AlloCIné : Il s'est écoulé 6 ans depuis votre précédent film, "Le Moine". Pourquoi autant de temps entre chacun de vos films ?
Dominik Moll : Je suis sans doute un peu lent ! (Rires) Il est vrai que ça a l'air d'être mon rythme. Entre Harry et Lemming, c'était pareil, tout comme entre Lemming et Le Moine. Mais je travaille sur l'accélération de ce tempo, même si je ne me vois pas réaliser un film par an. Il me faut en fait trouver une histoire en laquelle je crois suffisamment pour vivre 2 ou 3 ans avec. Pendant ce temps il y a eu aussi des scénarios développés que j'ai fini par mettre au placard, non pas pour des difficultés de production mais parce que je n'y croyais pas vraiment. En fin de compte, une fois qu'on s'est mis vraiment à l'écriture Des nouvelles de la planète Mars avec Gilles Marchand, cela a été assez rapide. Cela nous a pris 6 mois, ce qui est relativement rapide pour nous. Ce film n'est pas un projet que je traîne, il y a eu une vraie dynamique.
On retrouve dans ce film de nombreux éléments de votre cinématographie. Le corps étranger d'"Harry", l'inquiétante étrangeté de "Lemming"... On a l'impression d'un film composite.
Je me rends bien compte qu'il y a des thèmes et des sujets qui reviennent et que je retravaille. Ce film tend un peu plus vers la comédie mais effectivement l'élément perturbateur qui vient secouer une vie trop tranquille existait déjà dans Harry, tout comme dans Lemming. Il y a une constante, ce glissement d'une situation très quotidienne vers quelque chose de plus étrange, cette inquiétante étrangeté. Ce sont des choses qui me plaisent dans le cinéma, même si j'aime aussi des films très réalistes et naturalistes. Mais personnellement j'aime aller vers des territoires qui se dirigent vers quelque chose de plus mental. Je me souviens que je sentais Jean-François Hensgens, le chef opérateur, un peu déçu après la lecture du scénario. Il avait l'impression qu'il n'y avait pas la place pour cette étrangeté dans le cadre de la comédie. Je lui ai rétorqué que c'était tout aussi important que dans mes autres films.
Le choix de François Damiens est crucial compte tenu de la nature du film. Il incarne naturellement ce loser qui ne provoque jamais la pitié mais toujours l'attendrissement.
Ce qui sauve le personnage de Damiens, c'est qu'il a une ligne de conduite, une philosophie. Le discours qu'il tient à l'homme au chien au début montre que ce n'est pas seulement un homme qui attend que la vie défile devant lui. Mais je suis d'accord et je sentais François en lutte avec cela. Il avait l'impression que son personnage ne réagissait pas. C'était donc très important que le spectateur soit en empathie avec lui malgré cette apparente apathie. François a ce côté très attachant, il porte beaucoup d'humanité en lui. Même à travers son personnage de François l'embrouille pour ses caméras cachées, il dégageait cette dimension sympathique. Leur succès tenait aussi à cela. L'avoir vu dans La Famille Wolberg d'Axelle Ropert a été crucial pour moi. C'est son meilleur film. Il dégage ce truc hyper singulier, entre drôlerie et émotion, qui n'appartient vraiment qu'à lui. S'il est aussi bien dans Wolberg que dans Mars, c'est aussi parce qu'Axelle et moi ne l'avons pas lâché. Il peut avoir tendance à se rassurer avec son sens de l'improvisation et certains réalisateurs ont peut-être peur de le lui enlever, mais en le cadrant vraiment et en l'obligeant à se tenir à son texte, il peut être vraiment super. Comme il est autodidacte, il a toujours un questionnement sur sa légitimité et la maîtrise de son outil, alors qu'il est tout à fait capable de le contrôler. Même s'il m'a dit qu'il n'avait jamais autant bossé de sa vie que pour Des nouvelles de la planète Mars, il était très content de cette expérience. (Rires)
Le film joue sur plusieurs tonalités: la comédie pure, l'inquiétante étrangeté, le surréalisme... Et parfois ces tonalités très éloignées se succèdent rapidement.
Quand on a développé cette histoire avec Gilles, il y avait une envie d'aller vers la comédie mais pas juste pour faire rigoler. On avait aussi envie que le film soit dans son époque et aborde des thèmes qui ne sont pas forcément drôles. Quel modèle peuvent-être les parents ? Que transmet-on à ses enfants ? Comment transmettre de l'idéal dans ce monde terrifiant ? Nous voulions aborder ces sujets-là par la comédie et faire exister des personnages qui ne soient pas d'une seule dimension.
Avec "Des nouvelles de la planète Mars", il y avait une envie d'aller vers la comédie mais pas juste pour faire rigoler.
Vous avez mentionné "Le Moine". C'est un film vraiment à part dans votre filmographie.
Il y a tout de même des points communs, mais le fait que ce soit un film d'époque le place à part. Même économiquement, le fait qu'il soit plus cher le met à part ! Tout comme le fait qu'il ait beaucoup moins bien marché ! (Rires) Je l'aime beaucoup mais j'ai un rapport un peu bizarre avec lui. Quand un film qui a coûté cher ne marche pas, cela signifie aussi que quelque chose n'a pas opéré. On l'aime donc de manière un peu particulière.
On réévalue ses films à l'aune du succès ou de l'échec ?
Cela joue forcément. On peut avoir un sentiment de réussite qui va être amplifié si le film marche. Si le film ne marche pas du tout, forcément on se questionne... En ce qui concerne Des nouvelles de la planète Mars, je suis très content du résultat mais si personne n'allait le voir et que tout le monde disait "Qu'est-ce que c'est que ce truc ?", je me poserais sûrement des questions. Le succès ou l'échec d'un film joue forcément sur sa perception.
Vous aviez travaillé auparavant sur la première saison de "Tunnel" pour Canal+. Que retient-on de la réalisation pour le petit écran une fois revenu au grand ?
De passer par la série à ce moment-là m'a fait du bien. Sur Le Moine je sentais une grosse pression, sans doute dûe en partie au budget. Cela m'a sans doute un peu paralysé. Je sentais qu'il fallait que je me libère. Passer par une série dont je n'avais pas écrit le scénario m'a permis de réaborder la réalisation de manière plus détendue et de retrouver un plaisir sans se mettre une pression complètement dingue sur les épaules. De plus, c'est la première fois que je tournais en numérique, Le Moine était encore sur pellicule 35. J'y allais un peu méfiant. Mais la façon dont a travaillé le chef opérateur, Jean-François Hensgens, m'a tellement rassuré qu'il est revenu avec moi pour Mars.
Mettre en scène la série "Tunnel" m'a permis de réaborder la réalisation de manière plus détendue et de retrouver un plaisir...
Vous faites partie de ces réalisateurs qui défendent le 35 coûte-que-coûte ?
Quand le film d'Arnaud Desplechin, Jimmy P, est sorti, je me suis dit que le 35... c'était quand même vraiment beau ! Alors non je ne regrette pas la pellicule. Le problème c'est que maintenant il n'y a quasiment plus de laboratoire qui la traitent de façon industrielle et régulière. On peut encore tourner en 35 mais c'est plus compliqué. Toutefois, ce serait chouette d'avoir toujours la possibilité de le faire.
Propos recueillis par Thomas Destouches à Paris le jeudi 25 février 2016
"Des nouvelles de la planète Mars" sort en salles ce mercredi 9 mars :