200 ! C'est le nombre de films que Charlie Lyne a visionnés et qu'il évoque dans Beyond Clueless. Leur point commun : ce sont tous des teen movies, réalisés à partir de 1995. L'occasion de discuter du genre, avec le jeune blogueur et réalisateur anglais de 23 ans, et de lui faire parler de 5 de ces longs métrages qui l'ont marqué.
AlloCiné : D'où vous vient cette passion pour les teen movies ?
Charlie Lyne : Comme beaucoup de gens, ça m'est venu quand j'étais ado et que j'ai vu ces films à la période de la vie la mieux appropriée. Mais je n'ai jamais vraiment réussi à m'en éloigner : j'ai toujours été fasciné à l'idée de les revoir année après année, pour lentement les voir se transformer en quelque chose de complètement différent. Dans le meilleur des cas, ils possédaient encore l'impact émotionnel qui m'avait attiré la première fois, couplé avec toutes sortes de strates que je n'avais pas vues auparavant.
Et c'est en faisant ce film que j'ai été le plus accro à ce processus (rires) Il y avait ce vidéo club au coin de la rue dans laquelle j'habitais à l'époque et il m'est arrivé de louer des films tous les soirs pour me réémerger à nouveau dedans.
A quel moment l'idée de faire un documentaire sur ces films vous est-elle venue ?
Essentiellement quand je me suis rendu compte que j'avais déjà fait les recherches nécessaires (rires) Mais c'était sans intention d'en faire un film, jusqu'à ce que je me rende compte que je possédais une connaissance inutile des teen movies, dans la mesure où je viens de la critique de film. Instinctivement, j'ai d'abord pensé écrire un article ou créer un blog dessus, mais j'ai eu le sentiment que ce serait faire ce que les gens qui ont critiqué les teen movies avaient fait : adopter un point de vue froid et détaché.
Mais ça donne l'impression qu'on les juge comme inintéressants, ou que l'on sous-entend que ce sont des sous-films. Et ce que j'aime avec les teen movies, c'est ce que l'on peut en retirer si l'on se plonge pleinement dans le genre. Donc la meilleure façon de capturer ça, pour moi, c'était de faire quelque chose qui puisse passer pour un teen movie tout en les décortiquant de l'intérieur.
Faire quelque chose qui puisse passer pour un teen movie
Vous parliez du fait que votre passion venait du fait que vous ayez découvert ces films pendant votre adolescence. Est-ce pour cette raison que vous vous concentrez sur cette période uniquement ?
En partie, oui. De façon un peu égoïste, mais aussi parce que c'est vraiment la période à laquelle je me sens le plus connecté. Mais ce qu'elle a de vraiment intéressant, c'est que c'est à partir de là que les teen movies ont explosé. L'époque la plus connue est certes celle des années 80, avec John Hughes. On parle même de "l'époque de John Hughes", et ça en dit beaucoup sur l'influence que lui et ses collaborateurs ont eue sur le teen movie à ce moment-là.
Par contraste, ce qu'il y a de bien avec les teen movies des années 90 et 2000, c'est leur éclectisme. Beaucoup de scénaristes et de réalisateurs, pour leur galop d'essai, ont raconté une histoire centrée sur l'adolescence. Et vu comme les ados sont différents les uns des autres, ça semblait adéquat. On remarque d'ailleurs qu'ils partagent des thèmes et une iconographie, mais chacun se plonge dans ce monde de façon différente et manipule les formules à sa sauce, ce qui a donné naissance à un nombre incroyable de variations que je n'ai personnellement pas retrouvé dans aucune autre période.
Le "Breakfast Club" de John Hughes est quand même cité dans "Beyond Clueless" :
On peut en effet trouver des teen movies qui rentrent dans différents genres : comédie, horreur, drame… Qu'est-ce qui définit un teen movie selon vous, au-delà des étapes que vous montrez dans votre film ?
