Pour son 3ème long-métrage, et après le puissant Présumé Coupable, le réalisateur Vincent Garenq s'attaque une nouvelle fois à un "fait réel". Et pas n'importe lequel : l'affaire Clearstream, révélée au grand jour et éventrée par le journaliste Denis Robert. Un combat journalistique et humain, une quête de la vérité qui a coûté à l'auteur de Révélation$ et La Boîte Noire bien plus que de longues heures passées sur les bancs du tribunal pour prouver sa bonne foi. Une bataille qu'il finit par gagner au début de l'année 2011.
Aujourd'hui avec L'Enquête, Garenq retrace cet intense combat avec la précision et le savoir-faire narratif qu'on lui connaît. Gilles Lellouche et Charles Berling y incarnent respectivement Denis Robert et le juge Van Ruymbeke, deux figures centrales de cette nébuleuse affaire, deux garants de la vérité face à un système plus puissant qu'eux, deux hommes imparfaits aussi...
LA DIFFICILE GESTATION
Quand j’ai su que cette affaire allait être adaptée en film, j’ai eu un peu peur. Peur du manque de distance historique et donc aussi critique. Mais aussi incrédulité devant un film devant résumer une affaire aussi nébuleuse…
Denis Robert : Au départ Vincent Garenq est parti sur mon histoire financière. A l’origine il ne pensait pas intégrer la seconde affaire et Imad Lahoud. La première version du scénario s’arrêtait à l’arrivée de ce dernier. Mais cela ne fonctionnait pas vraiment. C’est dur à filmer des ordinateurs et des parkings ! (Rires) Tout ce film a été un long travail de maturation et d’écriture. Quand il vient me voir, je ne crois pas non plus à cette possibilité de faire un film dense, intelligible, compactant les deux affaires. Et il me prouve le contraire aujourd’hui. Quand Vincent vient me voir, il a déjà lu tous mes livres et la bande-dessinée. C’est très agréable alors de discuter avec lui parce que je ne suis pas obligé de réexpliquer sans cesse. Mais on va quand même passer une année à se voir tous les deux. On va aller à Luxembourg, il va rencontrer les vrais témoins et de temps en temps je me rends compte, par exemple lorsqu’il rencontre le vrai Hempel, il est complètement impressionné par la force de ses propos de cet informaticien détruisant les traces écrites…
Denis Robert : "Quand Vincent Garenq vient me voir, je ne crois pas non plus à cette possibilité de faire un film dense et intelligible."
Durant tout ce travail il s’accapare cette matière tranquillement sans le stress du temps. Ensuite il se met à l’écriture. C’est sa phase la plus compliquée. Un an d’écriture et de multiples versions du script. Et à un moment il est perdu, peut-être parce qu’il est trop centré sur mon personnage, à l’image de ce qu’il avait fait dans Présumé Coupable avec Marécaux… Il échange alors avec le scénariste Stéphane Cabel. Il réalise alors que son scénario s’essouffle et décide d’introduire Lahoud et les frégates dans le scénario. La dernière version du scénario peut alors débuter et elle va ressembler à peu près au film. Avec les premières projections il s’aperçoit qu’il y a encore des incompréhensions et repart donc en montage. Tout ce processus a duré trois années.
Charles Berling : Je connaissais Vincent Garenq pour son travail antérieur, notamment avec l'affaire d'Outreau (ndlr : adaptée dans le film Présumé Coupable). Je savais qu'il était un réalisateur qui s'intéressait aux faits de société. D'autre part le scénario promettait un film qui n'allait pas se transformer en pensum mais qui éclairait, et qui m'a d'ailleurs moi-même éclairé. Après, l'enjeu c'était de faire du cinéma avec un sujet un peu "rébarbatif" et "technique" au départ. L'angle par lequel Vincent aborde le sujet, c'est un angle humain et dramatiquement fort. Il montre ces êtres pris dans cette toile d'araignée monstrueuse. Je me suis dit qu'on pouvait vraiment faire un film.
Vincent Garenq : "Tout le système est construit pour que les affaires continuent."
Qu'est-ce que vous "enlevez" quand vous vous attaquez à l'adaptation d'une affaire aussi touffue et nébuleuse ?
