Le film est une exploration de l'image du père à travers trois exemples : un père disparu, un autre immature et un dernier de "substitution". Cela avait déjà été abordé dans des films précédents mais avec "Après la tempête" il s'agit de votre thématique principale...
Hirokazu Koreeda : On peut tout à fait dire que c'est un film qui parle du père. C'est même le point de départ. Il contient à ce titre une scène que j'ai vécue. Ce souvenir est à l'origine d'Après la tempête. C'est celle où on voit le personnage principal renverser des cendres sur une feuille de journal. Ces cendres, que l'on retrouve sur les autels familiaux, contiennent parfois des bâtonnets d'encens entamés. Cela m'est arrivé de me réveiller en pleine nuit pour planter un bâtonnet sur l'autel de mon père sans pouvoir y arriver. J'avais alors retourné le bol servant de contenant pour ramasser les morceaux d'encens au milieu des cendres. Il se trouve que l'on fait à peu près le même geste lors des crémations, pendant lesquelles on récupère les restes des défunts avec des baguettes afin de les mettre dans une urne. Ces deux scènes se sont superposées et j'ai eu l'impression de revivre le décès de mon père. Là se trouve l'origine du film. C'est l'image de ce père disparu qui est fortement évoqué ici.
Ce père, au cœur du film, fait preuve d'une immaturité chronique. On a l'impression au début que l'enjeu dramatique va être la découverte d'une forme de maturité. Or j'ai l'impression qu'il s'agit peut-être davantage de l'acceptation finale de cette immaturité.
A vrai dire, je n'aime pas les histoires où les personnages acquièrent une certaine maturité. C'est trop simple. Je voulais montrer ici que mon personnage principal prenait conscience de quelque chose, qu'il s'éveillait. Tout ce qu'il arrive à faire, lors de la nuit de typhon, c'est de prendre conscience, de se redresser un petit peu, comme son père avant lui. La scène avec la pierre à encre le montre : il relève la tête. C'est suffisant. Mais je ne sais pas ce qu'il se passe pour ce personnage après ce film. S'il y a effectivement une progression, une amélioration le concernant, elle a probablement lieu après la fin du film. Mais cela ne m'intéresse pas particulièrement. Ce que je voulais filmer, c'était ce petit pas vers cette acceptation, en effet.
La dernière image que je garde en tête, c'est celle de ce petit garçon qui a compris que son père s'est éveillé. Et mon esprit s'est mis à imaginer une suite centrée sur lui. Vous pensez parfois à réaliser des suites à vos films ?
Je n'en ai pas l'envie. Je ne filme que des tranches de vie. Avant puis après le film, mes personnages ont une vie. En toute humilité, une fois le film achevé, je n'ai qu'une envie : les relâcher, leur redonner leur liberté et leur permettre de quitter le film.
Pour prolonger le thème de la paternité, votre film explore la transmission, notamment à travers la grand-mère tentant encore et toujours de rappeler à son fils et sa fille l'importance de certaines choses. Mais cette transmission est quasiment impossible, les enfants écoutant mal, voire pas du tout...
La vision de la paternité exposée dans le film m'est très personnelle. J'ai toujours eu l'impression que l'amour du père venait trop tard. C'est mon vécu en tant que fils mais cela correspond aussi à ce que j'ai pu voir autour de moi. J'ai commencé à vraiment aimer mon père une fois qu'il est mort. Et de la même manière, j'ai vraiment ressenti son amour après sa disparition. A l'inverse, l'amour d'une mère est au présent continu. Elle aime perpétuellement, ce qui peut rendre son amour parfois étouffant et fatigant. C'est pour cela que, dans ce film, le fils peut se sentir un peu asphyxié par sa mère. Mais il ne peut jamais douter de l'amour qu'elle lui porte. Pour un père, je trouve qu'il y a un décalage dans la temporalité. Cet amour à retardement est ma conception, et c'est pour cela qu'elle figure dans le film.
Au-delà de la filiation, est-ce qu'un film peut être un instrument de transmission ?
On peut transmettre quelque chose à travers un film. Ce n'est pas forcément un message car ce médium ne le permet pas nécessairement. A chaque fois que je réalise un film, j'espère en tout cas insuffler de l'espoir et redonner confiance en l'être humain. L'humanité est belle.
Propos recueillis par Thomas Destouches à Cannes le 18 mai 2016
Découvrez notre compte-rendu du festival depuis la Croisette dans "Face Cannes"...