Allociné: En quoi la ville de New York vous a-t-elle inspirée en tant que français? Pourquoi faire votre premier long-métrage là bas plutôt qu’en France?
Lola Bessis : Ruben avait déjà réalisé deux courts-métrages à New York et moi j’y faisais mes études de cinéma. En vivant là-bas, tout nous fascinait on avait tendance à tout filmer avec nos téléphones portables, comme des petites scènes de la vie quotidienne, qu’on aurait peut-être pas remarqué à Paris parce qu’on connaît trop bien la ville. Là-bas on avait de grands yeux émerveillés sur tout et petit à petit, grâce à un court-métrage qu’on avait fait et qui tournait pas mal dans les festivals, on a rencontré beaucoup de comédiens et de techniciens très talentueux. Tout cela a germé dans nos têtes, et l’on s’est dit qu’on pourrait vraiment faire quelque chose de bien ici.
Ruben Amar : En terme d’inspiration, il y a vraiment une scène new yorkaise, même américaine parce qu’il y a d’autres villes qui se développent sur le concept de cinéma très indépendant, fait avec très peu de moyens, c’est une vraie volonté. A l’opposé de la France où le système de financement est beaucoup plus en place mais tellement lourd que rien ne se fait ou tout se fait très lentement. Tandis que là-bas il y a une volonté de faire un film tout de suite et maintenant, c’est ce qui nous a emballés et nous a poussé à nous lancer dans ce projet.
Allociné: Quelles sont vos influences cinématographiques?
Lola Bessis : Pour ce film en particulier c’était surtout, un certain type de cinéma américain indépendant des années 70 et 80. Cassavetes, Jarmusch, Scorsese, Spike Lee...
Ruben Amar : Le Nouvel Hollywood des années 70 qui a été très inspiré par la Nouvelle Vague.
On voulait vraiment qu’il y ait une énergie, que la caméra soit en mouvement, que tout le monde participe.
Lola Bessis : Qui est un peu en train de ressurgir aujourd’hui, comme avec les frères Safdie notamment. Il y a aussi les films que Lena Dunham a pu faire avant de créer la série Girls. Tout ça c’est une nouvelle génération de cinéastes qui essaye de retrouver cette manière qu’avait les cinéastes des années 70 de faire des films. C’est quelque chose qu’on avait en tête et on voulait vraiment qu’il y ait une énergie, que la caméra soit en mouvement, que tout le monde participe.
Ruben Amar : Pour le coup, ils sont en train de redonner ses lettres de noblesse au mot “indépendant”. C’est vraiment indépendant de tout, ce n’est pas dépendant d’Hollywood.
Allociné: Et donc ce choix esthétique typique des années 70, est-ce pour vous une manière de redéfinir le cinéma indépendant ?
Ruben Amar : Oui déjà c’était une volonté de se replonger dans cette vision de New York qu’on avait en tête et c’était totalement justifié à l’idée qu’on se faisait du personnage principal Leeward, qui est assez nostalgique. On l’imaginait totalement ancré, presque perdu dans les années 70.
Lola Bessis : Initialement aussi, peut-être en référence à ces films qu’on aimait, on voulait tourner en super 16, malheureusement on n’avait pas le budget, ce qui de toutes façons nous aurait empêché de faire plusieurs prises. C’est ce qui était important pour nous, de pouvoir prendre le temps de travailler avec les comédiens. On a donc dû tourner en digital, c’était pas très évident d’avoir quelque chose de qualité avec mais on avait un superbe chef opérateur qui a d’ailleurs travaillé sur les films des frères Safdi. Il a utilisé un filtre pour essayer de recréer un peu ce grain qu’on pouvait avoir dans la pellicule. Après nous avons travaillé avec l’étalonneur qui s’est occupé des films de Gondry et Soderbergh. On lui a demandé de créer pas mal de saturation et des couleurs vives comme il pouvait y en avoir dans les films de Godard ou de la Nouvelle Vague. On voulait aussi des couleurs et des motifs, un peu semblables aux films de Wes Anderson.
Allociné: Vous aviez mis en place des ateliers pour travailler avec les comédiens.
Ruben Amar : C’était l’angle d’attaque qu’on avait choisi pour faire ce film, puisqu’on avait des soucis de deadline pour rentrer en France à cause des problèmes de visa, justement comme dans le film. On a écrit le film en un mois, puis on a commencé à monter tout de suite ces ateliers. Pendant deux mois on a tenté de fabriquer un matériau très frais très vivant autour des dialogues pour développer vraiment quelque chose d’intense entre chaque personnage. On a filmé cela tous les jours, en leur donnant beaucoup de situations autour du film, pas forcément quelque chose qui est dans l’histoire mais aussi des choses qui appartenaient au passé et le soir même on dérushait tout ça et on essayait de réécrire avec leur propre mots.
