellement existé.
Outsider, le film réalisé par Philippe Falardeau en salles cette semaine, se charge justement de raconter cette histoire méconnue, celle du "vrai" Rocky, le dénommé Chuck Wepner. Interprété à l'écran par Liev Schreiber, qui tenait à jouer le rôle depuis des années, Chuck Wepner était effectivement un "outsider", un homme que personne n'avait vu venir.
Dans l'une des accroches du film, le personnage résume d'ailleurs parfaitement son drôle de parcours, teinté de victoires, de défaites, de revanche, de célébrité et d'autodestruction :
"Je m'appelle Chuck Wepner. Vous ne me connaissez pas. Enfin, si, vous me connaissez mais vous ne savez pas que vous me connaissez." Car avant d'inspirer Rocky, l'un des personnages les plus iconiques du cinéma, Chuck Wepner était un inconnu. Et le pire, c'est que même après la naissance de ce qui deviendra une inoubliable franchise, Chuck Wepner en restera un, n'ayant jamais pu atteindre, à son grand dam, la célébrité de son presqu'alter-égo de fiction...
Le saigneur de Bayonne
Né à New York en 1939, Wepner, élevé par sa mère et ses grands-parents, apprend dans sa ville, Bayonne (située dans le New Jersey), à se défendre. Sans avoir en tête un parcours professionnel bien dessiné, il s'engage dans les U.S. Marines où il rejoint l'équipe de boxe. Du haut de ses presque deux mètres, c'est là qu'il commence à se forger une réputation de boxeur plutôt lourd mais toutefois correct, qui excelle surtout dans l'art de recevoir des coups.
Cette particularité lui vaudra d'ailleurs plus tard son surnom : "The Bayonne Bleeder", "le saigneur" ou "l'hémophile de Bayonne", pour figurer sa propension à perdre beaucoup de sang et donc à en déverser sur ses adversaires (voire sur les commentateurs sportifs). Un surnom prometteur de spectacle, répété à tort et à travers, que Chuck Wepner n'apprécia jamais vraiment. On comprend très bien pourquoi.
En 1964, après les Marines et après avoir été un temps videur et vigile, Chuck Wepner devient boxeur poids lourds professionnel alors qu'il est déjà âgé de 25 ans. Tranquillement, sans trop de publicité, il poursuit sa route et devient le Champion du New Jersey. Si on ne connait alors pas son nom en dehors de son périmètre d'action, Wepner affronte tout de même des grands champions, comme George Foreman (1969) et Sonny Liston (1970), un combat qui le laisse d'ailleurs avec 72 points de suture.
Après avoir perdu ces deux combats par K.O., Wepner pense sortir du circuit. Mais, il finit par continuer, ignorant encore que la vie a un drôle de détour à lui faire prendre...
Le combat d'une vie : Mohamed Ali
En poursuivant la boxe, Wepner prend la bonne décision. De 1971 à 1975, il vit sa plus belle période et remporte ainsi la majorité de ses combats, dont un match contre le champion Ernie Terrell. En marge de la boxe, il continue malgré tout de travailler comme représentant pour un magasin de spiritueux afin d'assurer les besoins de sa famille.
Après avoir vaincu Terry Hinke, il est contacté par le promoteur de boxe Don King qui cherche à lui faire rencontrer de nouveau le Champion du Monde, George Foreman, une fois que celui-ci aura battu Mohamed Ali. Mais, lors de ce légendaire combat à Kinshasa surnommé The Rumble in the Jungle, Ali est celui qui vainc Foreman et reprend son titre de champion du monde. Alors que Wepner pense que sa chance est passée, il est surpris d'apprendre que Don King veut toujours organiser ce combat. Cette fois, contre Ali.
Entre le boxeur à mi-temps et le Champion du Monde, le combat s'annonce donc joué d'avance et pas franchement excitant. Un plan parfait, à nouveau escamoté par Don King qui ne cherche qu'à polir le vernis de son champion, Ali, avant que ce dernier ne poursuive les choses sérieuses.
A 35 ans, Chuck Wepner est donc destiné à être envoyé dans les cordes au bout de quelques rounds. Mais, cette fois, l'outsider va prendre sa revanche. Il va d'ailleurs avoir droit à un véritable entraînement de plusieurs semaines, ce dont il n'avait jamais bénéficié auparavant. Cette préparation, sa résistance aux chocs ou sa ténacité ce jour-là changeront le cours d'un match annoncé comme une formalité.
Le match se déroule ainsi le 24 mars 1975 à Cleveland. Et contre toute attente, contre tout pronostic, Chuck Wepner tient la route face au champion mythique. Durant 15 rounds, l'athlète de Bayonne reste debout, encaisse les coups et parvient même à envoyer Ali au tapis une fois lors du 9ème round ! Ali conteste d'ailleurs le geste en clamant que Wepner lui a marché sur le pied. Malgré ses nobles efforts, Wepner finit par s'incliner devant la puissance d'Ali lors du dernier round.
