Ce jeudi après-midi, sur la plage du Gray d'Albion en ébullition, Adèle Exarchopoulos est sur un nuage. Enchaînant les interviews aux côtés de sa complice Léa Seydoux, l'héroïne de La Vie d'Adèle semble profiter de chaque instant de cette journée particulière, qui se conclura en apothéose par une ovation à la fin de la projection officielle, à 2 heures du matin.
Sur la Croisette, son mélange de jubilation et de fébrilité nous rappelle l'émotion d'une autre révélation "kechichienne", Hafsia Herzi, le jour de la présentation, à Venise, de La Graine et le mulet en 2007. On pense aussi au charme brut et sauvage de Sandrine Bonnaire, née au cinéma grâce à Maurice Pialat, un des maîtres de Kechiche.
Boxes © Pyramide Distribution
Mais si la prestation ébouriffante d'Adèle Exarchopoulos dans le film donne l'impression d'une irruption, la comédienne, du haut de ses 19 ans, est loin d'être une débutante. Fille d'un prof de guitare et d'une infirmière, elle prend, dès l'enfance, des cours de théâtre. La première fois qu'on la repère au cinéma, c'est dans le film autobiographique de Jane Birkin, Boxes (2006) : elle y joue le rôle de la benjamine de la famille, autrement dit -de façon transparente- Lou Doillon. Comme la mère de celle-ci, elle pourrait d'ailleurs chanter "Di doo di doo dah, J'ai je ne sais quoi d'un garçon manqué", quand on pense à ses rôles de gamine qui n'ont pas froid aux yeux dans Les Enfants de Timpelbach, Tête de Turc ou, sur un registre plus grave, La Rafle.
En 2011, elle fait partie des 30 espoirs du cinéma français sélectionnés par l'Académie des César. Il y a quelques semaines seulement, elle jouait le rôle principal d'un long métrage passé inaperçu et intitulé Des Morceaux de Moi. A présent, c'est Adèle tout entière qui crève l'écran dans le film d'Abdel Kechiche. Son rôle, celui d'une adolescente qui s'éveille à l'amour et à la sexualité grâce à une autre jeune fille, elle l'a décroché au terme d'un très long casting. Kechiche l'a choisie après l'avoir invitée dans une brasserie : "Elle a commandé une tarte au citron, et à sa façon de la manger, je me suis dit : « c’est elle ». Elle est « dans les sens », sa façon de bouger sa bouche, de mâcher..."
Des Morceaux de moi © Tokib Productions
Et dans La Vie d'Adèle, elle grignote, elle renifle aussi, elle crie. Elle est l'adolescence, avec tout ce que cela suppose de gaucherie, d'ingratitude et de grâce. Les longues séquences dialoguéees, les larmes, les scènes de sexe très explicites : La Vie d'Adèle ne lui a pas fait peur. Comme sa partenaire à l'écran, la magnifique Léa Seydoux, elle a accepté de tout donner à l'exigeant Kechiche. Il faut dire que le cinéaste n'a pas son pareil pour dénicher les comédiennes en herbe : il a découvert Hafsia Herzi dans La Graine et le mulet mais aussi Sara Forestier (L' esquive)...
Il y a quinze ans, un maître du cinéma américain présidait le Jury cannois et avait récompensé deux jeunes actrices françaises : c'était Martin Scorsese, saluant la performance d'Élodie Bouchez et Natacha Régnier dans La vie rêvée des anges. Le scénario pourrait bien se reproduire cette année... même si, aux yeux de tous ceux qui voient dans "La Vie d'Adèle" une Palme d'or idéale, un prix d'interprétation pourrait apparaître comme... une esquive.
Adèle Exarchopoulos sur les Marches... et sur la musique de John Legend
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JD