Et de trois pour Diane Kruger et Fabienne Berthaud ! Après Frankie et Pieds nus sur les limaces, la comédienne retrouve la réalisatrice avec Sky. Ou l'histoire d'une femme qui fuit, se perd et se re-découvre à travers les Etats-Unis, et dont elles nous ont toutes deux parlé.
AlloCiné : Quel a été l'élement déclencheur de "Sky" ? Le côté road-movie ou l'idée de cette fuite en avant ?
Diane Kruger : On a eu l'idée ensemble au Festival de Cannes, où nous avions présenté Pieds nus sur les limaces [en 2011, ndlr]. On rêvait à ce que l'on pouvait faire après, et nous avions toutes les deux envie d'une vraie histoire d'amour et de tourner aux Etats-Unis. Ça n'était que des rêves et le film a mis 4 ans à se faire, mais l'idée est née là et j'ai suivi ce projet pendant tout ce temps. Mais il y a d'abord eu cette idée de road-movie aux Etats-Unis.
Fabienne Berthaud : Je suis partie, avant d’écrire. On est partis faire deux voyages aux Etats-Unis : on a traversé l’Arizona, la Californie, et on a été dans l’Amérique profonde. On a pas visité les grandes villes, et nous sommes partis à la rencontre des gens qu’on croisait dans les pubs ou la rue, qui vivaient dans des caravanes. Et c’est après être rentrés qu’on a écrit.
Ecrire pour un acteur, ou avoir un réalisateur qui le fait pour soi, est-ce un avantage ou un piège ?
Fabienne Berthaud : C’est un avantage pour moi en tout cas. Faire ces trois films avec Diane a permis d’installer une confiance et une générosité. J’ai un désir de tourner avec elle et elle avec moi, donc c’est comme une histoire d’amour : on a envie de faire grandir une personne, de la rendre belle, d’en faire la meilleure… C’est que des bonnes intentions et ça permet d’y aller et d’oser faire des choses, notamment sur des scènes où elle pouvait avoir une appréhension.
Je pense que ça aide beaucoup de le faire ensemble quand il est question de nudité par exemple. Moi je peux me mettre sous ses draps car je cadre, et elle n’a pas peur du résultat car elle sait que je vais essayer de rendre les choses aussi belles que possible, avec mon esthétique, que d’autres peuvent ne pas aimer.
Diane Kruger : Je ne sais pas si c'est un piège ou un avantage, car ça arrive très rarement, mais je l'ai ressenti comme un cadeau. Je fais tellement confiance à Fabienne que je sais qu'elle ne me trahira jamais. Et même quand on tourne avec elle, il faut accepter qu'il y ait une partie de vous-même dans le film, car elle tourne un peu de la même manière que Terrence Malick : elle cadre toute seule, ça tourne tout le temps. Vous pensez parfois qu'elle vous filme, mais elle est focalisée sur une autre chose qu'elle a vue. C'est ce qui fait son cinéma très particulier, et on dirait presqu'un documentaire parfois. Ça n'en est pas un, mais beaucoup de choses qui ne sont pas écrites se passent.
Accepter qu'il y ait une partie de vous-même dans le film (Diane Kruger)
Cela veut-il dire que les scénarios sont très écrits mais qu'elle vous laisse la possibilité de bifurquer ? Ou prennent-ils la forme d'une trame sur laquelle broder ensuite ?
Diane Kruger : Fabienne n'est pas une super scénariste. Elle est écrivain car ses scénarios sont souvent trop écrits à mon goût, car il y a des longs dialogues et des monologues parfois. Mais en sachant que la moitié de tout cela sera dite dans le film. C'est, encore une fois, un peu comme Malick : elle fait des scénarios de 200 pages dont on ne retrouve aucun mot dans le résultat final, et il s'agit plus d'un guide, même si elle tient parfois à certaines phrases ou certains mots. Mais je ne m'inquiète jamais vis-à-vis de ce qu'elle écrit.
Y a-t-il un coté frustrant face au résultat ?
Fabienne Berthaud : Il faut du temps pour le montage. Mais il faut aussi monter au fur et à mesure car il y a beaucoup de matière. Mais je n’ai pas de frustration au final, car couper ne me dérange pas du tout. Même si une scène n’est pas dans le film, je sais qu’elle existe et que je l’ai en mémoire. Et au bout d’un moment c’est le film qui parle : s’il y a des choses très belles qu’on n’enlève pas, ça peut être dangereux.
Diane Kruger : Non, pas vraiment. Pas dans celui-là en tout cas. Sur Pieds nus..., j'étais un peu choquée par mon personnage et ce que le montage en a fait, car je le voyais très différremment. Et je me demandais si Fabienne me voyait comme ça, si cette petite bourgeoise c'était vraiment moi. Maintenant on est en fusion donc je lui donne mon avis, sur ce qu'il manque ou qu'il faut enlever.
Lara Solanki / Le Bureau / Haut et Court
Cette fusion, est-ce ainsi que vous qualifieriez l'évolution de votre collaboration ?