Vincent Garenq : On enlève le gras. Il y a pleins d'arborescences dans cette histoire, mais je disais à Denis Robert qu'il fallait raconter la "grande histoire". Et pour moi la grande histoire c'est celle d'un journaliste enquêtant sur la finance, un juge qui enquête sur la corruption... Voilà. Tout le reste est anecdotique. Après, évidemment, il y a le personnage de Lahoud auquel on ne peut pas échapper, et c'est par ce biais que tout le monde connaît cette histoire, mais la vraie affaire a été dénaturée par Lahoud. On ne peut pas y échapper. Mais comme Denis enquête et est au centre de cette investigation, il y a une unité. J'ai voulu raconter l'épure d'un mec qui enquête, l'épure d'un juge qui enquête, les difficultés qu'ils ont parce que tout est fait dans ce monde pour cacher. Toutes ces affaires étaient destinées à rester secrètes. Elles sont révélées parce que tout d'un coup il y a une faille dans le système. C'est un peu flippant de se dire cela, mais c'est malheureusement la réalité : l'essentiel des affaires, on ne les connaît pas. Tout le système est construit pour que les affaires continuent.
Il y a eu 9 versions du scénario, comme on me l'a soufflé...
Vincent Garenq : Non en réalité il y a eu 3 versions du scénario. Deux versions dans lesquelles je m'étais vraiment cantonné à Clearstream et la chambre de compensation. Puis j'ai eu un déclic grâce à un scénariste (ndlr: Stéphane Cabel), parce que je consultais des collègues pour le script. Et personne ne comprenait rien. Et donc ce scénariste me fait réaliser que je ne peux pas refaire comme dans Présumé Coupable, c'est-à-dire rester constamment sur ce personnage de Denis Robert. Il me fait comprendre que je dois en faire intervenir d'autres dans l'histoire. J'évitais les multiples arborescences. Une fois ce déclic amorcé, un mois et demi plus tard la 3ème version était prête. Une fois cette étape atteinte, les "versions" 4 à 9 sont des détails.
Vincent Garenq : "Mon boulot de scénariste était de donner une unité à une histoire discontinue et qui devient clairement du n'importe quoi avec l'implication d'Imad Lahoud."
Est-ce que le personnage le plus difficile à écrire finalement dans "L'Enquête" n'était pas Imad Lahoud, dont les motivations sont encore à ce jour floues ?
Vincent Garenq : Il a un statut particulier en effet. Personnellement, et vous ne pouvez pas le ressentir, Lahoud est pour moi le défaut du film. Dans la réalité il a fait perdre le sens de l'enquête. Une fois qu'il y est mêlé, cela devient une autre histoire. Mon boulot de scénariste était de donner une unité à une histoire discontinue et qui devient clairement du n'importe quoi avec l'implication de ce menteur. Mon cap était de conserver l'épure de Van Ruymbeke et de Denis Robert tout en racontant cela et en gardant une unité au film. C'est aussi pour cette raison que j'ai eu beaucoup de mal à le monter. Et c'est normal. Parce qu'il ne fallait pas perdre le spectateur au fil de ces 3 intrigues. Il n'y avait qu'une manière de faire. On déplaçait ne serait-ce qu'une pièce et les spectateurs étaient perdus. C'est la première fois que j'ai mené un montage aussi compliqué. J'avais des Post It de trois couleurs et j'ai passé mon temps à déplacer les scènes jusqu'à un moment où je suis arrivé à une solution... hyper simple.
Avez-vous rencontré Denis Robert en amont du film ?
Gilles Lellouche : Bien sûr ! On a notamment fait un déjeuner très long durant lequel il m'a raconté ce qu'il avait vécu. Ce qui m'intéressait, c'était le vécu très personnel justement. Cela m'a éclairé sur les motivations de cet homme. Quand on voit ce qu'il a traversé, quand on voit sa pugnacité... Denis a eu 63 procès, il a fait appel à chaque fois, il n'a rien lâché. Tout cela a duré presque 11 ans. Qu'est-ce qui peut bien pousser un homme à dire sa vérité à ce point ? Pour moi, c'était passionnant de le rencontrer. D'un autre côté, il ne faut pas être étouffé par le modèle et réussir à transcender tout cela et le transformer en personnage de cinéma.
UN FILM D'ETAT ?
"L'Enquête" est un thriller politique...
Vincent Garenq : C'est difficile à définir. Disons que c'est un film d'enquête. Il y a une dimension évidente de thriller. Quand on fait un film, on ne le met pas forcément dans un "genre". En le faisant, je pensais évedemment aux Hommes du Président. Mais là encore je ne sais pas comment le classer parce que là encore c'est un ovni, un film bizarre.On le vit pourtant aussi comme un thriller alors que ça ne canarde jamais.
Cette tradition du thriller politique était très vivace aux Etats-Unis comme en France dans les années 70. Mais cela s'est quelque peu asséché.
Vincent Garenq : C'est vrai que cette tradition s'est un peu perdue. Je pense à Costa Gavras, à I comme Icare. Mais je n'essaie pas de me classer ou de rappeler, j'essaie de raconter des histoires. Je cherche et je suis tombé sur celle-là.
