Troisième et dernière partie de notre entretien avec Jean-Patrick Benes, Allan Mauduit, Fanny Herrero, Quoc Dang Tran et Adriana Soreil, les auteurs de Kaboul Kitchen, dont la seconde saison débute prochainement sur Canal+. La situation des scénaristes en France, les influences des ces cinq auteurs, leurs séries de prédilection. Dernier tour de table à l'approche de la diffusion...
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Les scénaristes de "Kaboul Kitchen" de gauche à droite : Adriana Soreil, Allan Mauduit, Quoc Dang Tran, Fanny Herrero & Jean-Patrick Benes
© Thomas Caramelle / AlloCine
Est-ce qu'on peut aborder la situation des scénaristes en France ? Notamment financière...
Allan Mauduit : Quand Canal+ nous a demandé un synopsis pour la version "30 minutes" de Kaboul Kitchen, on a accepté, tout en comprenant très vite que donner un synopsis était une mauvaise idée. C'est de la comédie, c'est compliqué de faire rire et de donner le ton sur un synopsis. Du coup on a décidé d'écrire le premier épisode.
Fanny Herrero : Vous étiez déjà optionnés ?
Allan Mauduit : Oui on était déjà chez nos producteurs. Donc une fois le scénario de l'épisode fini, on l'a donné à Canal+. Et on s'est fait un peu engueuler, ce qui est logique: ils avaient demandé un synopsis ! (Rires) On leur a tout de même demandé de le lire... et ils ont aimé. Toute notre relation de confiance avec Canal+, de grande confiance même, est partie de là. En écrivant ce premier épisode sans être payé, on a pris notre risque et on a gagné.
Jean-Patrick Benes : On a souvent fait ça : écrire sans argent ni producteur. En France, un producteur qui veut produire une série va voir une chaîne de télévision avec une bible (une sorte de longue note d’intention de ce que devrait être la série). Si la chaîne est intéressée, on lance le développement d'un premier épisode, dont le coût est partagé entre le producteur et le diffuseur. Et c’est finalement l'auteur qui a écrit la bible qui porte la plus grande part du risque financier. Car il n’a touché qu’une option du producteur qui représente au mieux 30 % du prix. Le reste ne lui étant finalement versé que si le projet voit le jour. Aux Etats-Unis, c'est plus logique. Un producteur croit à un projet, il paye plein tarif pour une bible et un épisode. Ensuite, il va voir les chaînes et leur demande : "Vous prenez ou pas ?" C'est ce qu'il faudrait faire en France. Parce qu’un épisode complet et une bible, c'est toujours plus vendeur qu'une bible toute seule. Et aussi parce que c’est au producteur de prendre le risque financier, pas au scénariste.
Fanny Herrero : Si tu bosses sur une série, soyons honnêtes, tu peux bien gagner ta vie. C'est dur, mais on ne va pas à la mine. Mais effectivement pour bien en vivre, il faut beaucoup travailler, et sur plusieurs séries. Ce n'est pas le scénario d'un épisode dans l'année qui te permet de bien vivre. Il faut en faire 2, 3... Et il faut aussi dégager du temps pour développer ses propres projets. Tout est une affaire d'équilibre. Et c'est complexe à organiser. D'autant que c'est compliqué de développer son propre projet. Développer c'est aussi éventuellement partir en immersion, enquêter, lire, se renseigner, voyager pour se documenter... Cela prend beaucoup de temps, un temps durant lequel on n'est pas payé.
Jean-Patrick Benes : La maturation de Kaboul Kitchen nous a pris 9 mois, bien évidemment pas à temps plein, pour dénicher les anecdotes, développer les personnages, se tromper... Cela prend du temps et cela coûte cher. Quand on lance une série, bien entendu que cela rapporte de l'argent. Mais pour une série qui se fait, combien sont abandonnées ?
Allan Mauduit : En France, la dispersion complique un peu la situation. Idéalement il faudrait être totalement dédié à un projet. Or pour des problèmes d'argent, y compris au cinéma, on jongle. Et cela s'accompagne d'une certaine crispation. Parfois on se dit "Si je lâche ça, je vais me griller avec machin..."
Fanny Herrero : "Si je lâche tout pour faire cette série et qu'elle se plante..." (Rires)
Allan Mauduit : Cela crée un manque de disponibilité qui peut se révéler très préjudiciable à tous les projets. Et à l'écriture des séries françaises en général.
