Jusqu'en 2010, Andrew Scott était un quasi-inconnu, malgré des participations à Frères d'armes ou Il faut sauver le soldat Ryan. Depuis, son nom est très fréquemment (pour ne pas dire "toujours") associé au Moriarty de la série Sherlock, qui lui a notamment valu un BAFTA du Meilleur Acteur dans un Second Rôle en 2012.
Et tandis qu'il paraissait avoir quitté le show, l'acteur irlandais y fera son grand retour le 1er janvier 2017, après avoir participé à l'épisode spécial "L'Abominable mariée" qui faisait office d'échauffement pour celui dont la résurrection sera l'un des grands mystères que Sherlock devra résoudre. Lorsque nous le rencontrons, en avril 2016 lors de la Paris Comics Expo, Andrew Scott n'était pas en mesure de nous donner le moindre indice (pas plus qu'il ne l'a été depuis). Mais il était beaucoup plus disert au moment d'évoquer son personnage et l'impact de la série sur sa carrière.
AlloCiné : Quel souvenir gardez-vous de votre audition pour le rôle de Moriarty ? Saviez-vous qu'il s'agissait de ce personnage ?
Andrew Scott : Oui. Ils avaient écrit une scène destinée aux auditions. A l'origine, Moriarty ne devait être qu'une vision à la toute fin du troisième épisode de la saison 1, mais il leur fallait quand même tester des acteurs pour voir s'ils étaient capables de jouer (rires) Il fallait juste regarder fixement vers la caméra, mais ils ont créé une scène qui s'est finalement avérée être celle de la piscine [le moment de la rencontre entre Sherlock et Moriarty, ndlr], presqu'au mot près.
J'ai donc auditionné sur cette scène brillamment écrite, et dont Steven Moffat me semble être l'auteur. Je l'ai beaucoup aimée au même titre que l'essai que j'ai passé. Ils m'ont d'ailleurs dit que je les avait effrayés ce jour-là, ce qui est toujours une bonne chose si vous cherchez à jouer un méchant. Et c'est pour cette raison que la scène a été ajoutée à la première saison, car il y avait une alchimie qui faisait fonctionner les choses. Et elle est devenue célèbre, ce qui est gratifiant.
Qu'avez-vous particulièrement aimé dans ce scénario ?
Les dialogues. Steven Moffat est absolument brillant dans cet exercice. Ses écrits sont plein d'esprit et les répliques s'échangent du tac-au-tac. Plusieurs personnes s'inquiétaient à l'idée que la série se déroule de nos jours, mais aujourd'hui ils s'inquiètent lorsqu'elle revient à l'époque victorienne, ce qui nous montre bien comment fonctionne le monde (rires) Je pense qu'il n'a fallu que cinq minutes au public pour être à l'aise avec cette modernisation, ce que je trouve très stimulant. Et l'alchimie entre les deux personnages aide aussi. J'ai aimé le souffle d'air frais qu'apportait la série.
Il faut être audacieux avec ce que les gens connaissent et chérissent
Le montage et la mise en scène sont également deux des grandes forces de la série : comment étaient-elle retranscrites dans le scénario ?
Cela vient surtout de Paul McGuigan, réalisateur de la première saison, qui est quelqu'un de brillant sur le plan visuel. C'est à lui que l'on doit ces effets visuels que je trouve très audacieux et novateurs. Ça a d'ailleurs été repris dans plusieurs séries, car c'était une nouvelle façon de réaliser pour la télévision à l'époque [en 2010, ndlr]. Donc si vous y ajoutez une écriture géniale, de super performances d'acteurs, de très bonnes histoires et une "marque" avec laquelle les gens sont déjà familiers, le résultat ne peut être qu'excitant.
Aviez-vous peur de jouer un personnage aussi iconique, ou est-ce justement ce qui vous a motivé ?
