Votre film prend en quelque sorte la forme d’un patchwork, sans être péjoratif, en mêlant différents genres. Qu’et-ce qui vous a guidé dans cette démarche ?
Virgil Vernier : J’aime bien ce mot, je ne trouve pas ça péjoratif. Volontairement, la cohérence et l’unité ne se font pas par un personnage en particulier qu’on suivrait ou un style en particulier. C’est l’occasion de faire plein de choses autour de l’époque actuelle, des filles, la ville, des réflexions personnelles qu’on a, c’est pour ça qu’il y a par moment des voix off, des moments musicaux. J’avais envie d’un film très généreux, qui puisse accueillir pleins de formes.
Comment en vient-on à toutes ces idées de mise en scène ? Est-ce par association d’idées ? Est ce que vous avez par exemple une sorte de plan visuel avec toutes ces idées ?
Exactement. Chez moi, j’ai plein d’images collées au mur que j’associe, par exemple une image d’un combat au Moyen-Âge avec une guerre de gang dans un article que j’ai découpé dans la rubrique faits divers d’un journal, ou un visage de femme du passé, une statue grecque antique avec le visage d’Anna par exemple. J’essaie de faire des comparaisons comme ça. Je suis très marqué par des parallèles qu’on peut faire, la continuité de situations qui existent depuis toujours et qui se retrouvent dans le monde moderne, le XXIe siècle, parce que vraiment le point de départ pour moi a été l’effondrement des tours du World Trade Center, et c’est aussi pour cela que les tours du Mercuriales me plaisaient, c’est vraiment comme une sorte de totem de notre monde. Maintenant qu’on a vu que ça s’est écroulé, on se dit que ces tours sont vulnérables.
Les tours du Mercuriales sont comme une sorte de totem de notre monde
On croyait autrefois que c’était un symbole de prospérité, de puissance et en fait, elles sont vulnérables. Tout cet urbanisme est vulnérable. A la fin, la cité où vit Joann va être détruite, et on comprend qu’il y a des changements de civilisation. Le monde change, évolue. Des périodes, des ères sont finies et un nouveau monde commence. Tout m’inspire. Ça peut aller d’extraits de la Bible à des émissions de télé-réalité, ou des photographes contemporains. Tout un magma de choses qui vont nourrir ce long-métrage. Par exemple, lorsque l’on filme des lieux sous l’autoroute, c’est comme des cavernes d’autrefois, et les tags pour moi sont comme des peintures rupestres. Il y a plein de parallèles.
Pouvez-vous me donner des exemples, autres que les tours, qui ont été des piliers dans la construction du film ?
Ca peut être autant le journal du jour qu’une émission de NRJ 12...
Il y a vraiment une émission de NRJ 12 ?
Non, c’est une inspiration, je regarde comment les gens parlent, l’énergie de la jeunesse. Cela peut aussi être des choses beaucoup plus "sérieuses" comme des tableaux de la Renaissance... Il n’y a pas une chose en particulier.
Comment se passe ce genre de tournage en tant qu’actrice ?
Ana Neborac : On a parlé. Même de la télé-réalité par exemple. On a pas mal discuté de certaines filles, comment elles se comportaient, comment elles s’habillaient.
Philippine Stindel : J’aime bien la télé-réalité personnellement. Pour le rôle de Joann, on a regardé ce genre de filles, ces filles un peu plus légères.
Virgil Vernier : Avec l’idée de ne pas les rendre ridicule
Philippine Stindel : Oui, leur donner une dimension malgré tout.
Ana Neborac : Une humanité.
Philippine Stindel : Ce sont des gens qu’on critique assez souvent à la télé, mal perçus, comme des gens un peu bêtes, alors qu'ils sont comme tout le monde.
Vous avez donc contribué à l’écriture des dialogues ?
Ana Neborac : On a discuté avec Virgil pendant plus de 2 mois, du personnage, des réactions, de la vie en général, de notre vision des choses, de la pluie et du beau temps. On parlait de pleins de choses diverses.
Virgil Vernier : Je t’ai fait lire un livre aussi.
Ana Neborac : Oui, j’ai lu un bouquin, passionnant d’ailleurs.
Virgil Vernier : "La cloche de détresse" de Sylvia Plath, un roman américain.
Ana Neborac : Après j’ai commencé à écrire mon journal intime.
Virgil Vernier : Elle a écrit le journal imaginaire de ce personnage. Même si on ne l’utilise pas à l’écran…
Ana Neborac : Virgil m’a demandé de me mettre dans la peau d’un personnage qui vient d’arriver. J’ai par exemple passé une heure dans un parc, j’écoutais ce que les gens disaient, j’écrivais. Pleins de choses qui ont mené au personnage.
Comment vous êtes vous retrouvées sur le projet ? C’est votre première expérience de comédienne ?
Ana Neborac : Oui, c’est une première expérience. Je faisais du mannequinat. J’ai toujours été très cinéphile, mais je ne me voyais pas à l’écran. C’était plus une passion qu’autre chose. Il y a eu la rencontre avec Virgil. C’était le destin ! (rires)
Virgil Vernier : On dit souvent ça, on devait se rencontrer ! (rires)
Philippine Stindel : Moi je cherchais à être comédienne. J’ai fait deux ans au cours Florent. Quand ça s’est présenté à moi, j’ai arrêté car ça ne me correspondait pas forcément, comme manière d’approcher les choses.
Prenons par exemple la scène pendant laquelle vous argumentez avec un musulman converti. Comment joue-t-on une scène comme celle-là ?