Fanny Herrero : Aux Etats-Unis les scénaristes sont employés à plein temps pour X mois sur tel projet. Ils sont bien payés et savent que pendant ce temps-là ils peuvent s'y consacrer pleinement. En France, cela peut être un métier précaire. Beaucoup de séries développées se plantent pour telle ou telle raison, parce que le projet est bancal ou parce que les conseillers des programmes ont sauté... Nous sommes tributaires de beaucoup de facteurs.
Jean-Patrick Benes : Quoc, tu travailles en tant que directeur de collection sur Fais pas ci, Fais pas ça. En devenant "simple scénariste" (Rires) pour Kaboul Kitchen, il pourrait se dire que c'est lâcher la proie pour l'ombre...
Allan Mauduit : Tu as noté cette belle expression ? (Rires)
Jean-Patrick Benes : C'est une série qui cartonne sur France 2. Sincèrement c'est risqué pour un scénariste ! Si cela ne marche pas...
Allan Mauduit : Beaucoup de scénaristes sont dans ce cas-là. C'est un peu différent nous concernant, Jean-Patrick et moi... On parlait tout à l'heure de la différence entre "directeur de collection" et "simple scénariste". En fait la grande différence elle est entre "créateur" et "simple scénariste". Nous sommes davantage des créateurs, de longs-métrages et de séries. Mais revenons aux scénaristes, à partir d'un moment c'est à la charge du producteur de dire à un scénariste "Tu es avec moi, et juste avec moi." La qualité n'en sera que meilleure. On a tous ici un peu de talent. Mais on sait tous que c'est surtout beaucoup de travail. Beaucoup, beaucoup, beaucoup de travail ! Et quand tu as beaucoup travaillé, tu retravailles encore. Et après, seulement après, tu peux commencer à être un peu content. C'est ça la réalité de l'écriture.
Le décor principal de "Kaboul Kitchen"
© Xavier Lahache / Canal+
Ce n'est vraiment pas drôle...
Allan Mauduit : Non. Je te jure que non.
Jean-Patrick Benes : Et cela devient vraiment bon et efficace quand tu arrives à accepter d'entendre que tes versions sont mauvaises. En France, heureusement c'est en train de changer.
Allan Mauduit : Il y a une nouvelle génération.
Jean-Patrick Benes : Jusqu'à récemment la writing room n'existait pas et c'était compliqué de travailler à plusieurs auteurs. Et a fortiori de dire à un scénariste "C'est mauvais". Aujourd'hui on est davantage habitué à écrire en groupe, à échanger, à entendre que tel scénario ne fonctionne pas et qu'il faut le retravailler. C'est une nouvelle façon de travailler.
Fanny Herrero : Depuis que j'ai commencé ce métier, il n'y a pas une série où je n'ai pas travaillé de façon collective, avec plusieurs auteurs. Ecrire 8, 10 ou 12 épisodes seul ou à deux, c'est un travail tellement énorme. Maintenant on partage la tâche.
Outre vos séries respectives actuellement à l'antenne, avez-vous des projets en cours ?
Quoc Dang Tran : Je suis en train de développer avec Frédéric Azemar et Florent Meyer une série fantastique pour Arte en 3 épisodes de 52 minutes. C'est une sorte d'hommage à Philip K. Dick. J'adore la comédie, mais j'aime aussi la diversité : le thriller, le fantastique... Si on pouvait faire un slasher, ce serait bien !
Allan Mauduit : Ouais !
Ça vient du coeur !
Quoc Dang Tran : Je suis très reconnaissant à Fabrice Gobert (Photo ci-contre - Copyright : Haut et Court / Canal+ / Jean-Claude Lother) d'avoir ouvert cette brèche avec Les Revenants. Les Français sont totalement légitimes dans le fantastique. Le projet s'appelle Un écho, et il est en pleine écriture. Par ailleurs je développe un film fantastique. On est à la recherche de financement, mais on n'en trouvera peut-être jamais...
Vous pouvez tenter le crowdfunding...
Quoc Dang Tran : Oui. Mais il faut tout de même trouver 4 millions et on n'est pas Zach Braff ! (Rires) Et bien entendu il y aura la saison 3 de Kaboul Kitchen dont je m'occuperai exclusivement. Ce sera la première fois de ma courte carrière de scénariste que je travaillerai sur une seule série.
Fanny Herrero : Je développe actuellement une série qui s'appelle 10% pour France 2, produite par l'ancien agent Dominique Besnehard. Elle se déroule dans le milieu des agents artistiques et traite des relations entre les agents et les stars, des névroses et des fragilités des acteurs.
