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    "Emmanuelle, le premier film cul devenu culte !"
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Il y a 40 ans, Emmanuelle sortait sur les écrans français. AlloCiné s'est entretenu avec Just Jaeckin, réalisateur du "film cul et culte", à l'occasion d'une rétrospective qui lui était consacrée au Festival d'Angoulême. Avec anecdotes à la clé...

    AlloCiné

    AlloCiné : Le Festival du film francophone d'Angoulême a mis quelques uns de vos films à l'honneur à l'occasion d'une "Nuit Chaude". Est-ce une première pour vous, et peut être même dans la ville d'Angoulême?

    Just Jaeckin : Angoulême, je suis venu 14 ans faire des courses automobiles ! J’ai eu longtemps le record du tour. C’est un circuit complètement fou dans les remparts. J’ai fait beaucoup de courses pour m’amuser en gentleman driver, pas en tant que professionnel.

    C’est la première fois que je suis invité au festival car j’ai eu un coup de cœur énorme pour Marie-France Brière et Dominique Besnehard (co-organisateurs de l'événement avec Patrick Mardikian, Ndlr). Je les connaissais très peu en fait, car j’ai toujours été un solitaire. J’ai fait neuf longs métrages et je n’ai jamais fait véritablement partie de la famille du cinéma. Je faisais plein de choses différentes : sculpteur, photographe, écrivain... Je n’ai jamais été un cinéaste dans l’optique de vivre 24h sur 24 pour le cinéma.

    J’ai toujours été un solitaire. Je n’ai jamais fait véritablement partie de la famille du cinéma

    Comment les films qui ont composé votre "Nuit chaude" ont été sélectionnés ? Etait-ce votre choix ? 

    J'ai simplement dit ma préférence aux organisateurs. D’abord, Le Dernier amant romantique. Puis, Gwendoline, qui est mon film d’aventure, pour lequel j’ai eu le prix du film d’aventure, en Italie, avec mon adorable Bernadette Lafont. J’adore ce film. Et Emmanuelle, l’immense classique… Classique ? Culte !! Je suis le seul metteur en scène qui a fait d’un film cul un film culte ! (sourire)

    Je suis le seul metteur en scène qui a fait d’un film cul un film culte !

    Je n’aime pas le mot revanche... Mais c’est la première fois, 40 ans après, que les gens commencent à dire que j’ai fait des films cultes justement, quand, à l’époque les critiques m’ont assassiné dans tous les sens du terme. Je n’ai jamais été reconnu comme un metteur en scène. On disait beaucoup de choses désagréables. Cela fait quand même plaisir aujourd’hui que mes films soient reconnus 40 ans après. C’est toujours agréable.

    Mais le public a été au rendez-vous. Emmanuelle, c'est 9 millions d'entrées en salles en France…

    Il y a eu plus de 350 000 millions d’entrées dans le monde. C’est un film qui passe encore, 40 ans après, une fois par mois à la télévision mondiale. Il n’y a pas un film, qui soit 10 000 fois mieux que le mien, qui continue sans arrêt à passer à la télévision. C’est quelque chose d’inimaginable, d’unique dans l’histoire du cinéma. Ça me dépasse complètement.

    Le succès d’Emmanuelle est un phénomène de société beaucoup plus qu’un beau film. C’est un film dont les dialogues de Jean-Louis Richard, qui était le scénariste de Truffaut, avaient beaucoup d’avance, basés sur un livre qui était célèbre déjà. Un livre qui était vendu sous le manteau, mais qui était très connu dans l’érotisme. Il y a eu Emmanuelle, Histoire d’O, les livres de Bataille, les livres de Sade… Tous étaient des livres connus.

    C’est le premier film érotique visible par tout le monde, par toute la famille je dirais presque !

    Mais c’est surtout un phénomène d’époque. C’est l’ouverture à l’érotisme grâce à la pilule de Simone Weil, une espèce de libération formidable d’envie de connaitre. Et c’était le premier film érotique visible par tout le monde, par toute la famille je dirais presque. C’était l’antithèse des films pornos à l’époque, qui étaient vus dans les cinémas X, que personne ne voulait voir.