C'est très dur à définir, et beaucoup de gens se sont demandés pourquoi j'avais mis tel ou tel film dans Beyond Clueless, car certains ne les considéraient pas comme des teen movies. Mais c'est parce que chacun a sa propre définition, et j'ai toujours essayé d'en rester le plus éloigné possible. A partir du moment où l'on dit que les personnages ou les acteurs qui les incarnent doivent avoir un âge bien précis, on exclut beaucoup de films qui procurent les mêmes sensations qu'un teen movie.
Au final, la vraie question c'est "A-t-on la sensation que c'est un teen movie ?", et la réponse tient au fait que les spectateurs de ces films sont majoritairement des ados eux-mêmes, mais il faut aussi que l'environnement et l'atmosphère de ceux-ci donnent l'impression de pouvoir exister dans leur monde. Ça n'est pas un hasard si certains espaces reviennent sans cesse : les fêtes dans les maisons, les piscines ou les couloirs de lycées. Même si le film les présente sous une forme différente, il y a quelque chose de puissant dans ces images.
A-t-on la sensation que c'est un teen movie ?
On peut donc dire que le teen movie est moins un genre qu'une ambiance ou une façon de raconter une histoire ?
Oui. J'emploie le terme "genre" car ça semble facile mais il rassemble en fait des films qui partagent des cadres ou des types de personnages. C'est plus une charpente que vous pouvez recouvrir avec presque tout, de l'horreur la plus gore à la comédie la plus frivole. Et malgré les différences affichées par ces deux films, il y a quand même une connection qui en fait des parties d'un plus grand tout.
Pourquoi avoir choisi ce titre ? Est-ce parce que vous considérez "Clueless" comme le point de départ de cette vague ?
En grande partie, oui. J'adore ce film et je trouve qu'il contient beaucoup de choses brillantes. Mais son plus grand mérite est, pour moi, d'avoir su rendre le teen movie à nouveau intéressant et ravivé la foi d'Hollywood dans ces films. Entre l'année qui précède la sortie de Clueless et celle qui a suivi, le nombre de teen movies dont la production a été lancée est juste incroyablement élevé. L'idée était donc de reconnaître ce phénomène mais aussi de faire allusion au sentiment de confusion qui règne pendant l'adolescence telle qu'elle est le plus souvent représentée sur grand écran.
"Clueless", ou le film a qui fait (re)décoller le teen movie :
Pourquoi ne pas montrer plus de "Clueless" que les quelques plans rapides que nous voyons dans votre film ?
Parce que les films qui m'intéressent le plus sont ceux qui, sans les qualifier de "bons" ou "mauvais", sont moins sûrs d'eux-mêmes. Clueless est indépendant et très sûr de lui, au point qu'il est quasiment impossible de tenter d'égaler car c'est un teen movie parfait. Mais ça le rendait moins intéressant à critiquer et analyser que ceux qui ont peut-être un élément brillant et sont déçevants sur d'autres aspects, et ont ainsi une vraie puissance.
C'est notamment le cas de films comme La Main qui tue ou Lolita malgré moi, auxquels j'accorde une grande place : ils sont connus mais possédent des éléments bizarres, et c'est ce que je trouvais plus intéressant d'explorer.
Pourriez-vous réaliser un vrai teen movie, ou serait-ce trop difficile maintenant que vous les avez autant étudiés ?
Il faudrait que je me débarrasse de cette tendance à comparer chaque élément à un teen movie déjà existant (rires) A chaque fois que je pense à une idée pour un film, je me dis très rapidement : "Oh non, tu ne peux pas le faire, ça serait trop proche de Sexe Intentions 3." En pratique, ça ne devrait pas poser de problème, mais il me faudrait du temps loin de teen movies avant d'y songer, car mon esprit est encore trop immergé dans cet univers.
Et maintenant, quels sont les 5 teen movies qui ont marqué Charlie Lyne, parmi tous ceux évoqués dans "Beyond Clueless" ? Réponse dans les pages suivantes.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 9 avril 2015