Nous sommes au milieu de l’été 2008, et le torride soleil californien frappe de tous ses rayons les grandes terrasses des Walt Disney Studios, à Burbank. Heureusement, c’est bien à l’abri de la chaleur, dans l’obscurité des sous-sols, que s’affairent aujourd’hui les employés de maintenance.
En plus d’une fraicheur bienvenue, les caves du vieux bâtiment dédié à l’animation recèlent bien des secrets. Tout récemment encore, on y découvrait une marionnette de Pinocchio qui avait servi de modèle aux artistes pour donner vie au petit pantin de bois en 1940. Aujourd’hui, ce sont de grandes boites en carton, entreposées derrière une porte verrouillée, qui sont au centre des préoccupations.
La plupart d’entre elles contient des morceaux de pellicules qui feront certainement le bonheur des archivistes du studio. Mais au milieu de la pièce se trouve une autre boite. Une boite un peu spéciale, sobrement pourvue d’une simple étiquette, sur laquelle a été inscrite à la main une date : 1952.
La boite "1952"
1952... L'énigmatique date correspond à la création de WED Enterprises (aujourd'hui Walt Disney Imagineering), une société chargée de concevoir les attractions des futurs parcs Disney.
A l’intérieur de la boite, une multitude de documents divers et variés : plans, concept arts, schémas, maquettes et couvertures de comic books… Tous ces objets semblent partager un point commun, la Foire internationale de New York, exposition universelle de 1964, ainsi qu’un mystérieux projet.
Il n’en faut pas plus au scénariste Damon Lindelof et au réalisateur Brad Bird pour imaginer le scénario de leur nouveau long métrage : A la poursuite de demain (anciennement appellé... "1952"). S’inspirant de ce fameux "projet secret" et de la vision de l’Oncle Walt, ils composent donc une véritable ode à l’espoir et à l’optimisme, ainsi qu’un hommage à Disney bourré de clins d’œil, pour le plus grand plaisir des fans.
Le film s’ouvre justement sur l’exposition universelle de 1964, au cours de laquelle un jeune garçon venu y présenter sa dernière invention se retrouve propulsé (au moyen de l’attraction "It’s a small world", s’il vous plait !) dans une ville futuriste, cachée dans une dimension parallèle. Seuls les plus grands inventeurs, scientifiques, artistes ou génies, ceux qui sont destinés (et décidés) à changer le monde, ont accès à ce lieu secret et utopique.
Un lieu que Walt Disney, il y a quelque 60 ans, a bel et bien essayé de créer !
Mais que Walt Disney était-il vraiment allé faire à l’exposition universelle de 1964 ?
"Changer le monde", l’Oncle Walt s’y est lui-même employé dans de nombreux domaines, particulièrement célèbre pour avoir bouleversé celui de l’animation (et du cinéma en général). Ainsi qu’aime à la rappeler le réalisateur Brad Bird (féru d’animation lui aussi puisqu’il a notamment signé Les Indestructibles et Ratatouille), "Walt Disney innovait constamment et n’avait pas peur d’être un pionnier. Il a été parmi les tout premiers à introduire le son et la couleur dans l’animation."
Pour son révolutionnaire Fantasia, en 1941, il avait même un temps envisagé une séquence en 3D, ainsi que la diffusion de certains parfums pendant la projection du film, dans le but d'offrir aux spectateurs une dimension olfactive.
Mais au cours des années 50, alors que ses studios se portent à merveille, Disney décide de déléguer la production de ses longs métrages à ses meilleurs animateurs, car pour l’heure, il a d’autres projets, à commencer par la création d’un lieu unique au monde : Disneyland.
Entre les jungles d’Adventureland et les canyons de Frontierland s’y trouve déjà un endroit dédié au futur, à la découverte scientifique, aux avancées technologiques. Une zone baptisée Tomorrowland.
"Les attractions de Tomorrowland ont été conçues pour vous donner l'occasion de participer à des aventures qui sont une représentation vivante de notre futur," déclarait Disney.
Mais pour lui, cela est loin de suffire. Passionné depuis toujours par tout ce qui touche au futur, et plus récemment par l’urbanisme, Walt fait un rêve qui dépasse largement l’industrie du divertissement. Un rêve qui concerne l’avenir de l’humanité, qui entend bouleverser son imagination, célébrer sa créativité. Le rêve d’une ville parfaite et futuriste, d’une communauté modèle.
C’est avec ce rêve qu’il se rend à l’exposition universelle de 1964, à laquelle il présente trois attractions qui incarnent cette idée qu’il se fait du futur et du progrès. "It’s a Small World" est encore aujourd’hui un classique indémodable, dont la célèbre chanson ne nous a jamais quittés. "Great Moments with Mr. Lincoln" et "Carousel of Progress" mettent en scène des personnages animatroniques jamais vus auparavant. Comme son nom l’indique, le "carrousel du progrès" retrace le quotidien d’une famille moyenne et son évolution à travers le XXème siècle.
