Scénariste The Rocker ou Monstres contre Aliens, Maya Forbes passe à la réalisation avec Daddy Cool, histoire d'une famille dysfonctionnelle basée sur sa propre jeunesse. Une jolie comédie dramatique portée par Mark Ruffalo et Zoe Saldana, qu'elle était venue défendre au dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville.
AlloCiné : Qu'est-ce qui vous a décidée à passer à la réalisation, après avoir officié en tant que scénariste ?
Maya Forbes : Je pense que j'ai toujours voulu être réalisatrice. Mais j'étais effrayée par la totalité de l'expérience, par l'idée d'être la personne responsable du succès ou de l'échec du film. Et j'ai 3 enfants donc je m'inquiétais par rapport à la masse de travail que cela représenterait et l'impact que cela aurait sur ma famille. Et puis j'ai écrit ce scénario. Je voulais faire quelque chose de personnel renvoyant aux films qui ont beaucoup compté pour moi et m'ont attirée vers l'industrie du cinéma, qui tourne aujourd'hui plus autour du business que des films que vous aimez.
J'ai donc écrit ce scénario pour revenir à un sujet auquel je pourrais m'intéresser. Et après l'avoir terminé, je ne pouvais pas le confier à qui que ce soit. Pour moi c'était le bon, celui que je devais réaliser moi-même. Il est chaleureux et plein d'amour, et j'avais peur qu'il perde tout cela en étant mis en scène par quelqu'un d'autre, ce qui m'aurait dévastée. Donc même si j'échoue, ça sera toujours mieux que si une autre personne avait échoué, car j'aurais au moins essayé.
Et j'ai 3 enfants [dont Imogene, interprète d'Amelia dans le film, ndlr] que j'encourage régulièrement à prendre des risques, suivre leurs rêves et travailler dur, et moi je ne le faisais pas (rires) Donc pour être un bon modèle, il me fallait réaliser le long métrage. Surtout si je dis régulièrement à mes filles que les femmes peuvent être les patronnes. Ça a été long, car les films indépendants sont compliqués à monter, mais je me disais que mes enfants m'auraient au moins vue essayer si jamais le projet n'aboutissait pas. Ce qui était bien aussi (rires)
Une porte d'entrée sur la façon de gérer une production
Il est fréquent de voir un réalisateur développer un sujet qui lui est personnel dans son premier film, et c'est votre cas ici. Est-ce parce que vous vous sentiez plus en confiance avec quelque chose que vous connaissiez aussi bien ?
Quand vous écrivez un film qui vous est personnel, vous connaissez tellement bien le sujet et le monde que cela vous met en confiance. Pour ma part, je suis écrivaine et j'ai confiance en ce que j'écris. Et là, j'arrivais également à visualiser ce que j'écrivais, donc j'ai pensé que si je pouvais articuler et expliquer aux gens de voir ce que j'avais en tête, il serait possible de tout retranscrire correctement.
Mais je pense que les jeunes réalisateurs débutent avec des sujets personnels car c'est une porte d'entrée sur la façon de gérer une production et obtenir le rendu désiré, car tout y est beaucoup plus clair dans leur tête. Pour l'avoir moi-même fait sur celui-ci, je sais déjà que je visualiserai mon prochain film de la même façon car le fait de savoir exactement ce que l'on veut m'a permis d'être flexible et de pouvoir déterminer ce qui était important et ce qu'il l'était moins, lorsqu'il a fallu faire les concessions inhérentes à des petits budgets.
Tout ce que l'on voit dans film est-il vrai, à commencer par la bipolarité de votre père ?
Pas tout, non. C'est un film donc il faut faire en sorte que l'histoire soit divertissante et le temps comprimé, même si tout se déroule sur plusieurs années. C'était d'ailleurs un défi que de parvenir à une histoire qui ne nécessitait pas de changer les interprètes des enfants : la première version du scénario se déroulait sur une plus longue période et il m'aurait fallu trouver de nouvelles actrices à la fin. Ça peut passer dans un roman, mais dans un film, s'attacher à 2 personnes pour en découvrir des nouvelles à la fin, ça n'est pas une bonne idée.
Vous avez réussi à engager Mark Ruffalo, qui est très demandé. Avez-vous écrit le scénario en pensant à lui ?
