Paolo Sorrentino inscrira-t-il son nom au palmarès de ce 68ème Festival de Cannes, pour sa sixième compétition d'affilée, lui qui n'a remporté qu'un Prix du Jury grâce à Il Divo en 2008 ? En attendant le réponse lors de la cérémonie de clôture ce dimanche, le cinéaste a répondu aux questions des journalistes à l'occasion de la conférence de presse de Youth, en compagnie de ses acteurs, dont Michael Caine, Jane Fonda et Harvey Keitel. Morceaux choisis.
Le temps qui passe
Paolo Sorrentino : J'ai dédié mon film à Francesco Rosi pour deux raisons : Rosi a été un cinéaste de référence pour nous en Italie, mais aussi pour d'autres cinéastes, comme Martin Scorsese qui le prend souvent comme référence. Et puis un soir, il y a quelques années, je suis allé lui rendre visite, et il a commencé à me parler d'une jeune fille qui avait été sa fiancée dans sa jeunesse. Il était avec un vieil ami et je me suis inspiré de cette connivence.
Le temps qui passe est le seul thème qui intéresse les gens. La notion de temps qu'il nous reste me fascine. Avoir comme personnage un réalisateur âgé me permettra plus tard, quand je serai vieux, de faire un film sur la jeunesse et de prolonger ma carrière de cette façon. Le futur nous donne de la liberté, et la liberté nous confère un sentiment de jeunesse. Regarder vers l'avenir est la condition sine qua non pour être jeune. Youth est un film optimiste fait pour exorciser certaines des peurs que nous avons tous.
Jane Fonda : Ce film a comme titre Youth et je suis d'accord avec le fait que l'âge est une question d'attitude. Si vous êtes passionné dans votre vie, comme c'est le cas avec le personnage de Michael, ou celui de ce vieux et gros footballeur sud-américain [inspiré de Diego Maradona, ndlr] qui reste jeune grâce à une balle [un personnage inspiré de Diego Maradona], celui de Rachel ou le mien, qui sait ce qu'il veut, vous restez jeune dans votre esprit. C'est mon cas comme celui du film.
Un corps âgé, c'est ce qui vous attend
Paolo Sorrentino : Le titre signifie que le rapport que l’on entretient avec l’avenir est celui que l’on entretient avec sa jeunesse, même lorsque l'on devient vieux. Il fallait donc un titre qui synthétise cette idée.
Michael Caine : L'affiche montre deux hommes assis au bord d'une piscine qui regardent une jeune femme dévêtue. Elle représente la jeunesse et ils regardent ce qu'ils ont perdu et ne retrouveront jamais. C'est très triste. L'affiche me fait pleurer (rires)
La seule alternative au fait de jouer des hommes vieux, pour moi, c'est de jouer des personnes mortes. Du coup je préfère jouer des vieux, ce qui est une meilleure idée car j'ai 3 petits-enfants et que je compte vivre pour eux.
Ça ne me dérange pas que l'on me filme nu, c'est le seul corps que j'ai. Je ne postule pas à Mister Univers, donc c'était une réalité. Et je veux prévenir ceux qui ne sont pas encore vieux : un corps âgé, c'est ce qui vous attend. Donc ne faites pas les malins.
Mais je me souviens avoir lu un scénario et l'avoir renvoyé au producteur en lui disant que le rôle était trop petit. Il m'a répondu que ça n'était pas pour jouer l'amant mais le père, et c'est là que ma carrière a commencé à changer. Je n'allais plus pouvoir séduire la fille, mais j'ai eu le rôle.
Festival de Caine
Michael Caine : Je suis venu à Cannes il y a 50 ans avec le film Alfie. Il a reçu un prix [Prix Spécial du Jury en 1996, ndlr] et pas moi. Donc, je ne suis jamais revenu. Mais cette fois-ci, j'aime tellement ce film que j'ai décidé de revenir, peu importe si j'ai un prix ou pas. Paolo est pour moi l'un des plus grands réalisateurs du monde, et tous les acteurs y sont brillants. Si l'un de nous devait être récompensé, il faudrait que le prix soit remis à tout le monde.
La symphonie du casting
Harvey Keitel : J'ai l'impression que nous avons toujours été ensemble. Quand vous entrez dans un cinéma, vous avez des raisons personnelles de le faire. Et tout le monde ici avait des raisons personnelles. Et je pense nous nous ressemblons dans la façon d'utiliser le temps de la façon dont il est censé l'être. J'ai le sentiment que nous sommes de camarades depuis le début.
La façon dont un réalisateur créé un ton relève du mystère
Rachel Weisz : On peut avoir de beaux rêves de cinéma et une bonne écriture, mais pour moi, un film repose sur la gestion du ton par le metteur en scène. L'unité de ton que vous décrivez et à laquelle nous participons tous, comme un orchestre jouant un même morceau, vient donc de la mise en scène. Et la façon dont un réalisateur créé un ton relève du mystère. C'est de l'achimie, et ça vient de son point de vue. Si vous donnez une caméra, les mêmes acteurs et le même texte à un autre réalisateur, vous n'aurez pas le même film.
Au Service de sa Majesté
Dans Youth, le personnage incarné par Michael Caine, compositeur et chef d'orchestre à la retraite, est annobli par la Reine. Une situation inspirée d'un fait vécu par l'acteur ?
Michael Caine : J'ai rencontré la Reine une fois pour être annobli. Elle ne m'a pas dit grand-chose, elle m'a dit : "J'ai le sentiment que ce que vous faites, vous le faites depuis très longtemps." J'ai failli répondre, "Vous aussi", mais je me suis dit "Ferme-la Michael, elle va te désannoblir ou te faire décapiter !" Un autre soir, elle s'ennuyait à une soirée, elle m'a dit : "Monsieur Caine, connaissez-vous des blagues ?" J'ai répondu : "Aucune que je puisse vous raconter", alors elle m'en a raconté une, et le plus ennuyant c'est que je ne m'en souviens plus. Mais elle a un grand sens de l'humour.
Michael Caine et Harvey Keitel s'illustrent aussi dans la bande-annonce...
... et au photocall cannois