Un film de cinéma est par nature un outil populaire, un médium démocratique. Il permet de démocratiser l'information. C'est d'autant plus intéressant dans un cas comme l'affaire Clearstream. On peut voir dans "L'Enquête" une mission de service public quasiment...
Vincent Garenq : Je ne fais pas des films engagés. Un film engagé me donne envie de fuir. Je n'ai pas envie de voir un film "citoyen". J'ai envie de faire des films, je cherche des histoires. Un film, pour moi, c'est grand public. J'essaie de faire des films destiné au grand public donc mais en même temps je n'ai pas envie de faire du divertissement pur. Tout d'abord parce que je pense que je n'en serais pas trop capable. J'ai besoin qu'un film raconte quelque chose sur notre époque. Là on est effectivement à la limite de l'engagement et de la citoyenneté, mais ce sont des termes relativement ennuyeux alors que j'essaie justement de faire des films divertissants avec un supplément d'âme en plus qui est en connection avec le monde dans lequel on vit, avec nos inquiétudes.
Gilles Lellouche : "Personnellement, c'est la première fois que j'ai le sentiment de participer à un film un peu utile."
Gilles Lellouche : L'Enquête a le mérite de synthétiser en 1h40 une affaire qui dure 11 ans. Elle rend cette affaire "ludique" au sens noble du terme. On voit toutes les tensions, les menaces, les ramifications. Il y a une scène que j'adore dans le film : celle du dîner entre Robert et Van Ruymbeke dans la petite cuisine toute modeste. Ils mangent des pâtes, boivent du vin rouge et se disent qu'il y a bien quelque chose qui cloche dans cette affaire. On voit ces deux petits citoyens de rien en train de s'attaquer à l'emprie de la finance. C'est David contre Goliath. Personnellement, c'est la première fois que j'ai le sentiment de participer à un film un peu utile. Et citoyen. Pas militant. J'avais peur la première fois que je l'ai vu. J'espérais que ce ne soit pas didactique ou chiant. Déjà le film a le mérite de vous faire comprendre l'affaire Clearstream, c'est déjà pas mal ! (Rires) Mais je me suis aperçu lors des débats organisés pour les avant-premières qu'on dépassait le cinéma. On était dans des salles étonnamment très remplies, je ne m'attendais pas à ce qu'on fasse autant de spectateurs et, surtout, il y avait des vrais débats citoyens, avec un échange libre.
Le cinéma est un art populaire donc qui se prête facilement à cette transmission…
Denis Robert : Par son essence le cinéma, qui est une projection sur un écran et devant un public d’une histoire devenant collective, décuple la force des histoires. Quand le film est bon, c’est un accélérateur de particules. Et on ne sait jamais où ça peut aller. Le film va sortir en DVD, passer à la télévision… Si j’avais eu envie d’oublier Clearstream, c’est raté ! (Rires)
Denis Robert : "Ce cinéma, parce qu’il s’agit bien de cinéma, va peut-être impacter le réel bien plus que l’ont fait mes livres et mes documentaires."
Un article, un livre, un documentaire peut révéler des choses et donc enclencher une affaire d’état. Pensez-vous qu’un film peut remplir aussi cette mission ?
Denis Robert : Vous posez une bonne question. Je ne le pensais pas avant. Avant la sortie du film. Quand j’ai vu le film, j’ai senti qu’il se passait quelque chose. Mais à mon niveau, je pensais être simplement ému parce qu’il s’agissait de mon histoire. A chaque avant-première, et il y en a eu beaucoup un peu partout, les salles sont pleines, il y a des applaudissements, de la ferveur et beaucoup de questions. Je ne suis pas un professionnel du cinéma mais, de l’avis de mes collègues, on voit bien qu’il se passe un truc autour de ce film. Cette fiction du réel provoque des effets incroyables. Ce cinéma, parce qu’il s’agit bien de cinéma, va peut-être impacter le réel bien plus que l’ont fait mes livres et mes documentaires.
Vous n’avez justement pas peur d’une deuxième salve d’attaques ?
Denis Robert : Non. Je suis protégé par des arrêts rendus sont incroyables. Nous sommes dans un état de droit. La Cour de cassation, qui est la plus haute juridiction, dit : "Enquête sérieuse, bonne foi servant l’intérêt général". Cet arrêt cloue le bec à tous mes détracteurs. Et c’est très troublant d’ailleurs cette inversion.
Pensez-vous qu'un film peut créer cet électrochoc ?