Les attractions rencontrent un grand succès, et Walt Disney est désormais en mesure de lancer son projet ultime : EPCOT ("Experimental Prototype Community Of Tomorrow" ou "Prototype Expérimental d’une Communauté Futuriste").
EPCOT, c’est quoi ?
En 1966, Walt Disney réalise un petit film de 25 minutes dans lequel il présente au monde son rêve et sa vision.
"Ce sera une communauté de demain qui ne sera jamais terminée, mais qui toujours présentera, évaluera et démontrera de nouveaux matériels et systèmes. Et EPCOT sera toujours une vitrine pour le monde de l'ingéniosité et l'imagination de la liberté d'entreprise américaine," déclare-t-il.
La vision de Walt Disney
Dans son esprit, EPCOT est donc une ville futuriste, construite en Floride, sur un gigantesque terrain dont la Walt Disney Company vient de faire l’acquisition. La cité doit être bâtie juste à côté d’un nouveau complexe de parcs d’attractions appelé DisneyWorld, bien plus vaste que celui de Californie.
D’une capacité de 20 000 personnes, EPCOT sera d’abord destinée aux employés de Disney. Les grandes industries américaines doivent pouvoir l’utiliser comme immense marché-test, et faire découvrir aux habitants leurs nouveaux produits en exclusivité.
La ville sera ouverte aux visiteurs, qui pourront venir admirer ce lieu idéal comme s’il s’agissait d’un parc d’attraction. L’idée est de présenter EPCOT comme une ville d’élite, une cité modèle et idéalisée qui pourra irradier et influencer le monde.
En digne amoureux des trains miniatures qu’il a toujours été, Walt Disney souhaite également mettre en place un monorail semblable à celui qui fait déjà le tour de Disneyland en Californie. Pas de voitures à EPCOT, sauf en sous-terrain, et donc pas de risques pour les piétons !
Tout est fait pour que cette ville du futur soit la résidence rêvée de tout un chacun, exactement comme les enfants rêvent d’aller à Disneyland.
Oui, mais…
Mais pour s’assurer que le tableau soit parfaitement idyllique, Walt Disney entend contrôler l’organisation sociale de sa ville, et imposer à ses habitants plusieurs règles non négociables. "Ce sera une communauté planifiée et contrôlée," explique-t-il :
- "Dans EPCOT il n'y aura aucun ghetto parce que nous ne les laisserons pas se développer."
- "Il n'y aura aucun propriétaire terrien et donc aucun contrôle de vote. Les gens loueront des maisons au lieu de les acheter, et à de modestes loyers." La Walt Disney Company entend par là conserver le contrôle total de son territoire.
Walt Disney présente EPCOT...
- "Il n'y aura aucun retraité ; chacun doit être employé." Pas de chômeur non plus, donc. Impossible de rester à EPCOT si vous vous retrouvez sans emploi, de façon à assurer le renouvellement de la population.
Pendant un temps, Walt Disney envisage même d’imposer à ses habitants des normes vestimentaires et comportementales, pour que l’image renvoyée par ses employés ne souffre aucune fausse note. Il abandonne cependant rapidement cette idée.
Le projet de Walt Disney aujourd’hui
L’Oncle Walt décède tragiquement des suites d’un cancer en 1966, et emporte avec lui son projet de ville parfaite, qui ne verra finalement jamais le jour.
Si EPCOT existe bel et bien aujourd’hui en Floride, c’est sous la forme d’un parc d’attraction, inspiré pour son architecture par l’exposition universelle, et conservant tout de même les thématiques chères à son concepteur : inventions futuristes, avancées technologiques…
Non loin du Walt Disney World Resort a pourtant été fondée la petite ville de Celebration en 1994. Même si le modèle futuriste pensé par Walt Disney y a laissé place à un aspect plus traditionnel (voire familial), la ville, dont les règles de communautés sont régies par la Walt Disney Company, est ce qui se rapproche le plus du projet EPCOT avorté.
Même si Disney se désengage peu à peu de la gestion de Celebration, les rapports entre voisins y sont réglementés, la pelouse des habitations doit être tondue régulièrement et les nains de jardins y sont proscrits. Impossible également de choisir la couleur si l’on veut repeindre la façade de sa maison, et interdiction de garer sa voiture devant chez soi plus de quelques heures. Les habitants de Celebration ont cependant un accès privilégié et illimité aux parcs d’attractions Disney, situés à deux pas.
La vie à Celebration ? On adore ou on déteste, c’est selon. Mais toujours est-il qu’on est loin du rêve utopique qu’avait fait Walt Disney, ainsi que du Tomorrowland idyllique et empreint d’espoir représenté dans le film de Brad Bird.
Partez à la poursuite de demain...
Sources : Slashfilm.com / France Culture (Une vie, une œuvre)