"Mais qu'est-ce que ça fait en Compétition ?" : pas un Festival de Cannes ne se passe sans qu'au moins l'un des candidats à la Palme d'Or n'y ait droit. Beaucoup plus rare, l'inverse peut également se produire. Nombreux ceux sont qui avaient regretté qu'un film comme All Is Lost ne soit "que" hors-compétition, et le cas s'est de nouveau produit ce lundi 18 mai, à l'issue de la projection de Vice Versa.
Après avoir soulevé un enthousiasme digne de celui d'un stade de foot un soir de titre, le nouveau bébé de Pixar a enflammé les réseaux sociaux, où plusieurs journalistes ont souligné que le 15ème long métrage du studio aurait mérité d'être en Compétition.
Des tweets auxquels il est bien difficile de donner tort. Car oui : Vice Versa aurait clairement pu, et même dû, être dans la Compétition de ce 68ème Festival de Cannes. Et voici pourquoi.
Parce que les émotions
Depuis Toy Story en 1995, elles constituent l'une des marques de fabrique de Pixar, et se retrouvent aujourd'hui au coeur de leur nouveau bijou, puisque les personnages principaux ne sont autre que la Joie, la Tristesse, la Colère, la Peur et le Dégoût qui habitent, à tour de rôle, l'esprit de la petite Riley. Et la nôtre par la même occasion, tant le film a des allures de montagnes russes émotionnelles et nous font régulièrement passer du rire aux larmes.
==> Une occasion de plus de faire parler ses émotions
Dans un Festival où des longs métrages tels que Les Invasions barbares, La Chambre du fils, Amour ou Mommy se sont vus décerner la "Palme de l'émotion" en plus de leurs prix respectifs, Vice Versa n'aurait absolument pas fait tâche.
Parce que le deuil
"Tout le monde chiale devant Là-haut", nous avait dit Charlotte Le Bon en interview, en référence à la célèbre séquence d'ouverture, qui retrace toute la vie de Carl et Ellie, en s'achevant par la mort de cette dernière et un concert de renifflements lors de sa projection au Festival de Cannes 2009. Six ans après, Pete Docter rejoue la carte du deuil dans sa nouvelle réalisation : celui que doivent faire les héros de l'enfance de Riley, alors que celle-ci entre dans sa phase ado et change d'école.
Ce qui n'est pas de tout repos pour ses émotions :
S'il n'est donc pas vraiment question de mort, Vice Versa s'inscrit néanmoins dans la lignée de certains films de la Compétition, tels Plus fort que les bombes, La Forêt des songes ou Notre petite soeur, où le deuil est l'un des thèmes centraux.
Parce que Pixar, "c'est du grand cinéma"
Cette phrase, c'est à Gilles Lellouche qu'on la doit, et il y a beaucoup de raisons d'être d'accord avec le doubleur français de Colère, tant le studio a acquis un statut d'auteur au fil des années : outre les nombreuses références à ses propres films, Pixar s'est fait une spécialité des questions que l'on s'est tous posées une fois dans notre vie (et si les jouets étaient vivants ? Les monstres existent-ils vraiment ? Les sociétés des insectes et des poissons sont-elles organisées comme la nôtre ? Comment fonctionnent nos émotions ?).
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Mais plus qu'avec la forme, souvent imparable, c'est grâce au fond que le studio se démarque de ses concurrents et peut même rivaliser avec des longs métrages en prises de vues réelles dans son rapport à l'enfance et à la famille. Mieux : là où beaucoup des films de la Compétition 2015 dressent un état des lieux du monde d'aujourd'hui, Vice Versa poursuit sa "conquête de l'intelligence humaine" (Gilles Lellouche, toujours) avec un sujet universel qui touche aussi bien les enfants que les parents qui les voient grandir.
Tout sauf un hasard quand on sait que Pete Docter a eu l'idée du film en observant de près la façon dont sa fille changeait au fil des années. Comme l'Interstellar de Christopher Nolan évoquait la paternité en filigrane de son argument SF, Vice Versa va au-delà du simple divertissement auquel l'animation est trop souvent réduite pour se muer en étude décalée sur l'être humain, et se présente comme l'un des films les plus justes et les plus beaux sur l'adolescence.
Parce que Shrek y avait eu droit
Et par deux fois, en 2001 et 2004. Sans remettre en question les indéniables qualités de ces films signés Dreamworks, il semble alors étonnant, pour ne pas dire aberrant, que Pixar n'ait jamais connu les honneurs de la Compétition, aussi bien avec Là-haut que Vice Versa, qui avaient tous deux, à juste titre, reçus d'excellentes critiques sur la Croisette.
==> "Vice Versa" est même décrit comme l'un de ses meilleurs
Bien que sa présence soit rare, le cinéma d'animation n'est donc pas persona non grata des candidats à la Palme d'Or, mais semble clairement déconsidéré par rapport aux drames généralement récompensés, si bien qu'un maître comme Hayao Miyazaki, pourtant sacré à Berlin pour Le Voyage de Chihiro, n'a jamais concourru sur la Croisette.
Si l'on espère un jour voir Pixar participer à la Compétition, son absence jusqu'ici n'incombe pour l'instant pas qu'aux organisateurs. A l'image de Woody Allen, le studio a peut-être tout simplement refusé d'y être, et choisi de se contenter du hors-compétition. Ce qui est déjà pas mal, et ce ne sont pas les spectateurs ayant découvert le film sur la Croisette qui diront le contraire.
Ils ont ainsi vécu une belle montée des marches :
Auparavant, l'équipe du film s'était réunie au photocall :