Diane Kruger : De plus en plus en tout cas. Et j'ai même l'impression de la pousser et la rendre plus sûre de ses choix tandis qu'elle me pousse pour être encore plus ouverte. Je lui fais entièrement confiance et il y a des choses que je fais ici mais que je n'aurais pas pu faire dans Frankie. Je suis mise très à nu dans Sky, et j'ai le sentiment qu'il n'y a qu'avec elle que j'aurais pu le faire.
Fabienne Berthaud : Elle grandit et se renforce à chaque fois que l’on fait un film. Et à chaque fois, on a un désir d’aller plus loin. La fusion est donc là et je trouve que nous avons trop de chance de connaître ça. C’est une chance de rencontrer quelqu’un qui est comme une sœur de travail, surtout que je l’ai connue quand elle avait 16 ans et n’avait encore jamais tourné.
Nous avons déjà de la chance de faire du cinéma et je ne peux pas comprendre que l’on fasse la gueule sur un plateau. C’est une chance que d’être aux Etats-Unis pour tourner des scènes, même si l’on se lève à 3h du matin ou que l’on ne dort pas à cause des horaires durs de Las Vegas. Ça n’est qu’une aventure. Une aventure humaine.
Voyez-vous en Romy comme un prolongement de Frankie, dans cette idée de se chercher et ce voyage extérieur et intérieur ?
Fabienne Berthaud : C’est vrai et c’est bien de le dire. Ça pourrait effectivement être elle, une fois qu’elle est sortie, que ça va mieux et qu’elle a pris une autre vie, mais se rend compte qu’elle s’est encore trompée tout en restant prête à basculer. Comme une répétition de l’histoire. On dit qu’un cinéaste fait toujours le même film (rires)
Diane Kruger : Je ne vois pas de lien entre les personnages, mais les films de Fabienne mettent en scène des femmes qui se cherchent, sont sur un départ et changent de vie. Avec le temps qui passe, je pense qu'on évolue et qu'on gagne en maturité, et Romy est ainsi beaucoup plus mature, évidemment, que Frankie. Outre ces parallèles, il y a toujours ces questions que se posent les femmes : sur la vie, l'amour... Plein de choses.
On a souvent peur avant de tourner (Fabienne Berthaud)
On pourrait même voir vos 3 films en commun comme une trilogie sur le plan thématique.
Diane Kruger : C'est un peu ça, oui.
Fabienne Berthaud : Oui, je pense qu’il y a une évolution car une maturité s’installe. Dans Frankie c’était une très jeune femme, Pieds nus sur les limaces c’était deux sœurs avec un milieu, et là c’est l’histoire d’une femme qui décide de partir. Et puis Diane mûrit, et moi aussi, donc les années passent et on raconte des histoires qui nous correspondent.
Quel a été le plus gros défi sur ce projet ?
Fabienne Berthaud : Parler d’amour avec Diane et qu’elle ait cette relation amoureuse à l’écran, je pense que c’était le plus gros défi sur ce film. Il y avait aussi des scènes qui étaient compliquées : celle avec son mari [joué par Gilles Lellouche, ndlr] par exemple, car il y a une certaine violence. On a souvent peur avant de tourner, mais au final ça va. On y va, on se jette.
Quelle image gardez-vous du tournage ?
Diane Kruger : Sky a été tourné en 6 semaines, avec 6 jours de tournage par semaine, ce qui était hyper costaud, car il y a beaucoup de déplacement. C'était assez chaud à faire mais j'en garde un souvenir éblouissant car c'est un moment à part dans ma carrière. C'était l'aboutissement de 4 années de travail. On a trouvé des acteurs et c'était mieux que ce que l'on pouvait espérer, notamment Norman Reedus ou Lena Dunham, qui sont des stars et ont accepté de tourner dans des conditions inhabituelles.
Lara Solanki / Le Bureau / Haut et Court
Et dans des rôles étonnants, surtout Norman Reedus que l'on n'imagine pas véhiculer autant de douceur.
Diane Kruger : C'était une vraie découverte pour moi car je ne le connaissais pas avant. Et Fabienne non plus car nous n'avions jamais regardé The Walking Dead. J'étais très inquiète car nous n'avions pas eu l'occasion de déjeuner ou dîner ensemble avant le début du tournage, et on s'est rencontrés le premier jour, pour tourner la scène d'amour à Las Vegas. C'était un peu rock'n'roll (rires) Mais j'ai découvert quelqu'un de vraiment délicieux.
Fabienne Berthaud : Je n’avais jamais vu The Walking Dead, et c’est aux Etats-Unis, alors qu’on cherchait l’interprète de Diego, que je l’ai vu en couverture d’un magazine dans un supermarché. Et c’était un physique comme le sien que je cherchais, c’est lui qui devait faire Diego. Quand j’ai demandé qui c’était à la caissière, elle était morte de rire en me disant que c’était le héros de The Walking Dead.
J’ai alors cherché à le rencontrer, tout en regardant un épisode de la série. Puis on a fait un Skype ensemble, puisqu’il était à New York et moi à Los Angeles, et nous avons parlé pendant une heure. Et c’est comme ça que j’ai voulu le prendre, pas parce qu’il joue un héros dans une série. Ça ça me dépassait.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 29 mars 2016