Philippine Stindel : C’est surtout de la mise en condition. Si on était dans cette situation, que ferait-on ? On a d’abord discuté avec le comédien qui joue le converti, et on a retenu les moments qu’on avait bien aimé. On a fait en quelque sorte une répétition.
Virgil Vernier : Il n’y avait pas de texte écrit, pas de dialogues précis. J’aime sa façon de parler naturellement.
Avez-vous fait beaucoup de prises ?
Philippine Stindel : Pour certaines scènes, oui.
Virgil Vernier : Je dirais peu de prises, mais sur la longueur, par exemple pendant 10 minutes sans couper. Il y a un flux qui se passe, et au montage, j’essayais de trouver le meilleur moment.
Avez-vous tourné d’autres films depuis et eu l’occasion de comparer cette expérience à une autre ?
Ana Neborac : Oui, j’ai tourné dans le film Le Tournoi, un petit rôle. Ça n’avait rien à voir.
C’est dur à financer car les chaines télé veulent des choses plus formatées
Mercuriales est votre premier long. A-t-il été compliqué pour vous de trouver les financements ? Est-ce la même personne qui vous a accompagné entre vos courts métrages et votre long ?
Virgil Vernier : Jean-Christophe Reymond m’a accompagné pour mes trois derniers films. Oui, c’est dur à financer car les chaines télé veulent des choses plus formatées. A l’écriture, ce film pouvait faire peur aux financiers. Ils peuvent avoir l’impression qu’on ne sait pas où on va, il n’y a pas d’histoire narrative très forte. C’est courageux de la part du producteur d’oser financer ça. Les gens du CNC et d’Arte ont également fait confiance au projet.
Ana Neborac : C’était très familial. Nous n’étions vraiment pas nombreux, une vingtaine.
Virgil Vernier : Ce qui est particulier, c’est que nous avons tourné en pellicule, 16 mm. Il y a un travail technique assez contraignant. J’ai dû apprendre à travailler avec cette contrainte. Mais j’étais très content car le résultat en 16 mm est vraiment beau.
Lors de la projection de votre film à Cannes, une personne dans le public a fait une remarque sur l’absence d’histoire narrative, ce qui semblait l’avoir dérangée. Que répondez-vous à ce genre de remarques ?
Ana Neborac : Il faut de tout ! Si tout le monde avait les même goûts, ce serait ennuyeux. Et c’est bien que des gens n’aiment pas : ça permet de discuter, parler. Tant mieux, c’est enrichissant.
Est-ce une remarque que l’on vous fait souvent ?
Virgil Vernier : Sur ce film en particulier, oui. Il y a des gens qui se sentent presque agressés. Certaines personnes, quand elles ne comprennent pas, sont déroutées. Elles ont une réaction agressive.
Peut être se sentent-elles exclues ?
Virgil Vernier : Peut être qu’elles se sentent exclues. Même s’ils ne comprennent pas, je trouverais ça encore plus fort qu'ils se disent que ça a l’air d’être réfléchi, que ce n’est pas n’importe quoi. Mais je ne veux pas faire de faux efforts pour arrondir les angles, le film je l’aime comme ça. Il est radical. C’est dommage si des gens restent à l'extérieur, peut être y reviendront-ils plus tard. Peut être que ça va faire un cheminement dans leur tête et vont se dire que ça n’était pas si mal, qu'ils vont peu à peu comprendre ce que j'ai voulu dire.
Y-a-t-il des parties dans le film qu’on peut qualifier de documentaire ?
Virgil Vernier : Je sais que dans l’histoire du cinéma, on a séparé documentaire et fiction. Je ne fais pas spontanément une telle distinction. Tout ce qu’on fait, ce qu’on disait sur les actrices, la manière de s’approprier, c’est déjà du documentaire. Je ne pourrais pas demander à Marion Cotillard d’incarner une prolo, en référence à un film à Cannes (ndlr : Deux jours une nuit). C’est tout sauf Marion Cotillard, ce n’est pas sa vie. Je ne pourrais pas faire ça. J’ai besoin que les actrices me parlent de leur vie de façon à s’approprier naturellement le personnage, quitte à ce qu’on change ce que j’avais prévu au départ. Et le temps du film, cette fille va exister réellement.
Quelles sont vos influences dans le cinéma ou même la littérature ?
Virgil Vernier : Plutôt des références américaines, en particulier des choses qui se sont passées à Los Angeles. En littérature, j’aime beaucoup Charles Bukowski. Au cinéma, par exemple Barbara Loden, qui a fait le film Wanda.
Etes-vous passé par une école de cinéma ?
Virgil Vernier : Non. J’ai juste fait un an aux Beaux Arts de Paris.
Qu’est-ce qui est à l’origine de votre cinéphilie ?
Virgil Vernier : La peinture. Quand j’étais aux Beaux Arts, j’aimais beaucoup la peinture, et j’ai découvert que le cinéma était de la peinture en mouvement. C’est pour ça que tout ce qui est narratif n’est pas ce qui m’intéresse le plus dans le cinéma. Filmer des filles et des paysages, comme le faisaient les peintres. Faire une peinture du monde contemporain.
Quelle est la suite pour vous ?
Virgil Vernier : Pour l’instant, je laisse décanter. J’ai terminé le montage il y a très peu de temps. Je sais que ça va être long de réécrire un projet, long de trouver des financements. Je vais faire des petites choses parallèles, des très courts films. J’ai envie de faire un livre de photos aussi.
Un extrait de Mercuriales :