Maintenant que j'y repense, j'aurais peut-être dû avoir plus peur. Il nous a fallu deux jours pour tourner cette fameuse scène de la piscine, mais je n'ai pas réfléchi à cet aspect. J'ai bien sûr pensé au rôle, au personnage, et au fait que je voulais bien faire les choses. Mais il a fallu attendre la diffusion du deuxième épisode pour que la série fasse la Une des journaux et que les gens deviennent dingues. Et c'est quand le troisième a été diffusé que je l'ai vu pour la première fois, en même temps que dix millions de personnes.
Je n'avais pas assisté à une projection, donc j'espérais que je n'allais pas tout rater et casser l'engouement des téléspectateurs pour la série. J'étais peut-être un peu naïf vis-à-vis de ce rôle au début, et j'aurais peut-être dû regarder l'épisode avant qu'il ne soit diffusé, car c'était bizarre et incroyable à la fois. Mais je pense qu'il faut être audacieux avec ces choses que les gens connaissent et chérissent, car c'est le but d'un travail d'acteur lorsque nous sommes dans la réinterprétation. Il faut être original et imposer sa propre interprétation, sinon nous ne faisons que répéter ce que les autres ont fait.
La célèbre scène de la rencontre entre Sherlock et Moriarty :
Lorsque vous avez décroché le rôle, avez vous ne serait-ce qu'imaginé qu'il s'agirait du tournant de votre carrière ?
Non, pas du tout. Pas du tout. Nous ne pensons pas à cela car personne ne peut prédire ce qui va se produire. Je crois quand même avoir pensé que Moriarty serait populaire, surtout avec un scénario aussi bien écrit, mais je n'avais aucune idée de la façon dont la série serait reçue en-dehors de la Grande Bretagne. Mais nous sommes tombés au moment où elle commençait à vraiment passionner les gens, qui se sont mis à plus en parler que certains films. Ça a vraiment aidé, mais nous n'aurions jamais imaginé, il y a six ans, que les gens aimeraient autant cette série, ni qu'elle m'ouvrirait autant de portes.
Le succès rencontré par la saison 1 a-t-il mis plus de pression sur vous épaules au moment de faire la 2, qui était plus la saison de Moriarty que celle de Sherlock ?
Il y a un certain degré de pression car vous réalisez que les gens regardent la série. Mais il y en aurait davantage s'ils ne la regardaient pas (rires) C'est un plaisir de se rendre compte que l'on travaille pour quelque chose que les téléspectateurs apprécient, et ça vous donne confiance, même si vous cherchez toujours à bien faire les choses. Mais la saison 2 était brillante et "La Chute du Reichenbach" [le troisième de la saison en question, ndlr] était un moment de télévision absolument extraordinaire.
J'ai toujours su que Moriarty allait revenir
Etait-il prévu dès ce moment que Moriarty allait revenir ?
Oui, ils le savaient déjà à ce moment-là.
Et vous l'ont-ils dit ?
Oui, je l'ai toujours su, donc ça a été moins frustrant pour moi que pour vous. Et c'était même un plaisir que de vous voir frustrés par cette fin (rires)
De façon générale, "Sherlock" est-elle aussi frustrante pour ses acteurs que pour ses téléspectateurs ? Lorsqu'une saison s'achève, toujours sur un cliffhanger, savez-vous déjà ce qui va se produire ensuite ou devez-vous attendre ?
Non, nous sommes au courant (il éclate de rire) Donc pour répondre à votre question : ça n'est pas frustrant pour nous. Ceci étant dit, je n'aime pas en savoir trop non plus, donc ils me disent ce qui nous attend ensuite, mais je n'écoute pas vraiment jusqu'à ce que l'on me donne le scénario. Là je fais attention (rires)
Que pouvez-vous me dire sur la saison 4 ?
Qu'elle se tourne en ce moment [l'entretien a été réalisé à la mi-avril 2016, ndlr]. Ils ont commencé à tourner mais pas moi, et je les rejoins bientôt. Mais je n'ai absolument aucune information à vous donner sur ce qu'il s'y passera.