    Et quand j’étais attaqué, j’ai toujours dit qu’Emmanuelle, Histoire d’O, Madame Claude ont été écrits par des femmes. C’est de l’érotisme féminin que j’ai essayé de comprendre. Je dis toujours que les femmes sont beaucoup plus sensuelles que les hommes. Les femmes, ça peut être ta femme, ta maitresse, ton infirmière, ta sœur… L’éventail d’une femme par rapport aux hommes est beaucoup plus extraordinaire. On peut écrire 40 000 scénarios sur une femme.

    Est-ce qu’Emmanuelle est le film dont vous êtes le plus fier ?

    Je ne suis pas fier d’"Emmanuelle". On ne peut pas être fier d’un livre qui a été écrit par quelqu’un d’autre. J’ai fait du bébé d’Emmanuelle Arsan le mien. Ca reste quand même son idée. 

    On est fier quand ça représente quelque chose à 100% de vous-même. Ce qui est le cas du "Dernier amant romantique", qui est mon histoire à l’envers. J’étais jeune directeur artistique et j’ai fait un concours à l’époque parce que j’étais amoureux d’un mannequin. Ennio de Concini, qui est le scénariste de Fellini, m’a dit : "non, Just, c’est dépassé ton histoire ; il faut inverser les personnages. Il faut que la fille soit directrice d’un journal et qu’elle fasse un concours pour le dernier amant romantique pour un peu ridiculiser les hommes." 

    ANGELI-RINDOFF / BESTIMAGE

    Vous disiez en début d'interview que vous étiez un solitaire, que vous n'aviez jamais vraiment fait partie de la famille du cinéma, mais, malgré tout, avez-vous des envies de revenir au cinéma ? 

    Le cinéma a beaucoup changé. On est tributaire de la télévision. Les producteurs de télévision ne sont pas des gens que je connais. Ce sont des gens qui changent tout le temps. Ma dernière expérience qui m’a fait arrêter le cinéma, c’est que j’avais trouvé un distributeur américain, il y avait aussi un Hollandais, mais à condition de trouver une télévision française. Tous les gens que j’ai rencontré de la télévision française me disaient : un film d’enfants ne marchera jamais à la télévision, les films en costume ne marcheront jamais. Et deux ans après, il y a eu tous ces succès pour enfants au cinéma. J’avais deux ans d’avance.

    Neuf longs métrages de suite c’est fatigant. C’est passionnant mais c’est dur. On ne s’imagine pas

    Neuf longs métrages de suite c’est fatigant. 200 jours par an hors de chez soi. J’avais envie de fonder une famille. Je suis tombé amoureux d’une femme qui était sculptrice. Comme j’étais sculpteur, j’ai retrouvé cet amour du temps passé seul devant son travail, et ne pas avoir 300 personnes à diriger derrière soi. C’est passionnant mais c’est dur. On ne s’imagine pas.

    C’est pour ça que j’ai du respect même pour le plus mauvais film de la Terre, simplement parce qu’un type est arrivé au bout de faire un long métrage. C’est tellement dur. C’est deux ans de votre vie où vous vieillissez de 15 ans d’un coup. Vous rentrez dans une bulle. Et un mercredi à 14h, ou le film est un échec ou un succès. C’est très dur psychologiquement. Donc j’ai retrouvé la tranquillité. Je fais mes sculptures, je fais plein de choses sympa. Et j’ai 74 ans donc ce serait bien aussi un peu que je me calme !

    J’ai retrouvé ma tranquillité. J'ai 74 ans, ce serait bien aussi un peu que je me calme !

    Vous avez ouvert une galerie, c’est exact ?

    De nos sculptures, oui. On va faire une grande galerie en Normandie car nous voulons faire des sculptures plus monumentales, plus grandes, qu’on ne peut pas exposer à Paris. On évolue vers un plus grand domaine de taille de sculptures.