Charles Berling : De recréer le débat oui j'espère. Un film peut revisiter l'histoire récente en posant des questions avec des angles inédits, avec une curiosité qui ne serait pas celle d'un spécialiste, en remettant le sujet à hauteur de tout le monde, sans simplification ni populisme ni démagogie de bas étage.
Charles Berling : "Un film peut revisiter l'histoire récente en posant des questions avec des angles inédits, en remettant le sujet à hauteur de tout le monde."
Pour en revenir au genre du "film politique", quelles sont vos références ?
Gilles Lellouche : J'aime beaucoup Z de Costa Gavras évidemment. Je pense aussi aux Hommes du Président, à Révélations de Michael Mann ou Erin Brockovich. C'est un genre que je trouve passionnant. Mais c'est vrai qu'en France c'est un cinéma qui n'existe plus. C'est la première fois que je lis un script comme ça. En plus, là où le réalisateur a un talent monstrueux, c'est qu'il en fait un vrai film de cinéma. La preuve en est, c'est que j'étais persuadé que ça n'allait intéresser que le public français et on est en train de le vendre dans le monde entier. L'objet cinématographique dépasse l'affaire Clearstream.
A HAUTEUR D'HOMME
Les gens qui ne s'étaient pas intéressés par cette affaire vont pouvoir redécouvrir cette affaire par le biais humain. C'est aussi la force du cinéma...
Vincent Garenq : C'est la différence entre le cinéma qui humanise par rapport à la manière dont la télévision et la presse relatent les évènements. On avait eu vent de l'affaire Clearstream, un peu dans le désordre, au fil des découvertes, sans trop de sens. On suit un personnage, l'histoire dans laquelle il tombe et il y a de l'humanité derrière, notamment avec sa famille. On voit l'homme, l'homme seul face à ce système. Pourquoi on montre sa famille ? Parce que ce sont des gens, c'est nous. Ce n'est pas tant la famille d'un journaliste d'investigation en réalité. C'est un moyen de montrer que toute cette pourriture nous touche et concerne vos vies.
Denis Robert : "Je me retrouve mis en examen au Palais de Justice de Paris… alors que je n’avais rien fait. Si, un livre."
"L’Enquête" est aussi une histoire humaine. On y montre des choses intimes. N’y avait-il pas un sentiment d’impudeur parfois ?
Denis Robert : Non. Je connais ma vie intime. Je sais très bien que c’est du cinéma et en l’occurrence quand je m’engueule avec la femme qui partage ma vie, je ne suis pas aussi volcanique que dans le film. Quand j’emmène mes filles au supermarché, je ne les oublie pas dans le caddy. (Rires) J’ai aussi vécu des choses plus dures que celles montrées dans le film. Les scènes d’intimité sont au service de L’Enquête. Ce sont des choses imaginées ensemble avec Vincent. Elles sont complètement justes car oui il y a eu des moments de tension incroyable à la maison parce j’étais absent, parce que les huissiers étaient là tout le temps, parce que je me retrouvais dans les journaux télévisés comme un suspect potentiel, parce que je me retrouve mis en examen au Palais de Justice de Paris… alors que je n’avais rien fait. Si, un livre. J’avais fait mon travail et dévoilé une affaire. J’avais été jusqu’au bout dans mon travail de journaliste. Il y a quelque chose d’assez violent dans tout cela. Ce film me rend aussi justice d’une certaine manière et peut-être qu’il aura un effet sur le réel. Un jour il faudra comprendre qu’il faut contrôler tout cela. Mais bon…
Où place-t-on la limite entre "personnage réel" et "héros de fiction" ?
Gilles Lellouche : Si la frontière est en effet fine et que je trouve sa démarche héroïque à tous points de vue, je ne me dis pas que je vais interpréter un "héros de cinéma" mais un "héros citoyen". Tout part de Denis. Paradoxalement le cinéma a souvent tendance à en rajouter. Pour L'Enquête on a eu tendance à enlever par pudeur. La face "cachée" de l'iceberg, qu'elle soit montrée ou non dans le film, le rend encore plus touchant et noble. Beaucoup de gens lui ont tourné le dos tout de même et ont douté de la véracité de son enquête. Heureusement aujourd'hui il est réhabilité et une décision de justice a validé son enquête. Là-dedans il y a quelque chose de génial : il y a l'homme sur le plateau de télé et l'homme dans sa vraie vie. Son obsession a parfois tourné à la colère. Et cela a eu des dommages collatéraux. Et il en a conscience. J'adhère à cela.
Gilles Lellouche : " Beaucoup de gens ont tourné le dos à Denis et ont douté de la véracité de son enquête."