On a écrit le film en un mois, puis on a commencé à monter tout de suite ces ateliers.
Allociné: Comment décririez-vous la relation entre Lilas et Leeward ? Lilas et sa mère?
Lola Bessis : Pour nous ce sont deux personnages qui sont à un moment de leur vie où ils se posent pleins de questions, ils sont un peu perdus et vont se retrouver l’un en l’autre, un peu comme dans un jeu de miroirs. Une complicité va naître assez rapidement et naturellement parce qu’ils font face au même type de problème. Et donc c’est cette complicité qui peut par moment être interprétée par Lilas comme quelque chose de plus, parce qu’elle est plus jeune et naïve, elle confond ses sentiments, d’où l'ambiguïté présente à la fin du film. Initialement on voulait surtout que Lilas soit un personnage qui observe, un véhicule, plutôt qu’un personnage principal même si en terme de présence à l’écran ça l’est. Parce qu’elle filme, elle a ce caractère d’observer, un peu comme nous cinéastes, on observe beaucoup ce qu’il y a autour de nous. Elle a même comme un “pouvoir magique“ avec sa caméra, celui de voir l’inconscient des gens, ou au moins de l’idée qu’elle s’en fait. L’histoire avec sa mère pour nous était plus une manière de faire écho à ce que vit Leeward, pour montrer qu’ils vivent le même type de situation d’artistes incompris, l’un par sa femme, l’autre par sa mère.
Allociné: Dans le film Leeward compose de la musique avec les jouets de sa fille, comment vous est venue cette idée ?
Ruben Amar : C’était la base même du film, quand on a essayé de chercher une histoire, on a tenté de prendre tout ce qui était autour de nous et on est tombé sur un concert à Brooklyn un soir, dans un petit bar, où un musicien jouait sur des petits instruments.
Lola Bessis : C’était des petits instruments, plus ou moins miniatures, il avait inventé tout un système où les instruments jouaient tout seuls, cela nous a beaucoup inspirés. Toujours dans l’idée de montrer Leeward comme un grand enfant naïf, on s’est dit que ce serait intéressant d’avoir recours aux jouets de Rainbow. Finalement il est peut-être plus immature que sa propre fille qu’il considère peut-être plus comme un compagnon de jeu que comme son enfant.
Ruben Amar : Plus tard on a eu la chance de rencontrer un groupe qui s’appelle The Toys and Tiny Instruments et justement ça a fait tout de suite écho. Ce sont des gens qu’on avait fait venir pour un casting, juste pour participer à la scène de la soirée au tout début du film. Dès qu’ils ont commencé à jouer, on s’est dit que c’était pile le style musical que l’on voulait avoir et que cela allait avec le côté visuel de ce que l’on était en train d’écrire. Et puis les paroles collaient bien avec l’univers enfantin et un peu folklorique du film.
Allociné: Vous avez également fait la rencontre d’une jeune chanteuse, Candace Lee, qui fait d’ailleurs une apparition dans le film.
Lola Bessis : Oui, elle avait 15 ans à l’époque, elle écrit, compose et chante avec une grande maturité. On l’a rencontré complètement par hasard, on avait mis une annonce sur un site internet et un ami à elle nous a envoyé ses chansons, on était totalement sous le charme. Après on était un peu frustré de la mettre uniquement dans une scène, celle du bar. Plus tard elle nous a envoyé ses nouvelles musiques et on est une nouvelle fois tombé sous le charme. On cherchait des musiques pour la fin du film à ce moment là et ces chansons racontaient exactement ce qui se passait dans le film.
Allociné: Pouvez-vous nous dire un mot sur le livre “Give to the people” que Leeward finit par léguer à Lilas.
Lola Bessis : Initialement le but c’était vraiment de montrer que tous les personnages sont un peu des grands enfants, même Marie pour qui c’est moins évident. Elle a cette fantaisie autour de la maison qu’elle veut acheter, elle vit un peu dans un monde fictif. Et pour Leeward surtout, on voulait montrer qu’il était naïf dans ses convictions. Il affirme beaucoup de choses haut et fort, mais c’est peut-être plus pour jouer un rôle que pour dire des choses fondées. Finalement ce livre, est une matérialisation de tout cela, c’est un bon objet transitionnel, qui circule de mains en mains. Un objet faisant avancer l’histoire et soulignant la complicité entre Leeward et Lilas.
Propos recueillis par Alexandra Maïo le 2 juin 2014 à Paris.
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