    Pensez-vous qu’un film comme Emmanuelle serait possible à produire aujourd’hui ? Est-ce que d’ailleurs le film avait été compliqué à produire* à l’époque ?

    A l’époque, personne n’y croyait. On a fait un film pour l’équivalent de même pas un million d’euros aujourd’hui. On est parti à quatre en Thaïlande avec la caméra sous le bras. Mais je crois que tout est possible. Je crois qu’il faut une volonté, un bon scénario et puis beaucoup de chance. Et puis d’aller au bout. C’est un mélange de choses.

    A l’époque, personne n’y croyait. Mais je crois que tout est possible

    Les mots liberté de créativité coûtent très cher. Ça coûte cher si vous investissez à 100%. Si vous vous cassez la figure, c’est très dur. On peut apprendre beaucoup d’un échec, mais c’est très dur. J’ai eu des échecs de critique, mais le film a marché. Pour l’équipe qui a travaillé pour vous, pour les acteurs qui ont travaillé pour vous, que le film ne marche pas, vous vous sentez responsable. Il y a tout ça auquel les gens ne pensent pas. Mais j’adore ce métier. C’est le métier le plus passionnant de la Terre.

    Mais aujourd’hui il y a trop de films. Il y a 365 films par an, c’est aberrant. Au lieu d’en faire 365, on devrait en faire 20 formidables. Tout le monde fait un peu n’importe quoi. Je suis membre des César. Quand je reçois le coffret, il y a la moitié des films qu'on retire une minute après. Ce refus du cadrage, ce refus de la lumière, ce refus du maquillage… La beauté du cinéma, c’est qu’un chef opérateur va exprimer quelque chose, un cadrage va exprimer quelque chose… Refuser ça, c’est une aberration. C’est une certaine culture de l’image…

    ANGELI-RINDOFF / BESTIMAGE

    J'imagine qu'on vous demande souvent des anecdotes sur Emmanuelle… Y en a-t-il une qui vous vient à l'esprit ?

    Quand je dis qu’Emmanuelle, c’est ma grand-mère ! Depuis 40 ans, on me pose les mêmes questions sur "Emmanuelle"... Je ne sais plus quoi dire, j’ai gratté les fins fonds de ma mémoire pour trouver !

    On peut dire que c’était un tournage difficile où j’ai été emmené en prison. J’aurais très bien pu rester dans les prisons thaïlandaises parce qu’on est parti sans permis, sans rien. On a tourné dans un endroit sacré et la police est arrivée. Si le cameraman n’avait pas remplacé la pellicule, je serai en taule là-bas ! Ça a été ma grande trouille.

    J’aurais très bien pu rester dans les prisons thaïlandaises parce qu’on est parti sans permis

    Et le succès, c’est quand j’ai vu une queue qui faisait le tour du cinéma Triomphe. J’ai cru que c’était normal, c’était mon premier film. Personne ne s’y attendait. Le seul secret, c’est de donner le maximum de choses qu’on aime, et espérer que ça marche. Et ne jamais faire de concession, ce qui est strictement impossible, il faut toujours en faire malheureusement. Donc il faut savoir se servir des concessions pour les tourner à votre avantage, apprendre à détourner.

    Je ne dis pas que je ne referai pas un long métrage, mais… (pause). Jean-Paul Rappeneau qui est un de mes grands amis, qui tourne actuellement, et qui a 5 ans de plus que moi, je lui dis : "mais tu tiens le coup physiquement ?". Sa réponse : la passion.

    *On a appris ce mercredi 15 octobre le décès du producteur emblématique d'Emmanuelle et de ses nombreuses suites et déclinaisons, Alain Siritzky, à l'âge de 72 ans.

    La bande-annonce d'"Emmanuelle", qui fête ses années ses 40 ans :

     Propos recueillis au Festival du film francophone d'Angoulême, en août 2014

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