Non, je n'avais aucun acteur en tête pendant l'écriture. J'ai vraiment essayé de ne penser à personne en-dehors des vrais gens dont je m'inspirais. Une fois le scénario terminé, je ne pouvais bien évidemment que rêver d'avoir Mark Ruffalo, qui apporte beaucoup de réalité à ses personnages. Et je voulais justement que la maladie du sien ne soit que l'une de ses composantes, et pas la totalité de ce qui le représente. Il fallait que le vrai homme soit toujours là et je voulais faire un film sur la maladie mentale telle que je la reconnais et pas de façon bancale comme certains films le font.
Je voulais également que son humour ne provienne pas de sa "folie" par des interactions du quotidien, et j'ai très tôt envoyé le scénario à Mark Ruffalo. Il l'a lu et a immédiatement voulu le faire. Comme Zoe Saldana ou mon chef opérateur Bobby Bukowski, il était intéressé à l'idée de travailler sur un premier film, ce qui a été ma chance. Il y a beaucoup de choses que je ne connaissais pas, mais j'ai pu apprendre avec ces personnes autour de moi.
Bien que situé dans les années 70, le film est très moderne dans son propos. Est-ce une façon, pour vous, de parler aussi de la société actuelle ?
Ce qui m'intéressait, c'était de dire que l'on ne peut pas se définir grâce aux conventions. Il faut faire ce qui fonctionne, et ce qui fonctionne, c'est parfois que la mère travaille et gagne de l'argent pendant que le père reste à la maison. Chacun doit pouvoir faire ce dont il est capable, et il m'a fallu du temps avant de comprendre que, s'il avait des emplois de temps en temps, mon père ne pouvait exercer un travail impliquant de la pression.
Et ma mère le comprenait. S'il n'était pas très bon pour faire le ménage (rires), il faisait bien la cuisine. C'était un très bon cuisinier et il adorait ça. Tout comme il aimait emmener ses enfants à l'aventure, et il était bon pour ça. Donc je pense aussi que Daddy Cool est moderne sur ce plan.
La courtoisie de voisinage selon Mark Ruffalo
Vous parliez plus tôt de la difficulté de réaliser ce premier film. Pensez-vous que c'est devenu plus compliqué aujourd'hui, alors que le cinéma indépendant a de plus en plus de mal à exister ?
Il est clairement devenu plus difficile de faire des films. C'est vrai pour le premier et encore plus pour le second, surtout si l'on est une femme. Je sais que beaucoup de femmes sont réalisatrices en France, alors qu'elles ne représentent que 8% aux Etats-Unis. J'ai terminé le scénario de Daddy Cool en 2009, en pleine crise, donc il n'y avait pas d'argent pour le produire. Aujourd'hui, les budgets de ce type de films sont devenus vraiment très petits.
Si j'avais pu le faire il y a 10 ans, le budget aurait représenté le double ou le triple de ce que nous avons eu. Mais là ils l'ont pressé au maximum pour le réduire autant que possible, et c'était très dur. Ce que j'ai appris, c'est qu'il faut convaincre les gens un par un : Mark Ruffalo d'abord, puis Zoe Saldana, puis le chef opérateur…, et ainsi de suite. Il vous faut constituer une équipe de professionnels avant de vous tourner vers les financiers.
Dont J.J. Abrams...
Oui, une bonne personne de convaincue (rires) J.J. s'est très vite impliqué sur le projet. Je le connais personnellement car nos enfants sont amis. Il m'a un jour demandé ce sur quoi je travaillais, et lorsque je lui ai répondu qu'il s'agissait d'un film au sujet personnel, il a voulu lire le scénario. Et après l'avoir lu, il a dit qu'il aimerait m'aider à concrétiser le projet. Il a ainsi écrit des lettres aux producteurs pour les convaincre que je devais réaliser ce film, et ça les a mis en confiance.
Maya Forbes nous a également confié qu'elle travaillait sur une histoire "un peu plus lumineuse que celle-ci" avec son mari et qu'elle souhaiterait la mettre en scène. Et lorsqu'on lui demande si elle a déjà un acteur en tête, la réponse ne se fait pas attendre : "Mark Ruffalo ! (rires)"
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 13 septembre 2014