Et parmi les spectateurs, un certain Stallone...
Si le combat est d'ores et déjà d'anthologie, personne n'ayant vu venir Wepner, si Wepner lui-même en ressort plus fort et doté d'une petite aura de célébrité, c'est bel et bien un autre élément extérieur qui va venir changer sa vie à nouveau. Car, ailleurs, dans une salle de cinéma, un jeune acteur qui peine à percer voit dans ce combat l'histoire parfaite à raconter sur grand écran.
Le dénommé Sylvester Stallone se met donc à écrire Rocky, s'inspirant de l'histoire de Chuck Wepner, c'est-à-dire celle d'un petit boxeur qui bluffe son monde face à un immense champion et qui, même en ayant perdu le match, gagne dans le coeur du public.
Mis à part cela, Stallone n'a donc pas cherché à raconter l'histoire de Chuck Wepner. Simplement d'en capturer l'essence. Une source de bonheur pour le boxeur :
"Sly m'a appelé peut-être deux semaines après le combat avec Ali et m'a dit qu'il allait faire un film. Lorsque le premier Rocky est sorti, j'étais heureux. Des années plus tard, j'ai rencontré Stallone et, de suite, il m'a spontanément remercié : Hey, Chuck, merci !'... J'imagine pour l'inspiration.", confiait-il sur son site internet (citation reprise en 2011 par le NewsroomJersey.com).
L'après Rocky
Rocky sort dans les salles américaines en décembre 1976, un an après le fameux combat. Le succès est immédiat. La course du film ne s'arrête pas là puisque ce dernier entre dans la course aux Oscars, accrochant 10 nominations et décrochant trois statuettes. Chuck Wepner est fier de ce succès et s'enivre de la célébrité qui en découle.
Mais, Rocky ne sera pas forcément qu'un merveilleux cadeau. Le boxeur ne touche aucun dividende de la part de la production et, incapable d'oublier cette célébrité fugace offerte par le combat et, dans la foulée, par le film, tente de s'y accrocher en acceptant des combats à spectacle.
On le voit ainsi affronter lors d'un match d'exhibition le lutteur français le Géant André (qui aurait soit disant inspiré Stallone pour Rocky III dans lequel son héros combat également un lutteur incarné par Hulk Hogan). Et Wepner finit même par combattre un ours !
Mais, ces excès, Wepner les vit également dans sa vie personnelle. Accro à la cocaïne et, amateur de femmes, il finit par détruire son mariage et, certainement des opportunités tendues. Ainsi, invité par Stallone à auditionner pour le rôle de Chink Weber dans Rocky II, le boxeur, qui a raccroché les gants à 39 ans en 1978, ne parvient pas à convaincre les directeurs de casting, admettant lui-même ne pas avoir les talents requis pour être acteur.
En 1985, la fête s'arrête brutalement pour Wepner lorsqu'il est arrêté avec plus de 100 kilos d'héroïne sur lui. Condamné à 10 ans de prison, il en fera trois et sera relâché pour bonne conduite.
Au final, son rapport avec Sylvester Stallone et à la saga Rocky a toujours été compliqué. Appréciant l'homme qui est d'ailleurs venu le voir en prison, l'ancien boxeur a tout de même voulu réclamer son dû en 2003, en engageant une action en justice contre lui. Un accord autour d'un montant jamais révélé avait alors été trouvé.
Mais, à l'aube de 2010, Chuck Wepner a de nouveau vu la lumière s'allumer sur son passage. En 2011, le documentaire "The Real Rocky" retraçait ainsi son parcours sous l'oeil des producteurs Jeff Feuerzeig et Mike Tollin. "A mon sens, Sylvester Stallone a détourné l'âme de Chuck Wepner. Ce film est ma tentative pour l'aider à la retrouver", confiait alors le réalisateur Jeff Feuerzeig à ESPN.
Et cette réhabilitation n'était pas finie puisque les deux producteurs ont poursuivi l'aventure en offrant enfin à Chuck Wepner SON propre film de cinéma : Outsider, le vrai film sur sa vie.
A 78 ans, Chuck Wepner vit toujours dans le New Jersey avec sa seconde femme, Linda, campée par Naomi Watts dans Outsiders, avec qui il a tenu pendant des années un magasin d'alcool. Linda, qui l'a beaucoup aidé dans la seconde partie de sa vie, celle où Chuck a dû affronter les démons du succès et, surtout, ses propres démons.
"Outsider" est à découvrir en ce moment dans les salles :