C'est par l'empathie envers des personnages de cinéma que l'on peut transmettre un message et exposer plus facilement une affaire aussi nébuleuse que Clearstream...
Charles Berling : La force du cinéma c'est cette émotion collective. Et qui fait de cet art quelque chose capable de créer de l'identité et de refaire voir différemment une histoire que l'on a pourtant l'impression de connaître.
Une des scènes les plus fortes du film est celle où votre personnage se demande si ça valait le coup et est prêt de jeter l’éponge…
Denis Robert : Dans la vraie vie, j’étais écrasé par les plaintes et les défaites. Je venais de me faire condamner en appel par la Cour de Bordeaux à 15 000 euros pour une interview anodine. C’est alors que je fais cette "dernière" déclaration publique où je dis que ces juges ne connaissent de la finance internationale que leur livret de caisse d’épargne et que les censeurs ont gagné. Mais cela ne veut pas dire "J’arrête". Simplement que j’arrête de répondre aux médias et, comme dans un combat de boxe, à répondre aux coups permanents. J’étais épuisé. Je décide alors de combattre judiciairement. Pendant 3 ans avec mon avocate, on va se battre et préparer un dossier très épais pour la Cour de cassation, répondant aux 22 points diffamatoires que me pose Clearstream. Le verdict fina renvoie les magistrats qui m’ont condamné auparavant à leurs études, et les journalistes aux leurres. Journalistes qui avaient déversé sur moi des tonnes de bile. Cela me libère et me permet de faire des tas d’autres choses derrière. Mais il était important que j’arrive à se ce succès judiciaire.
UN FILM SUR LE JOURNALISME
C’est aussi un film sur le journalisme. Le journalisme d’investigation et son danger inhérent.
Denis Robert : Il y a sans arrêt des tentatives du pouvoir de museler l’information. Que ce pouvoir soit socialiste, UMP… Si le Front National arrive, ce sera encore pire. Ce n’est pas une découverte. Heureusement que l’on est vigilant et que, concernant le "secret des affaires" tout le monde est monté au créneau. Mais là on voit tout de même avec cette récente polémique qu’on a un pouvoir qui écoute tout de même. On touche à quelque chose d’essentiel à la démocratie : la liberté d’informer.
Charles Berling : L'Enquête traite de journalisme mais sans naïveté, sans l'idéaliser à outrance les personnages de Denis Robert et de Van Ruymbeke. Robert est par exemple montré dans son obstination parfois à l'encontre de sa famille. Il la délaisse...
Gilles Lellouche : L'investigation coûte de l'argent. Non seulement Denis est un journaliste d'investigation mais il mène son enquête tout seul, dans son coin, sans journal ou groupe de presse derrière lui. D'une certaine manière cela lui coûte encore plus cher. Mais quelque part ce film redonne un sens au mot "journaliste". J'ai malheureusement peur que ce mot aujourd'hui soit galvaudé. Être journaliste aujourd'hui cela veut tout et rien dire. Il y a un excellent journalisme et un autre, de bas étage, que l'on peut voir sur certaines chaînes du câble tous les soirs, avec du documentaire à sensation sur les banlieues, dans lesquels on suit des gendarmes dans des coins sensibles...
Gilles Lellouche : "Ce film redonne un sens au mot "journaliste"."
Y a-t-il des films qui représentent bien le journalisme ?
Denis Robert : A ma connaissance, c’est la première fois en France qu’un journaliste est représenté d’une manière non caricaturale. Au-delà du journalisme, là encore à ma connaissance, c’est la première fois qu’un film de cinéma grand public utilise une actualité si récente sans la caricaturer.
C’est plus courant aux Etats-Unis de traiter ainsi une actualité si chaude…
Denis Robert : Oui et en Angleterre. Je pense notamment à State of Play. Dans les discussions avec Vincent, on évoquait beaucoup Révélations de Michael Mann, notamment pour la relation entre Al Pacino et Russell Crowe. Quand je l’ai vu, j’étais au cœur de l’affaire Clearstream et mon premier livre n’était pas encore sorti. J’ai vu dans ce film une sorte de gémellité. Vincent a un budget 10 fois inférieur pour L’Enquête mais il y a une vraie parenté entre ces deux films. Mais je pense aussi aux Hommes du Président d’Alan J. Pakula, aux Trois Jours du Condor de Pollack, à Erin Brockovich… Peut-être un peu moins le cinéma italien même s’il y a Francesco Rosi ou Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon de Petri. Des vrais films sur ce sujet il y en a très peu.
Propos recueillis par Thomas Destouches le 4 février 2015 à Paris
La bande-annonce de "L'Enquête", en salles le 11 février :