Lisez-vous les théories autour de la série sur internet ? Surtout celles qui concernent Moriarty et le fait qu'il ne soit pas mort ?
Non, je ne les lis pas car ça me rendrait dingue. Mais certaines sont quand même inventives, car les gens trouvent de bonnes idées.
C'est d'ailleurs ce que l'on voit au début de la saison 3, avec les différentes théories sur la non-mort de Sherlock.
Oui, c'était une référence à ce qui avait pu être dit.
Il se murmure que la saison 4 pourrait être la dernière. Est-ce vrai ?
C'est ce qu'il se dit oui, mais je ne pense pas qu'une décision ait été prise.
J'ai déjà quelques dingos en stock
Avez-vous peur, à cause de la série, d'être catalogué ? Avez-vous refusé des rôles qui faisaient trop Moriarty ?
Oui, c'est quelque chose que je redoute. J'ai déjà quelques dingos en stock, et d'autres à venir, mais je ne compte pas le faire tout le temps. Chaque acteur chercher à jouer des choses différentes, et je vais par exmple jouer dans "Hamlet" sur les planches l'année prochaine, et j'ai quelques beaux films qui arrivent. J'ai eu quelques belles opportunités en vingt ans de carrière, mais je veux travailler comme un artiste et peindre avec toutes les couleurs à ma disposition.
C'est donc pour cette raison que, après "Sherlock", on vous a vu dans "Jimmy's Hall" puis "Pride", qui étaient très éloignés de la série ?
Oui, ce sont de très beaux films et j'en ai quelques-uns, dont je suis très content, qui vont bientôt sortir car j'ai beaucoup tourné dernièrement. Mon bonheur, en tant qu'acteur, n'est pas lié à l'argent ou à la célébrité, mais à la qualité de ce que je peux faire.
Quel souvenir gardez-vous de votre expérience dans l'univers de James Bond grâce à "007 Spectre" ?
C'était fantastique. J'avais déjà travaillé avec Sam Mendes au théâtre, dans une pièce que nous avons jouée à Broadway [dans L'Heure verticale avec Julianne Moore en 2006, ndlr], donc j'étais très content qu'il me rappelle. C'était une expérience très plaisante et j'y ai joué un personnage assez suffisant (rires) Il était très amusant à jouer, et c'était une autre marque énorme, chargée d'histoire.
Est-ce frustrant de participer à un James Bond tout en sachant qu'on ne reviendra pas dans le suivant ?
Non, justement. J'aime pouvoir passer d'une chose à l'autre et j'étais content, en lisant le scénario, de savoir que je ne ferais qu'un épisode.
Ne ratez pas la seule image d'Andrew Scott dans la bande-annonce de "007 Spectre" :
Avez-vous déjà été approché par Marvel, autre grosse "marque", comme Benedict Cumberbatch et Martin Freeman ?
Il y a déjà eu des discussions oui, mais rien ne s'est produit. Mais, comme je le disais, je vais là où les bons scénarios sont. C'est vraiment ce que je cherche en premier, et pas nécessairement les gros noms.
Avant "Sherlock", vous avez joué sous la direction de Steven Spielberg, dans la scène de la plage du "Soldat Ryan". Quel souvenir gardez-vous du tournage ?
Tom Hanks qui passe par-dessus moi en hurlant. Il y avait beaucoup de cris. Le tournage a duré deux semaines et il faisait très beau, donc il leur avait fallu diffuser de la fumée grise pour assombrir le ciel. Ça a rendu l'atmosphère très lugubre. Même si on me voit à peine [il joue "un soldat sur la plage", ndlr], c'était une expérience extraordinaire car j'ai pu participer à une telle séquence alors que je n'avais que 19 ans. Et aujourd'hui encore, la séquence reste extraordinaire, car elle décrit brillamment ce que j'imagine que c'était pour ces héros.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 17 avril 2016