Jean-Patrick Benes : C'est un atout d'avoir Besnehard. Son passé d'agent permettra de ne rien laisser passer qui n'est pas vrai. C'est aussi une des forces des séries américaines, certaines sont puisées dans le vrai. Comme Sur écoute par exemple.
Fanny Herrero : Et je viendrai aussi compléter l'équipe de la saison 3 de Kaboul Kitchen !
Jean-Patrick Benes : Allan et moi travaillons sur un thriller d'action et d'anticipation. On planche sur ce film sans producteur pour le moment. Le genre est très original pour la France, peut-être trop. Mais plutôt que de convaincre que c'est une bonne idée, mieux vaut l'écrire et la soumettre ensuite. C'est une démarche qui nous a plutôt souri dans le passé.
Allan Mauduit : On a également ressorti un projet de film d'animation. On y travaille à nos heures creuses depuis 8 ans, on le ressort de temps en temps. Alors bien sûr c’est long mais c’est normal, c'est un budget de 25 millions d'euros donc... (Rires)
Adriana Soreil : J'ai toujours dans les tuyaux mon long-métrage de fin d'études de la FEMIS, un road movie comique, que j'ai réécrit au fil des retours que m'ont fait des producteurs, des scénaristes à qui je l'ai fait lire. Je cherche actuellement un producteur.
Fanny Herrero : Tu veux le réaliser ?
Adriana Soreil : Oui j'aimerais le réaliser. L'idée serait de faire un court-métrage avant de passer au long. Tout cela nous amène loin... Sinon je participe actuellement à l'écriture de la 2e saison d'un programme court sur Arte qui s'appelle Tout est vrai (ou presque) et qui raconte avec humour la vie de personnes célèbres. Avec le réalisateur de ce programme, Udner, on travaille également tous les deux sur un autre projet de programme court humoristique, de la pure fiction cette fois, et toujours en stop motion.
Adriana Soreil, scénariste de "Kaboul Kitchen", et Thomas Destouches (AlloCine)
© Thomas Caramelle / AlloCine
Si je vous demande de choisir un film, une série, un scénariste...
Quoc Dang Tran : Je peux commencer par le scénariste : William Goldman. Il a écrit Les Hommes du Président, Marathon Man, Princess Bride, Misery... Il faut lire un scénario de Goldman, il a une vraie voix au niveau des didascalies. La lecture est hyper simple. C'est mon scénariste de référence. Côté séries, je pourrais citer en ce moment Game of Thrones et House of Cards.
Fanny Herrero : Une série assez méconnue mais qui est une référence, c'est Friday Night Lights. J'adore le rapport aux personnages, l'empathie, le mélange de tendresse et de vérité. C'est un tour de force d'avoir réussi une telle série avec un tel point de départ, autour d'une bande de rednecks, bigots, républicains... Il suffit d'un épisode pour être en larmes, tu as envie d'être leur ami.
Quoc Dang Tran : Et le couple formé par le Coach Taylor et sa femme est très beau.
Fanny Herrero : Ce sont des histoires d'adolescents traitées de façon très adulte.
Jean-Patrick Benes : Je suis moi aussi un fan de Friday Night Lights. Actuellement je redécouvre Sur écoute. C’est toujours aussi bien. Il y a aussi Breaking Bad. Pour les scénaristes, je pourrais citer Sergio Leone. Il a piqué des idées ici et là...
Le scénariste est un voleur !
Jean-Patrick Benes : Non, le réalisateur est un voleur et le scénariste un galérien ! (Rires) Les histoires de Leone sont extraordinaires. Il a créé un genre.
Allan Mauduit : Le film sans hésiter c'est Fargo. Pour les séries, j'ai pris une jolie petite claque avec Girls récemment, mais ce qui m'excite le plus, c'est Breaking Bad. Pour le scénariste, je citerais volontiers Billy Wilder.
Adriana Soreil : J'ai été accro à pas mal de séries, dont The Shield. Mais la claque, ou plutôt l'ovni, ce serait Flight of the Conchords. J'aime son côté bidouillé, sa créativité pure.
Fanny Herrero : Pour moi le scénariste, ce serait deux scénaristes que tout oppose mais que j'adore : James Gray et Judd Apatow.
Jean-Patrick Benes : Même le James Gray de Two Lovers ?
Fanny Herrero : Oui.
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Kaboul Kitchen Saison 2, bientôt sur Canal+...
Kaboul Kitchen - Saison 2 - Teaser
Propos recueillis par Thomas Destouches à Paris
Photos : Thomas Caramelle